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2.3 Estimation de la dose hors-champ

2.3.2 Connaissance par calcul

De par les difficultés citées précédemment, la méthodologie de mesure de la dose périphérique est difficilement applicable à chaque traitement : beaucoup de détecteurs nécessitent un étalonnage pour une énergie relativement précise, qui n’est pas forcément connue à l’avance, ou ne sont pas utilisables dans des conditions cliniques. Puisqu’il peut être nécessaire de connaître la dose périphérique à l’avance pour l’inclure dans la planification du traitement, il serait très avantageux d’être en mesure de prédire cette dose à l’aide d’outils numériques.

Calcul par les logiciels de planification de traitement

La dose déposée au cours d’un traitement est toujours calculée dans le champ d’irradiation par les TPS, en amont d’une séance, via des algorithmes en partie analytiques propres à chaque modèle de linac. Ces derniers, cependant, ne sont pas conçus pour l’estimation de la dose hors-champ [Daset al., 2008] et celle-ci n’est donc jamais calculée en routine clinique. De nombreuses études ont pu montrer que ces logiciels, bien qu’ils donnent une valeur de dose à proximité du champ, fournissent des résultats souvent incorrects dès les limites de celui-ci atteintes et tendent à sous-estimer la dose périphérique quel que soit l’algorithme utilisé

[Kryet al., 2017].

Les études visant à quantifier l’erreur commise par les TPS à proximité et à distance du champ existent aujourd’hui pour la majorité des algorithmes et des TPS utilisés. Le rapport TG-158 de l’AAPM précise que les différences avec la dose mesurée peuvent aller jusqu’à 30% à seulement 3 cm de la limite du champ, et augmenter encore de manière importante avec la distance [Kryet al., 2017].

Le TPS Pinnacle3 de Philips (version 9.0), pour un plan de traitement en RCMI, calcule la dose périphérique jusqu’à 40 cm de la limite du champ. La valeur est cependant sous-estimée en moyenne de 50%, et cette différence peut même atteindre jusqu’à 100% [Huanget al., 2013]. Des résultats similaires sont obtenus par Joosten et al. pour le TPS CMS XiO d’Elekta (version 4.60) [Joostenet al., 2011], pour lequel les diffusions dans la tête de l’accélérateur ne sont pas modélisées de manière correcte, pouvant conduire à une erreur de près de 70%

[Joostenet al., 2013]. Dans cet article, les auteurs concluent par ailleurs qu’un TPS commercial

ne doit pas être utilisé pour le calcul de la dose hors-champ. Les TPS utilisés en tomothérapie et celui du CyberKnife

®

sous-estiment eux aussi très largement la dose périphérique [Schneideret al., 2013], et le TPS Multiplan du Cyberknife

®

est considéré comme inadapté pour son calcul [Colnot, 2019].

Howell et al, en 2010, étudient le TPS Eclispe de Varian (version 8.6) pour des distances de 3,75 à 11,25 cm du champ, et observent que la dose obtenue peut être sous-estimée jusqu’à 55% [Howellet al., 2010]. Ce résultat est semblable à celui obtenu par Mille et al., qui indiquent qu’Eclipse est inadapté hors du champ, quel que soit l’algorithme utilisé (AAA ou Acuros XB), et fonctionne seulement si les organes sont au moins partiellement dans le champ [Milleet al., 2018]. La figure22ci-dessous, tirée de leur étude, présente les profils de dose obtenus pour une planification de traitement par différentes méthodes, dont les deux algorithmes du TPS Eclipse.

Figure 22 – [Milleet al., 2018] Comparaison des profils de dose obtenus par mesure, par simulation Monte-Carlo et par calcul via le TPS Eclipse (algorithmes AAA et Acuros XB), pour des tailles de champ 6×6 cm2, à 5 et 10 cm de profondeur dans un fantôme d’eau pour un traitement à 6 MV.

Ce résultat met d’abord en valeur un écart non seulement élevé entre la dose mesurée et la dose calculée par le TPS, mais également croissant avec la distance. Il montre de plus que la dose fournie par le TPS est nulle à partir d’une certaine distance propre à chaque algorithme, ce qui est une caractéristique commune à tous les TPS. Dans une autre étude, Van Den Heuvel et al. rapportent que l’algorithme AAA d’Eclipse sous-estime encore davantage la dose pour des traitements plus complexes, et ne donne aucun résultat au-delà de 20 cm [van den Heuvelet al., 2012]. De même, l’algorithme Plato Sunrise de Nucletron (Elekta), utilisé par Balasubramanian et al. pour une étude de l’impact du MLC sur les doses hors-champ, ne donne plus aucune valeur au-delà de 20 cm du champ

[Balasubramanianet al., 2006].

Devant l’accumulation de données montrant l’incapacité des TPS à calculer la dose périphérique, il paraît indispensable de se tourner vers des approches spécifiques à ce type d’estimations. Plusieurs outils dédiés à la dose périphérique ont ainsi été conçus et peuvent être utilisés en complément des TPS.

Outils dédiés

À l’origine, la dose périphérique était estimée à l’aide de modèles empiriques, basés principalement sur des mesures réalisées en cuve à eau [Dialloet al., 1996,

Francoiset al., 1988]. Elle pouvait également être connue, bien que de manière très

approximative, via une extrapolation des doses obtenues dans le volume de traitement ou en comparant un traitement à d’autres exemples similaires pour lesquels les doses sont connues. Néanmoins, ces modèles ne peuvent donner qu’une estimation grossière de la dose hors-champ et ils ont par la suite été raffinés en utilisant les données provenant des nombreuses études mesurant les doses périphériques. Ces modèles empiriques décomposent la dose en contributions de chaque type de rayonnement secondaire pour en donner une

expression analytique, qui prend généralement la forme :

𝐷𝑃 =𝐷𝐷𝑖𝑓 𝑓 𝑢𝑠𝑖𝑜𝑛𝑠−𝑎𝑐𝑐+ 𝐷𝐹 𝑢𝑖𝑡𝑒𝑠+ 𝐷𝐷𝑖𝑓 𝑓 𝑢𝑠𝑖𝑜𝑛𝑠−𝑝𝑎𝑡𝑖𝑒𝑛𝑡

Où la dose périphérique en un point 𝐷𝑃 est vue comme la somme de la dose provenant des diffusions dans le linac𝐷𝐷𝑖𝑓 𝑓 𝑢𝑠𝑖𝑜𝑛𝑠−𝑎𝑐𝑐, de la dose provenant des fuites de la tête de la machine 𝐷𝐹 𝑢𝑖𝑡𝑒𝑠, et de la dose issue des diffusions dans le patient 𝐷𝐷𝑖𝑓 𝑓 𝑢𝑠𝑖𝑜𝑛𝑠−𝑝𝑎𝑡𝑖𝑒𝑛𝑡. Chaque terme de la somme peut être modélisé de manière différente selon l’algorithme développé, et, pour certains d’entre eux, ils dépendent des conditions d’irradiation (énergie, taille de champ...), permettant d’adapter le modèle à plusieurs techniques de traitement.

Jagetic et al. développent notamment un modèle empirique simple, destiné à servir de fondation pour d’autres travaux. Bien que très rapide, l’algorithme utilisé est cependant limité à des faisceaux de 6 MV et à des calculs dans des fantômes d’eau ; il présente également une erreur pouvant aller jusqu’à 10 % [Jagetic and Newhauser, 2015, Newhauseret al., 2017]. Ce modèle a ensuite été généralisé par Schneider et al. pour une utilisation de 4 à 25 MV et d’autres modalités de traitement [Schneideret al., 2017]. Pour cette seconde version, l’erreur sur la dose hors-champ est en moyenne de 10 % et peut atteindre jusqu’à 33 %. Taddei et al. proposent également un modèle analytique pour calculer la dose périphérique, mais celui-ci est toutefois limité à l’irradiation craniospinale [Taddeiet al., 2013]. Le rapport TG-158 de l’AAPM indique que ce type de modèles présentent une erreur typique d’environ 30 % [Kryet al., 2007a], mais que celle-ci peut éventuellement être bien plus importante [Kryet al., 2017].

D’autres modèles, plus précis et plus généraux, ont également été conçus et sont notamment utilisables pour estimer la dose reçue en RCMI. Le modèle de Hauri et al. utilise une approche mixte : le calcul est empirique pour les termes 𝐷𝐹 𝑢𝑖𝑡𝑒𝑠 et 𝐷𝐷𝑖𝑓 𝑓 𝑢𝑠𝑖𝑜𝑛𝑠−𝑎𝑐𝑐, et physique pour 𝐷𝐷𝑖𝑓 𝑓 𝑢𝑠𝑖𝑜𝑛𝑠−𝑝𝑎𝑡𝑖𝑒𝑛𝑡 [Hauriet al., 2016]. L’erreur rapportée est en moyenne de 11 %, mais peut atteindre 44 %.

Un outil aujourd’hui très utilisé est le code Peridose, qui est l’algorithme le plus général pour le calcul des doses périphériques [Giessen, 2001]. Il a cependant été conçu seulement pour des champs rectangulaires [Sanchezet al., 2015], et bien qu’il fonctionne de manière convenable pour des traitements classiques, il peut produire des erreurs importantes pour les traitements complexes. Notamment, il surestime la dose hors-champ de 60 % à 80 % pour un traitement en RCMI [van den Heuvelet al., 2012]. Dans une étude visant à estimer la fiabilité des estimations de la dose au fœtus en radiothérapie, Kry et al. rapportent que le résultat obtenu avec Peridose diffère généralement de 30 % avec les mesures, mais des erreurs d’un facteur pouvant aller jusqu’à 3 ont été rapportées [Kryet al., 2007b]. D’après le rapport de l’AAPM, les modèles analytiques existants ne sont par ailleurs pas adaptés aux techniques avancées pour le calcul de la dose au fœtus [Kryet al., 2017].

Plus récemment, Sanchez et al. ont proposé un modèle paramétrique destiné au calcul de la dose périphérique pour toutes les techniques isocentriques. Les diffusions dans l’accélérateur sont modélisées par une source isotrope qui recrée ainsi la décroissance de la dose avec la distance à la source, et les fuites sont modélisées par un fond de dose constant [Sanchezet al., 2015]. La composante de diffusion dans le patient n’est cependant pas calculée, et le modèle est ainsi considéré valide seulement au-delà de 10 cm de la limite du champ, région dans laquelle l’incertitude peut tout de même atteindre 25 %.

La prédiction de la dose périphérique est nécessaire en raison de la difficulté de sa mesure, et parce qu’une connaissance a priori pourrait permettre de l’inclure dans la planification du traitement. Les logiciels de planification de traitement ne sont cependant pas conçus pour ce calcul et privilégient naturellement la précision de la dose délivrée dans le volume tumoral, conduisant à des erreurs extrêmement importantes en dehors de celui-ci, voire à une absence totale d’estimation au-delà d’une certaine distance. Les outils dédiés entièrement à la dose périphérique donnent de bien meilleurs résultats, mais restent relativement imprécis. Ils sont, de plus, généralement adaptés à un nombre limité de modalités de traitement ; les plus généraux sont capables d’estimer les doses pour certains traitements en RCMI, mais il n’existe à ce jour aucun outil de prédiction de la dose hors-champ pour les techniques plus complexes.

Une solution à ce problème pourrait être la simulation Monte-Carlo, qui présente l’avantage de pouvoir s’adapter à n’importe quel type de traitement, quelle que soit sa complexité, et grâce à laquelle la dose peut en principe être obtenue très précisément en tout point. L’estimation de la dose périphérique par Monte-Carlo présente toutefois ses propres difficultés, décrites dans la section suivante après une brève introduction de la méthode.