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LeS eFFetS DU mULticULtUraLiSme

Dans le document Un modèle latino-américain ? (Page 59-67)

Le second point que je désirerais aborder succinctement concerne les effets du multiculturalisme ou le caractère performatif de ce dispositif.

Dans le domaine du politique, on observe que le nouveau credo néolibéral qui anime les agences de développement et les États nationaux n’est pas étranger à l’émergence d’une logique rigide de l’autochtonie. À la différence d’Henri Favre ou d’Adam Kuper, je pense que si le sentiment d’appartenance et la définition de ce qu’est une communauté ou une ethnie ont changé dans le sens d’une plus grande rigidité et d’une essentialisation au cours des vingt dernières années, c’est fondamentalement en raison des nouvelles techniques de gestion de la différence.

Tout comme l’observe Peter Geschiere pour l’Afrique de l’Ouest 23, on note que ce sont les politiques d’ethno-développement mises en place par les États nationaux – avec le soutien non seulement financier mais aussi idéologique des agences de développement multilatérales qui sont de véritables banques de savoir – qui contri-buent à rigidifier des logiques sociales autrefois dotées d’une plus grande flexibi-lité. Les nouveaux sujets ainsi crées (indien-projet, communauté focalisée, ethnie à promouvoir) sont sommés de participer, de nommer des représentants, de s’inscrire

20 Comaroff, John et Comaroff, Jean, 2010, Ethnicity, Inc., Chicago & Londres, The University of Chicago Press, p. 52.

21 Ibid., p. 52-57.

22 Ibid., p. 59.

23 Geschiere, Peter, 2009, The Perils of Belonging. Autochtony, Citizenship, and Exclusion in Africa and Europe, Chicago & Londres, the University of Chicago Press.

Multiculturalisme, néolibéralisme, démocratisation dans les nouveaux marchés de biens exotiques, de se responsabiliser et, surtout, de définir clairement, et si possible visiblement, leur autochtonie.

De sorte que les innombrables réunions participatives, ateliers interculturels, cycles de formations pour leaders indiens, les projets qui bénéficient à telle ou telle communauté focalisée, les programmes de santé et d’éducation interculturelle mis en place par les différents ministères en fonction des intérêts et valeurs de l’État, c’est-à-dire en fonction de la conception que les agents de l’État se font de la santé et de l’éducation comme domaines autonomes, ne font pas que reconnaître des

« acteurs » (comme on dit) qui leur préexisteraient, mais contribuent à produire des agents sociaux individuels et collectifs, tout comme ils tendent à structurer le champ de leurs actions possibles et à ajuster leur horizon d’attente aux nouvelles opportunités du champ. La perspective essentialiste qui informe les programmes d’ethno-développement produit des effets de territorialisation, de standardisation, de professionnalisation et tend à introduire des logiques hétéronomes dans des domaines jusqu’à il y a peu encore relativement autonomes. La culture devient ainsi l’objet de toutes les attentions, tout comme le sont les groupes sociaux indigènes.

Il en va de même de la pénétration de logiques politiques hétéronomes au travers de la spatialisation, de l’authentification, de la nomination et de la consé-cration. L’État et les organismes privés para-étatiques créent de nouvelles instances de négociation, de nouvelles institutions, de nouveaux lieux sociaux et font sou-vent peu de cas de ceux qui existent déjà au sein des groupes focalisées. L’État multiculturel produit une nouvelle classe d’ethno-bureaucrates, unifie le marché thérapeutique à travers sa politique de santé interculturelle et produit des experts ès cultures indiennes, ces cultures indiennes dont les traits fixes et figés sont désor-mais recensés, épurés. La production sociohistorique de la différence se trouve occultée et ladite tradition culturelle autochtone souffre alors du déni de co-tem-poralité via des procédures de distanciation allochronique 24. Paraphrasant Fabian, je dirais qu’en niant la co-temporalité, la cosmovision ethno-développementiste et le multiculturalisme « ne reconnaissent pas le temps commun comme la condition d’une véritable confrontation » et « posent des abstractions binaires édulcorées en les faisant passer pour des oppositions : tradition / modernité » 25. Or la tradition et la modernité ne s’opposent pas, elles ne sont pas en conflit, ce ne sont pas des sociétés à divers stades de leur développement qui s’opposent, mais des sociétés différentes qui se font face dans un temps partagé 26. À l’instar d’une certaine anthro-pologie, le multiculturalisme ethno-développementiste, via ses procédures taxino-miques et représentationnelles, produit des jardins culturels pseudo-scientifiques.

La culture du multiculturalisme est une abstraction. La culture de l’intercultura-lité est une abstraction. Un peu à la façon dont Radcliffe Brown critiquait

l’anthro-24 Johannes, Fabian, 2006, Le Temps et les Autres. Comment l’anthropologie construit son objet, Toulouse, Anacharsis (éd. anglaise Time and the Other, 1983).

25 Ibid., p. 252.

26 Ibid.

pologie culturelle et l’idée de « contact culture » : peut-on imaginer deux cultures s’assemblant et en produisant une troisième ? À l’instar de Marshall Sahlins, on observera que « ce sont les peuples et non les cultures qui sont les agents de l’ac-tion sociale » et que « l’acl’ac-tion sociale n’est pas un trope prescriptif ou mécanique du type stimulus culturel-réponse individuelle » 27. Alors que le projet développe-mentiste des années 1950-1970 s’intéressait aux structures sociales, le programme ethno-développementiste ou multiculturaliste prétend se focaliser sur l’ordre culturel. Or si l’histoire a prouvé à travers les échecs du projet développementiste marxiste ou libéral, keynésien ou néoclassique, de la CEPAL (Commission écono-mique pour l’Amérique latine) ou du FMI, que « le social est toujours déjà culturel et que l’action historique est liée à l’ordre culturel » 28, le futur prouvera certaine-ment, et le présent nous en fournit déjà de nombreuses preuves, que « toute culture est composée de pratiques dont les raisons sont suffisantes à leur existence sans jamais être nécessaires ». C’est-à-dire qu’en tant

qu’organisation sociale du sens, et donc organisation signifiante de la société, un schème culturel bénéficie d’une forme de liberté dont ne dispose pas l’uni-vers physique contraint par des nécessités matérielles. L’histoire peut donc obéir à un ordre culturel sans être prescrite par la culture 29.

Tout comme les développementistes ne prenaient pas en compte les structures culturelles dans l’histoire, les tenants du multiculturalisme paraissent méconnaître l’histoire des structures et prennent les zombies, les pishtaku ou les biens limités pour une manifestation de l’archaïsme des primitifs ou pour des traits immémo-riaux des formations sociales paysannes 30. Nous sommes ainsi passés en quelque sorte du « tout est progrès » au « tout est culturel », d’un déterminisme l’autre, d’un évolutionnisme confiant à un culturalisme naïf, théoriquement et empiriquement naïf. Empruntant une idée à Marshall Sahlins, on pourrait dire qu’au fondement de la pensée et de la pratique multiculturaliste se trouve l’idée reçue « que la culture est une production sui generis, un prétendu objet super-organique indépendant des sujets humains » 31. Le principal écueil épistémologique du multiculturalisme est qu’il ne considère pas dans un même mouvement théorique et conceptuel : la structure, l’action et l’histoire. Il tend par conséquent à réifier. Or, comme l’ont montré de nombreux travaux d’anthropologie historique, si l’action historique est

27 Sahlins, Marshall, 2007, La découverte du vrai sauvage, Paris, Gallimard, p. 19.

28 Ibid., p. 30.

29 Ibid., p. 34.

30 On renvoie sur ce point aux travaux de Jean et John Comaroff qui voient dans les zombies la cristallisation spécifiquement sud-africaine de certains éléments constitutifs de la culture néolibé-rale : « Le zombie est une figure métonymique du déploiement contemporain de forces historiques mondiales dans les régions du nord de l’Afrique du Sud, mais aussi de la discipline imposée à la main-d’œuvre par une forme de capitalisme néolibérale soucieuse de garantir la production d’une richesse sur le travail » (Zombies et frontières à l’ère néolibérale, Paris, Éd. Les Prairies Ordinaires, 2010, p. 52).

31 Sahlins, Marshall, La découverte du vrai sauvage, op. cit., p. 40.

Multiculturalisme, néolibéralisme, démocratisation liée à un ordre culturel, ce n’est pas de façon mécanique, et cette action historique modifie en retour cet ordre culturel. Les cultures créées par le multiculturalisme sont des fictions super-organiques, sans compter que les cultures dites dominantes sont les grandes absentes de ce contact dit culturel. Comme le souligne encore Sahlins, « la culture vécue a une forme d’existence phénoménale différente de la culture constituée » 32. Il existe « une réévaluation pragmatique des signes dans un contexte matériel particulier, et donc une transformation de la structure » 33.

Bref, le multiculturalisme a des effets profonds sur les unités sociales focalisées ainsi que sur les représentations que se font les agents sociaux individuels et col-lectifs de ces unités sociales. Loin de ne faire que reconnaître ou célébrer la diffé-rence, il la produit, la transforme, la fige, la standardise, la simplifie, l’arrache à son contexte de production sociohistorique. Il crée de l’autochtone paléo-terroriste aux marges du capitalisme et du client exotique en son cœur, participe de l’instaura-tion de relal’instaura-tions de pouvoir positives (en deçà de la frontière) qui reconnaissent en l’Indien non plus un homme, cela était déjà plus ou moins acquis, mais un homo œconomicus.

Le multiculturalisme tend par ailleurs à ethniciser le social. L’ethnicisation est ici un instrument politique dans la mesure où les différences culturelles ou identi-taires tendent à être naturalisées. L’ethnicisation participe à la construction radicale de la différence dans les termes de l’ethnie, elle-même supposée porteuse d’une culture homogène. Ce qui est intéressant ici, c’est que dans la logique intercul-turelle, le criollo, le Blanc, l’Occidental, le porteur de la culture dominante n’est pas un problème. Et c’est bien cela le problème. C’est d’ailleurs l’absence d’une définition de l’autre terme de la relation interculturelle qui fournit la preuve que l’interculturalité, cadre conceptuel situé au cœur du multiculturalisme, est fonda-mentalement ethnocentrique. Le point aveugle de l’interculturalité est la question criolla. C’est pour cela que d’aucuns ont affirmé que le multiculturalisme constitue une sorte de néo-indigénisme. J’ajouterais quant à moi : un néo-indigénisme avec les ethno-bureaucrates en plus et des techniques renouvelées et plus subtiles de gouvernement dans un contexte de privatisation des mécanismes d’intervention de l’État.

De ce point de vue, on serait tenté de se demander si le multiculturalisme ne contribue pas à enclencher un nouveau processus de déculturation, au sens de perte d’autonomie d’action. De sorte qu’ici aussi plus ça change, plus c’est la même chose, puisque les effets de la pratique multiculturelle se font sentir sur les structures communautaires et symboliques des agents sociaux focalisés. Le nouveau régime multiculturel vise à produire de l’intégration. Or que signifie ici intégrer ? Créer des citoyens-consommateurs ? Des clients exotiques ? La différence est exacerbée et l’unification doit se faire par le marché, la foi dans le marché et

32 Ibid., p. 52.

33 Ibid., p. 55.

ses vertus salvatrices, rédemptrices, voire messianiques. L’unification se fait aussi sur le plan du régime d’historicité car le patrimoine immatériel des populations natives, leur autochtonie, se greffe sur la temporalité de l’État-nation : une tempo-ralité linéaire. Le multiculturalisme conduit donc à la fois à induire une tempotempo-ralité linéaire et à réinscrire le passé et le territoire des populations indiennes au sein de l’espace-temps de la nation.

Cette analyse succincte du caractère et des effets du multiculturalisme nous permet de dégager l’existence de deux logiques qui marchent de concert :

– l’une d’unification par le politique, c’est-à-dire de reterritorialisation et de ré-imagination de la nation via les procédures de nationalisation des populations natives (« nos » Indiens, leur héritage est le nôtre, les traces matérielles et immaté-rielles de leur passé font désormais parties de notre patrimoine national) ;

– l’autre d’unification par le marché via la marchandisation des cultures natives.

À l’instar d’Étienne Balibar, il me semble que le multiculturalisme néolibéral suppose et implique à la fois une intensification des procédures de contrôle de l’existence et l’inculcation d’une rationalité néolibérale qui encourage les indivi-dus à donner à leur vie une forme d’entreprise, chaque individu devant se com-porter comme une petite banque 34. Relevant le caractère essentiellement instable, problématique et contingent du politique et de la constitution de la communauté des citoyens à travers les processus contradictoires d’insurrection et de constitu-tion, Étienne Balibar affirme que le néolibéralisme n’est pas seulement une idéo-logie mais qu’il constitue une mutation de la nature même de l’activité politique.

C’est une forme paradoxale de l’activité politique qui tend à

neutraliser aussi complètement que possible l’élément de conflictualité essen-tiel à sa figure classique, pour ne rien dire de l’idée d’insurrection constituante sans laquelle il n’y aurait jamais eu de revendication collective des droits, et le priver de toute signification créant les conditions où les actions des individus ne relèvent plus que d’un critère unique : l’utilité économique 35.

Et Balibar de conclure, faisant écho en cela aux analyses pionnières de James Ferguson 36 au sujet des effets de la mise en place de projets de développement au Lesotho : « Il ne s’agit pas tant de politique que d’antipolitique, de neutrali-sation ou d’abolition préventive de l’antagonisme politique » 37. On pourrait dire avec Wendy Brown que la gouvernementalité néolibérale qui abolit la distance

34 Balibar, Étienne, La proposition de l’égaliberté, op. cit., p. 43.

35 Ibid., p. 38.

36 Gupta, Akhil et Ferguson, James, 1992, « Beyond Culture: Space, identity and the politics of difference », Cultural Anthropology, vol. 7, n° 1, p. 6-23.

Gupta, Akhil et Ferguson, James, 2008, « Más allá de la “cultura”. Espacio, identidad y la política de la diferencia », Antípoda, n° 7, p. 233-256.

37 Ibid., p. 38.

Multiculturalisme, néolibéralisme, démocratisation entre la politique économique capitaliste et le système politique démocratique, qui annule l’espace éthique existant entre politique et économie, qui érode la marge de manœuvre entre la vie sociopolitique et culturelle, d’un côté, et le calcul éco-nomique, de l’autre, s’est ramifiée et qu’une de ses manifestations est précisément le multiculturalisme néolibéral 38. Avec l’instauration du multiculturalisme on peut vraiment dire que « Now, we are in business ».

Empruntant ce qu’écrivait Pierre Bourdieu au sujet de la globalisation 39, on pourrait dire du multiculturalisme néolibéral qu’il est un mythe au sens fort du terme, un discours puissant, une idée-force, une idée qui a de la force sociale, qui obtient la croyance. C’est l’arme principale des luttes contre les mobilisations indiennes qui remettent en cause le régime de propriété dominant, l’hégémonie culturelle des classes dominantes, les mémoires officielles ainsi que les méca-nismes d’assignation ethnique. Un des effets majeurs du multiculturalisme est d’avoir déplacé les luttes du domaine de la sphère publique non étatique vers les instances et espaces sous contrôle étatique et para-étatique. Les procédures de légitimation, les ressources, le capital symbolique s’activent au sein de cette nou-velle nébuleuse du multiculturalisme composée d’agents étatiques, para-étatiques, travailleurs humanitaires, staff des grandes agences de développement, etc. Et si, comme le signale Balibar :

l’antinomie de la citoyenneté est liée au différentiel d’insurrection et de consti-tution, et que c’est à travers cette instabilité et tension sans cesse renouvelée que le pouvoir insurrectionnel des mouvements politiques qui visent à conquérir des droits encore inexistants ou à élargir des droits existants de façon à faire passer l’éga-liberté dans les faits 40,

on perçoit alors à quel point vouloir éliminer cette antinomie au nom de la Bonne Gouvernance, de la Démocratie Dialogique et communicationnelle, c’est sonner le glas du politique et de la citoyenneté, faire de la sphère publique un marché, du citoyen un consommateur tout en gommant et masquant les rapports de pouvoir existant sur le marché en raison des différentiels de capital. C’est ici que le néoli-béralisme tend à sceller le sort du politique et de la démocratie. Dans ce contexte, il me semble que les mouvements politiques amérindiens tendent à démocratiser la démocratie, c’est-à-dire à montrer en quoi cette vision néolibérale apolitique du politique est fondamentalement politique et antidémocratique ou politiquement antipolitique. Le moment insurrectionnel associé au principe de l’égaliberté n’est pas seulement fondateur, il est aussi un opérateur critique actuel qui tend à prouver que le marché n’est pas la sphère politique publique.

38 Brown, Wendy, 2003, « Neo-liberalism and the end of liberal democracy », Theory and Event, vol. 7, n° 1.

39 Bourdieu, Pierre, 1998, Contre-Feux, Paris, Raisons d’Agir, p. 39.

40 Balibar Étienne, La proposition de l’égaliberté, op. cit., p. 20.

raciNeS LatiNo-américaiNeS DU mULticULtUraLiSme

Guillermo de la Peña

CIESAS – Occidente, Mexique

On a beaucoup parlé et écrit au sujet d’un nouveau phénomène qui chemine par le monde depuis trente ans : le multiculturalisme. Certains auteurs le célèbrent comme un processus libérateur, alors que d’autres le condamnent parce qu’il a été utilisé pour justifier des conflits et des agressions ; et d’autres encore le refu-sent pour n’être qu’un stratagème du capitalisme international et de l’impérialisme anglo-saxon. En fait, le terme n’a pas de signification univoque. Parmi divers ana-lystes, citons Michel Wiewiorka qui distingue pour le moins trois acceptions dis-tinctes du multiculturalisme : la première se réfère au simple fait que coexistent dans une même société divers codes culturels (et diverses identités) ; la seconde désigne les politiques et les normes que les États utilisent pour contrôler la diversité et la communication entre les cultures, et la troisième renvoie aux idéologies et théories philosophiques qui font l’éloge, ou au contraire réprouvent, la variété des cultures 1. Une importante distinction a également été mise en relief entre le multi-culturalisme idéal, qui suppose et exalte la coexistence pacifique et enrichissante de diverses cultures, et le multiculturalisme réel, ou pratique, qui est celui que l’on trouve de fait dans nos sociétés actuelles et qui peut être, selon l’histoire de chaque société, harmonieux ou conflictuel, égalitaire ou hiérarchique, démocratique ou autoritaire. Il est important de prêter l’attention au multiculturalisme réel car c’est lui qui détermine les débats et les dispositifs (c’est-à-dire les mécanismes institu-tionnels et cognitifs) en vigueur dans chaque pays.

Je ferai ici référence brièvement au multiculturalisme réel que l’on observe dans les sociétés latino-américaines marquées par leur nature postcoloniale. Les socié-tés postcoloniales portent la trace d’un système d’ordre public qui créait un type spécifique d’inégalité juridique, basé sur la filiation, le phénotype et les différences

1 Wieviorka, Michel, 2005, La différence. Identités culturelles : enjeux, débats et politiques, Paris, Éditions de l’Aube.

culturelles, système qui s’associait de plus à une idéologie qui naturalisait et hiérar-chisait ces différences. Comme l’ont souligné Max Gluckman, Georges Balandier et Gonzalo Aguirre Beltrán, la situation coloniale pénétrait toutes les dimensions de la vie sociale et créait des dispositifs visant à préserver cette hiérarchie 2. En Amérique latine, le système colonial a été formellement aboli. Pourtant, dans la théorie et dans la pratique, a persisté de manière informelle, ouverte ou insidieuse, un ensemble d’idées et de pratiques qui maintiennent par de multiples aspects l’héritage de l’inégalité coloniale. Malgré tout cela, beaucoup « d’anthropologues sociaux », et parmi eux Christian Gros, ont montré que, face au colonialisme et à ses héritages, les groupes subalternes n’ont pas été de simples récepteurs passifs, mais se sont engagés dans des processus de négociation et de résistance, et qu’ils ont contribué au développement d’idéologies et de dispositifs qui constituent ce qu’on pourrait appeler le « multiculturalisme postcolonial ».

Dans la première partie, j’esquisserai les principales caractéristiques du sys-tème colonial dans le continent, et j’exposerai ensuite de manière abrégée les trois étapes historiques du multiculturalisme postcolonial, définies schématiquement par les noms du courant politique qui y domine : libérale, nationale-populiste et néolibérale 3. Inutile de dire que ma proposition n’est pas de rendre compte de la complexité des trajectoires des pays latino-américains, mais plutôt d’avancer des

Dans la première partie, j’esquisserai les principales caractéristiques du sys-tème colonial dans le continent, et j’exposerai ensuite de manière abrégée les trois étapes historiques du multiculturalisme postcolonial, définies schématiquement par les noms du courant politique qui y domine : libérale, nationale-populiste et néolibérale 3. Inutile de dire que ma proposition n’est pas de rendre compte de la complexité des trajectoires des pays latino-américains, mais plutôt d’avancer des

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