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Effets secondaires des rayonnements ionisants

1.4.1 Généralités

Nous avons vu en 1.3 que lors d’un traitement par radiothérapie, des lésions sont inévitablement causées aux tissus sains. Bien que l’irradiation elle-même ne soit pas douloureuse, ces dommages peuvent entraîner deux types d’effets indésirables, que l’on classe en «effets déterministes», qui peuvent apparaître à court ou long terme, et «effets stochastiques» qui apparaissent généralement longtemps après le traitement. Ci-dessous, la figure11résume les différentes causes de ces effets secondaires.

Figure 11 – Diagramme représentant l’effet des rayonnements ionisants sur l’organisme selon le devenir de la cellule touchée.

Les effets déterministes sont liés à la dégradation des tissus sains causée par les rayonnements ionisants, via la destruction de leurs cellules. La mort d’une cellule peut être due à un trop grand endommagement de son ADN ou de ses organites critiques, ou bien à une mutation qui déclenche l’élimination de la cellule par le système immunitaire. Selon le type de tissu touché, ces effets peuvent être précoces et apparaître au cours des semaines suivant le traitement, ou tardifs et survenir des mois, voire des années plus tard. Ces effets secondaires sont extrêmement variés, puisqu’ils dépendent fortement de l’organe touché. Parmi eux, on peut notamment citer les brûlures et irritations cutanées, les nausées et les vomissements lorsque la région de l’estomac est touchée [Leeet al., 2012], l’anémie [Harrisonet al., 2001] lorsque la moëlle osseuse est irradiée (et plus généralement la baisse du nombre de cellules sanguines), et une fatigue générale, surtout si la région traitée est étendue. Tous ces effets possèdent toutefois des caractéristiques communes : ils apparaissent toujours à partir d’un seuil en dose, spécifique à chaque effet, et leur gravité est directement liée à la dose reçue, ce qui les rend prévisibles. Ils sont, de plus, généralement réversibles et, bien qu’inconfortables, disparaissent quelques semaines après le traitement. Ce sont ces effets que la planification du traitement et le fractionnement ont pour but de réduire au minimum, en maintenant autant que possible la dose délivrée en dessous de leur seuil d’apparition.

L’apparition des effets stochastiques, en revanche, est entièrement aléatoire. Lorsque des dommages sont causés à l’ADN des cellules saines par des particules ionisantes, des mutations aléatoires du code génétique peuvent apparaître suite à des erreurs de réparation. Celles-ci s’ajoutent à d’autres mutations déjà présentes et peuvent causer des complications génétiques. Notamment, nous avons vu en1.2.2que l’accumulation de mutations aléatoires est un facteur clé dans l’apparition d’un cancer ; c’est pour cette raison que l’exposition aux rayonnements ionisants se trouve parmi les facteurs de risques pour cette maladie, et que, paradoxalement, l’apparition d’un second cancer figure parmi les effets secondaires de la radiothérapie.

De manière générale, plus l’exposition aux rayonnements ionisants est élevée, plus la probabilité de développer des complications de type stochastique est grande. Contrairement aux effets déterministes, ceux-ci ne sont pas prévisibles au niveau d’un individu et leur gravité ne dépend pas de la dose reçue ; seule leur probabilité d’apparition peut être estimée. De plus, puisqu’ils sont causés par une accumulation de mutations, ils sont généralement tardifs et se manifestent presque toujours de nombreuses années après la fin du traitement.

1.4.2 Effets secondaires stochastiques Cancer secondaire

Un cancer est dit radio-induit s’il est causé directement par une exposition aux rayonnements ionisants ; si un patient traité par radiothérapie développe un nouveau cancer à la suite de son irradiation, on parle alors de second cancer. Bien que le lien entre l’irradiation et l’apparition de mutations génétiques soit connu depuis le début du XXème siècle [Muller, 1927], à cause de la nature aléatoire du cancer, il est toujours délicat de déterminer sans ambiguïté si une tumeur est due ou non à une irradiation. Les premiers critères permettant d’établir le diagnostic ont été donnés par Cahan et al. en 1948, dans une étude visant à étudier l’apparition d’un sarcome osseux suite à l’irradiation de patients pour des maladies osseuses de type non-cancéreuses [Cahanet al., 1948]. Ces critères ont par la suite été modifiés, notamment par Arlen et al. [Arlenet al., 1971], et on considère aujourd’hui qu’une tumeur peut être classifiée en second cancer si :

• La nature de la tumeur a été vérifiée via son histologie,

• Lorsque l’irradiation a été effectuée, le patient ne présentait pas de tumeur maligne de même histologie,

• Le cancer s’est développé dans la région couverte par le champ de traitement ou en périphérie,

• Plusieurs années se sont écoulées entre l’irradiation et son apparition. Cette condition assure qu’il ne s’agit pas d’un autre cancer déjà en développement au moment de l’irradiation,

• Le patient ne présente pas de prédisposition à ce type de cancer.

Malgré la diminution toujours plus importante des doses délivrées aux tissus sains, il est aujourd’hui admis que l’apparition d’un second cancer relève des risques inhérents à la radiothérapie et les études attestant de ce risque sont très nombreuses. En particulier ces dernières années, à cause de l’augmentation du taux de survie des patients, de leur espérance de vie et de la durée de leur suivi, il est possible d’observer un excès dans le nombre de cancers chez les patients traités par radiothérapie, avec une incidence pouvant aller jusqu’à

20% dans certains cas et un risque accru même plusieurs dizaines d’années après le traitement

[Tubiana, 2009a, Brenneret al., 2000, Brenneret al., 2003, Chaturvediet al., 2007], et cela

pour de nombreux types de cancers initiaux, dont le cancer cervical [Ohnoet al., 2006], des testicules [van Leeuwenet al., 1993] ou du poumon [Salminenet al., 1995].

Dans une étude visant à quantifier le risque de cancer du sein à la suite d’un traitement par radiothérapie pour des patientes atteintes de lymphome de Hodgkin, Travis et al. estiment qu’une irradiation à 4 Gy multiplie le risque de second cancer par 3,2, tandis qu’une irradiation à plus de 40 Gy multiplie le risque par 8 [Traviset al., 2003]. Curtis et al., à l’aide de la base de données du SEER (Surveillance, Epidemiology, and End Results) comprenant plus de deux millions de patients ayant survécu à un premier cancer, estiment que le risque de second cancer pour cette population est supérieur de 14% par rapport à la population générale, avec un risque 2 à 3 fois plus élevé chez les jeunes adultes [Curtiset al., 2006].

La majorité des études s’accordent sur la nécessité de prendre en compte ce risque pour réduire l’incidence des seconds cancers [Tubiana, 2009a]. Il peut même, en particulier pour les cancers pédiatriques, contrebalancer l’apport des techniques modernes sur le taux de survie à long terme. De nombreuses études indiquent, en effet, que les enfants sont considérablement plus vulnérables à l’effet carcinogène de la radiothérapie [Madan, 2018, Cossetet al., 2018,

de Vathaireet al., 1999, National Research Council, 2006], avec un risque pouvant être 3

à 6 fois plus élevé que pour les adultes [Hall, 2020, Curtiset al., 2006], et une probabilité comprise entre 10 et 30% d’avoir un second cancer dans les 30 ans suivant le traitement

[Smithet al., 2010]. Notamment, Tubiana et al. rapportent que chez les enfants, une dose de

100 mGy est déjà suffisante pour augmenter significativement le risque de cancer du sein et de la thyroïde [Tubiana, 2009a].

Les seconds cancers sont le plus souvent observés pour les doses supérieures à 2 Gy, et leur incidence augmente avec la dose [Tubiana, 2009a, Dialloet al., 2009,

Chargari and Cosset, 2013]. En revanche, l’augmentation du risque est également visible pour

des doses beaucoup plus faibles, allant de 50 à 100 mSv [Brenneret al., 2003], ce qui interroge sur la relation entre la dose et les effets secondaires, toujours à l’origine d’importants débats à l’heure actuelle et sujet de la section suivante.

Autres effets

Bien que plus rares, les problèmes cardiaques figurent, après les cancers secondaires, parmi les principales causes de mortalité induite par un traitement par radiothérapie

[Castellinoet al., 2010, Weintraubet al., 2010]. De nombreux auteurs s’intéressent au

suivi à long terme des patients, et mettent en évidence une augmentation du risque de problèmes cardiovasculaires bien plus importante lorsque le traitement s’est déroulé durant l’enfance [Mertenset al., 2001, Mölleret al., 2001, Greenet al., 1999]. Les équipes de Tukenova et Guldner indiquent que le risque augmente de manière linéaire avec la dose reçue par le cœur, et rapportent des augmentations respectives de 60 %/Gy

[Tukenovaet al., 2010] et 26 %/Gy [Guldneret al., 2006] qui, bien que différentes, signalent

qu’un risque non négligeable de troubles cardiaques est lié à la radiothérapie. Les problèmes cardiaques apparaissent également plus fréquemment pour les traitements du cancer du sein, à cause de la dose reçue par le cœur, situé à proximité de la zone de traitement

[Haddyet al., 2016, Paszatet al., 2007, Correaet al., 2008]. Bouillon et al. indiquent,

dû à une pathologie cardiaque, et que ce risque est 56 % plus élevé pour un traitement du côté gauche par rapport à un traitement du côté droit [Bouillonet al., 2011]. Enfin, Darby et al. estiment que le risque est accru de 7,4 % par gray délivré au cœur, sans seuil apparent

[Darbyet al., 2013]. La majorité des pathologies cardiovasculaires apparaissant au moins

10 ans après le traitement, il peut toutefois être difficile de déterminer leurs causes exactes

[Juradoet al., 2008].

De nombreuses études mentionnent également un risque accru de cataractes lors des traitements occulaires [Ferrufino-Ponce and Henderson, 2006]. Dans une étude portant sur le suivi de patients traités pour un lymphome occulaire, Park et al. rapportent un risque 3,47 fois supérieur à la normale lorsque la dose au cristallin est supérieure à 30 Gy, et plus de 4 fois plus élevé lorsqu’aucune protection des yeux n’est utilisée au cours du traitement

[Parket al., 2017]. Pour un adulte, l’augmentation du risque est généralement visible à partir

d’une dose au cristallin de 5 Gy ; pour les doses supérieures à 16,5 Gy, une déficience visuelle est presque toujours présente [Henket al., 1993]. Pour les enfants, ce risque est encore plus élevé : Hall et al. estiment que, pour le traitement d’un cancer pédiatrique, le risque de cataracte est augmenté de 50% par Gy au cristallin [Hallet al., 1999].

Certaines études rapportent, de plus, l’apparition de diabète à la suite de traitements par radiothérapie, lié à la dose reçue par le pancréas. Kleinerman et al. rapportent un risque jusqu’à 3,79 fois plus élevé selon la dose reçue pendant les traitements étudiés, et précisent que l’effet des faibles doses est encore une fois incertain [Kleinermanet al., 2010]. De Vathaire et al., quant à eux, indiquent que le risque augmente avec la dose reçue et, à nouveau, que les enfants ont d’autant plus de risques de développer cette complication, puisque son incidence est 8 fois plus élevée pour les patients ayant moins de deux ans au moment du traitement

[de Vathaireet al., 2012].

Enfin, l’irradiation du fœtus lors du traitement de femmes enceintes est liée à un risque de mort, de retard de croissance, de malformations, de stérilité, de cancer et, plus généralement, d’erreurs génétiques à partir de 10 cGy [Stovall, 1995].

1.4.3 Relation dose-effets

La connaissance de la relation entre la dose reçue et le risque de second cancer provient à l’origine des études épidémiologiques réalisées sur les survivants des bombes atomiques de Hiroshima et Nagasaki. Ces données sont essentielles pour la compréhension de l’effet des faibles doses : elles concernent une cohorte considérable (plusieurs dizaines de milliers de personnes), ayant eu un suivi complet et étendu dans le temps ; les survivants ont, de plus, été exposés à des doses très variées et connues relativement précisément. Notamment, la moitié d’entre eux (soit 26300 personnes) ont reçu des doses inférieures à 50 mSv

[Prestonet al., 2003].

Ces données ont permis d’établir la linéarité, aujourd’hui admise par la majorité des études, du risque de cancer radio-induit avec la dose reçue entre 100 mSv et 2 Sv : le risque augmente approximativement de 5% par sievert [National Research Council, 2006]. À l’heure actuelle, il n’y a cependant aucun consensus pour les doses inférieures, et les résultats des études divergent. Différents modèles ont été élaborés, à la fois à partir d’études épidémiologiques et de la connaissance des mécanismes biologiques en jeu lors d’une irradiation. La figure12

de 100 mSv.

Figure 12 – Illustration des différentes modélisations possibles pour la relation entre la dose et le risque de cancer radio-induit.

Brenner et al. suggèrent qu’un modèle linéaire sans seuil semble être le plus adapté pour extrapoler le risque à des doses inférieures à 100 mSv [Brenneret al., 2003]. Ce modèle est aujourd’hui le plus adopté, en particulier dans les applications de radioprotection où les faibles doses sont généralement rencontrées, et suggère que, puisque le cancer résulte d’une accumulation de mutations et que toute particule ionisante est susceptible de causer une telle mutation, alors la probabilité d’apparition d’un cancer est proportionnelle à la dose, aussi faible soit-elle.

Toutefois, d’autres études évaluent un risque bien moindre et semblent préconiser un modèle linéaire avec seuil, pour lequel une irradiation n’aurait que très peu d’effet en dessous d’une certaine dose. D’autres encore estiment que les faibles doses pourraient stimuler le système de réparation de l’ADN par hormèse

4

et auraient donc un effet protecteur, réduisant même le risque de cancer par rapport à son niveau naturel [Feinendegen, 2005]. À l’inverse, Hall et al. mettent en évidence une hypersensibilité des tissus lors de l’irradiation à faible dose, via un «effet de témoin» ou «bystander effect», suggérant ainsi un modèle supra-linéaire

[Baldersonet al., 2015,Hall, 2003]. On notera par ailleurs que pour les doses supérieures à 2

Sv, la question du modèle de risques reste également ouverte [Dasuet al., 2005].

De plus, les données des survivants des bombes atomiques ne sont pas nécessairement transposables aux patients de radiothérapie, en raison de l’importante différence dans les conditions d’irradiation des deux populations. En particulier, le risque évalué pour les

4. Réponse des défenses de l’organisme suite à une stimulation par une faible dose d’un agent générateur de stress (toxines, radiations), qui peut conduire à des effets inverses à ceux observés pour une dose élevée.

patients en radiothérapie est généralement plus faible que celui des survivants des bombes atomiques [Littleet al., 1999, Berrington de Gonzálezet al., 2013]. Cet écart s’explique notamment par la présence de neutrons pour l’irradiation par les bombes atomiques

[Schneider and Walsh, 2008], par le fractionnement de la dose [Le Pogamet al., 2015,

Schneider and Walsh, 2008] et par son inhomogénéité [Dasuet al., 2005] en radiothérapie.

À la fois du fait de l’incertitude sur l’effet des faibles doses et compte tenu de la nécessité de prendre en compte le risque de second cancer dans le calcul du rapport entre le bénéfice et les risques associés à un traitement, de nombreux auteurs mettent en avant un besoin important de s’appuyer sur des données épidémiologiques concernant les faibles doses en radiothérapie

[Tubiana, 2009b, Seonget al., 2016,Xuet al., 2008]. Cette nécessité souligne l’importance de

connaître précisément toutes les doses reçues pour chaque traitement, même lorsqu’elles sont considérées comme faibles et même s’il s’avère que leur effet est inexistant, afin d’être en mesure de préciser les modèles de risques utilisés. Brenner et al. soulignent, notamment, qu’un risque faible, lorsqu’il est appliqué à une importante population, peut tout de même représenter un problème majeur de santé publique [Brenneret al., 2003].