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au-delà de la spécificité des multiculturalismes

Dans le document Un modèle latino-américain ? (Page 48-59)

Polysémique, le multiculturalisme renvoie à des situations diverses et à des pro-jets souvent divergents. Mon apport à cet ouvrage consiste à présenter un cas très différent de ceux étudiés en Amérique latine, contribuant ainsi un nouvel éclairage sur ces terrains. En retour, les analyses venant du sud du continent éclairent la mienne. Le recours au multiculturalisme dans les luttes des autochtones est impen-sable dans le contexte canadien. Car la nature et la portée des demandes s’en

éloi-34 WLUML, 2005, Support Canadian Women’s Struggle against Shari’a Courts, www.wluml.org.

35 Ibid.

gnent. Le multiculturalisme au Canada, et dans plusieurs pays européens, recouvre des demandes d’égalité – de la part des immigrants et de leurs descendants – qui n’incluent pas le droit à l’auto détermination ou à l’autogouvernance.

Nos analyses se rejoignent néanmoins sur l’essentiel. L’enjeu principal n’est pas d’accepter ou de rejeter le multiculturalisme, mais de s’interroger sur le multi-culturalisme lui-même, de dépasser toute perspective essentialiste qui ne reconnaît ni ne théorise les rapports de domination constitutifs des groupes en présence. On articulera ainsi une conception politico-historique du social, axée sur les inégalités de pouvoir et les luttes qu’elle engendre. Ancré dans des sujets sexués, ethnicisés, racialisés et prolétarisés, ce multiculturalisme reconnaît l’existence d’un terrain où s’affrontent des visions divergentes de l’égalité et des conditions de sa réalisation.

Moins aveugle que le multiculturalisme libéral qui se prétend neutre et construit de nulle part, ce multiculturalisme a peut-être de meilleures chances de réussir.

mULticULtUraLiSme, NéoLibéraLiSme, DémocratiSatioN

Guillaume Boccara

CNRS-EHESS, MASCIPO

« El neo-indigenismo se presenta como una política sectorial que debe favorecer la puesta en marcha de una política neoliberal a nivel nacional, conciliándola con los imperativos generales de gobernabilidad y legitimidad que son las suyas en esta época multicultural. » 1

Dans certaines de ses publications datant du début des années 2000 et qui portent sur le multiculturalisme, l’ethnicité, les identités nationales et le néolibé-ralisme en Amérique latine, Christian Gros insiste à plusieurs reprises sur deux problèmes.

Il pointe tout d’abord du doigt la contemporanéité du multiculturalisme et du néolibéralisme et s’interroge sur la nature des liens unissant ces deux ordres de phénomènes, ces deux projets dans un contexte de reconfiguration de l’État et de mobilisations sociales des groupes les plus marginalisés des pays latino-américains.

S’il n’affirme pas avec Slavoj Zizek, Alvaro García Linera ou Frederic Jameson que le multiculturalisme constitue la logique culturelle du capitalisme postfordiste, il n’en observe pas moins de singulières coïncidences entre le désengagement de l’État, la privatisation et la dérégulation d’un côté, et la promotion de la différence et la responsabilisation de la société civile de l’autre : une « confluence perverse », aurait dit Evelina Dagnino, entre l’exigence populaire de participation d’un côté, et la colonisation du social par l’économique qui pose l’équation douteuse individu

= petit entrepreneur et communauté = entreprise dotée de capital humain et social, de l’autre.

1 Gros, Christian, 2010, Nación, Identidad y violencia: el desafío latinoamericano, Bogotá, Universidad Nacional de Colombia, p. 234.

Il observe par ailleurs que l’émergence et la politisation des identités culturelles en Amérique latine ne débouchent pas inéluctablement sur le rejet de l’Autre, sur l’usage des armes, sur la terreur ou la « balkanisation » des nations. Autrement dit, les revendications liées à l’autochtonie et les politiques de l’appartenance ne débouchent pas nécessairement sur le communautarisme, l’entre-soi communau-taire ou le déchaînement de violences interethniques. Dans les termes du philo-sophe Emmanuel Renault, on pourrait dire qu’« en revendiquant leurs identités collectives, les individus s’opposent explicitement aux dynamiques sociales qui soit induisent une injustice sociale relevant du déni de reconnaissance de certaines identités collectives, soit ne peuvent être représentées collectivement comme injustices que grâce aux identités collectives » 2. Ne reprenant pas à son compte les deux grandes séries d’objections que l’on adresse communément aux revendica-tions politiques concernant l’identité, Christian Gros montre que les luttes identi-taires ne mettent pas forcément en danger les exigences universelles ou égaliidenti-taires et que l’identité peut être autre chose qu’un assujettissement. Empruntant une fois encore une formule à Emmanuel Renault, on observe que, selon Christian Gros,

« les luttes identitaires peuvent être considérées, sous certaines conditions, comme des luttes contre l’injustice » 3.

De sorte que dans ses articles intitulés « Amérique latine : Identité ou métis-sage. La nation en question » 4, « Identité, ethnicité et violence » 5, « Indigénisme et ethnicité. Le défi néolibéral » 6 et « Nationaliser l’Indien, ethniciser la nation.

L’Amérique latine face au multiculturalisme » 7, Christian Gros met en garde contre la double méprise qui entache certaines interprétations hâtives des dynamiques socioculturelles et politiques qui se déploient depuis la fin des années 1980 en Amérique latine : une lecture enchantée et béate de l’avènement de l’ère de la diversité « à la mode Benetton » alors même que le néolibéralisme, non seulement comme modèle anti-keynésien mais aussi comme dispositif doué d’une rationalité politique spécifique, semble se ramifier.

Une lecture « franco-centrique » des dynamiques sociales latino-américaines ou plus précisément une interprétation biaisée des revendications amérindiennes et des politiques multiculturelles déterminée par la représentation que certains

2 Renault, Emmanuel, 2004, L’expérience de l’injustice. Reconnaissance et clinique de l’injus-tice, Paris, La Découverte.

3 Ibid.,

4 Gros Christian, 2000, Hérodote, vol. 99, n° 4, p. 106-136.

5 Gros, Christian, 2003, Ateliers, 26, p. 93-108.

6 Gros, Christian, 1997, « Indigenismo y etnicidad: el desafío neoliberal », in Ma. V. Uribe et E. Restrepo (eds), Antropología en la modernidad, Bogotá, Instituto Colombiano de Antropología.

7 Gros, Christian, 2006, « Nationaliser l’Indien, ethniciser la nation. L’Amérique latine face au multiculturalisme », in Christian Gros & Marie-Claude Strigler (éds), Être indien dans les Amériques. Spoliations et résistance, mobilisations ethniques et politiques du multiculturalisme, Institut des Amériques, p. 263-272.

Multiculturalisme, néolibéralisme, démocratisation conservateurs, républicains fondamentalistes ou libéraux bon teint se font des conflits sociaux, culturels voire même « de civilisations » se développant en France.

C’est ainsi qu’à contre-courant de la célébration unanime de la grande fête culturelle de la diversité, Gros et quelques autres, comme Charles Hale aux États-Unis et Victor Breton en Espagne, ont très tôt observé que le multiculturalisme n’annonçait pas la fin du triple processus de domination sociale, d’exploitation économique et d’assujettissement politique auquel ont été soumises les popula-tions indiennes depuis les premiers temps des indépendances. Il s’agit, à n’en point douter, d’un projet novateur, mais aux contours encore flous et pour la mise en place duquel les rôles des agents étatiques, para-étatiques, des ONG, des agences multilatérales de développement, des entreprises privées, des communautés et des organisations indiennes sont loin d’être déterminés. Bref, le multiculturalisme dans sa variante néolibérale pose de nouveaux problèmes et participe de la structu-ration d’un nouvel espace social. Il faut l’aborder dans une perspective critique, non pas uniquement culturelle mais aussi politique et économique car, comme l’écrit Christian Gros, l’inclusion politique « qui a lieu dans le cadre de la transi-tion démocratique et de l’instauratransi-tion du multiculturalisme est concomitante avec la croissante exclusion sociale provoquée par les effets des nouvelles politiques économiques » 8.

Évitant de projeter sur les réalités latino-américaines les dichotomies du débat hexagonal entre républicanisme et communautarisme, où la devise « une et indivi-sible » est en guerre ouverte contre « E pluribus Unum » et dans lequel le racisme et la xénophobie ont eu un fort pouvoir multiplicateur sur le plan politique dans l’exacte mesure où l’immigration et ses effets supposés sur une supposée essence ou identité nationale se déploient dans un contexte désormais clairement racia-lisé 9, Christian Gros insiste sur le fait que les mouvements sociaux qui remettent en cause le modèle monoculturel jusqu’alors dominant ne débouchent pas néces-sairement sur du racisme inversé et sur de la purification ethnique, tout comme ils ne semblent pas se limiter à des revendications d’ordre particulariste. Il semblerait, bien au contraire, que les mobilisations et revendications amérindiennes contri-buent à ce que certains ont appelé une « démocratisation de la démocratie », à un élargissement de l’imagination sociologique, à l’émergence d’une autre manière de faire de la politique et à la constitution d’une proposition d’égaliberté permettant de transcender la dichotomie douteuse entre reconnaissance / redistribution. Les luttes identitaires ont définitivement des composantes redistributives, tout comme les luttes redistributives ont des composantes identitaires. Bref, dans les termes de Didier Fassin, la reconnaissance est dynamique. Elle n’est pas identité mais iden-tification. Elle passe par l’affirmation culturelle d’un droit à la différence autant

8 Ibid., p. 268.

9 On renvoie sur ce thème aux travaux de Didier Fassin et Éric Fassin.

que par l’exigence politique de droits universels 10. Reconnaissance et redistribution vont de pair. Elles induisent une constatation et une contestation des discrimina-tions ainsi qu’une mise en avant des singularités 11.

J’aimerais ici prolonger la première de ces deux idées en développant une réflexion critique quant à la nature et aux effets du multiculturalisme latino-améri-cain, tout en référant ma lecture à l’inconscient nationaliste et racialisant du multi-culturalisme français qui ne cesse d’informer les lectures simplificatrices d’auteurs comme Henri Favre ou Jean Loup Amselle.

qU’eSt-ce qUe Le mULticULtUraLiSme ?

Je crois que nous sommes tous plus ou moins d’accord pour dire que le mul-ticulturalisme représente bien plus qu’un ensemble de discours et de pratiques visant à reconnaître, promouvoir et valoriser la diversité culturelle dans des pays où les gouvernants n’ont eu de cesse de l’ignorer, de la nier, de l’invisibiliser ou de tenter de la résorber via l’imposition de mécanismes plus ou moins subtils de nationalisation et de territorialisation de la nation. Et bien que les interprétations divergent quant aux formes et raisons de l’émergence du multiculturalisme et à la nature du modèle assimilationniste qui l’a précédé, la grande majorité des cher-cheurs partage l’idée selon laquelle la mise en place de ce programme marque un avant et un après dans l’histoire des sociétés latino-américaines. S’il existe, par conséquent, un accord sur le fait que le multiculturalisme représente une rupture, des divergences se font néanmoins jour au sujet de la nature de cet « avant » et de cet « après ».

Alors que certains voient dans le multiculturalisme un modèle qui permet réel-lement aux populations marginales et définies comme différentes de participer, de s’affirmer positivement et de rompre avec la discrimination, d’autres le perçoivent comme une menace pour l’unité nationale et mettent en garde contre le risque d’une dérive communautariste.

Pour ma part, je dirais que si le multiculturalisme a permis de sortir d’un modèle qui occultait la diversité du corps social tout en engendrant toujours cette petite différence coloniale qui assurait, via la production de groupes subalternes décul-turés en proie à des logiques hétéronomes, la reproduction des relations de domi-nation et des rapports sociaux de production. Il n’inaugure pas moins une nouvelle économie politique de la différence porteuse d’une normativité qui émane de l’État néolibéral et influence profondément la reconfiguration de l’ethnicité. En d’autres termes, le multiculturalisme constitue un nouvel art de gouvernement, une

10 Fassin, Didier, 2010, « Ni race, ni racisme. Ce que racialiser veut dire », in Didier Fassin (éd.), Les nouvelles frontières de la société française, Paris, La Découverte, p. 167.

11 Ibid.

Multiculturalisme, néolibéralisme, démocratisation ethno-gouvenermentalité qui contribue à l’extension d’une logique néolibérale de

« juridicisation » des demandes sociales, de responsabilisation de la société civile et de marchandisation de la culture. Les articulations entre multiculturalisme et néolibéralisme sont en effet multiples et les actualisations concrètes du nouveau diagramme de savoir / pouvoir inauguré par ce projet se retrouvent dans tous les pays qui se proclament désormais multiculturels et pluriethniques.

Le multiculturalisme constitue un nouvel art de gouvernement, observions-nous. C’est-à-dire qu’il s’appuie sur « des pratiques par lesquelles on parvient à structurer le champ d’action éventuel des autres » 12. Il renvoie ainsi à des procé-dures concrètes qui dessinent le champ des rapports de force et des relations que ces mêmes procédures entretiennent avec « un discours de souveraineté qui pré-tend tout à la fois fonder leur légitimité et en déployer la signification » 13.

Évoquons succinctement ce qui constitue selon nous la nature de ce multicultu-ralisme néolibéral. Le multicultumulticultu-ralisme participe tout d’abord à la génération ainsi qu’à la structuration de ce que nous nommons un champ ethno-bureaucratique au sein duquel de nouveaux agents différemment dotés en capital économique et culturel s’affrontent autour de nouvelles procédures de légitimation, d’authentifi-cation et de consécration dont l’enjeu est de savoir « qui a le pouvoir de dire qui est indien » et « ce qu’est la culture indienne authentique ». Au sein de ce nou-veau champ, les savoirs, rituels et systèmes de représentations autochtones sont convertis en « capital culturel » et les relations sociales de toute nature qui lient les membres des communautés entre eux deviennent du « capital social ». Ces nouvelles procédures d’incorporation constituent la première étape vers la pro-duction de la « demande sociale » indienne tout comme elles tendent à imposer de nouvelles normes concernant l’exercice légitime de « l’indigénéité ». Les luttes et revendications sociales indiennes se déployant en dehors du nouveau champ sont délégitimées ou plus radicalement déclarées illégales. On observe enfin que les mécanismes de légitimation et de normalisation qui fonctionnent au sein du champ ethno-bureaucratique produisent des effets de standardisation des cultures indiennes, de professionnalisation des individus porteurs de cette culture standar-disée et de délégation du pouvoir politique. On incite les Indiens à devenir les ethnographes de leurs propres communautés et les nouveaux dispositifs de gestion de la différence et de la pauvreté contribuent à les englober au sein de ce nouveau champ dans des positions généralement subalternes. Le multiculturalisme repré-sente par ailleurs une nouvelle technologie de pouvoir : l’ethno-gouvernementa-lité. Cette dernière renvoie à l’exercice d’un pouvoir et à la production d’un savoir

12 Abélès, Marc, 2008, « Michel Foucault, l’anthropologie et la question du pouvoir », L’Homme, n° 187-188, p. 105-122 (p. 114).

13 Ibid.

qui visent à améliorer le bien-être de la population indienne et agissent sur ce que Michel Foucault a appelé « la conduite des conduites » 14.

Le multiculturalisme participe ainsi non pas à l’ethnicisation mais à l’ethni-fication des populations indiennes via les divers recensements et enquêtes, la légalisation des titres communautaires et la création de nouvelles communautés, la désignation de représentants indiens qui doivent parler et s’engager au nom de leurs communautés, la formation de « capital humain » et l’organisation de stages pour les nouveaux leaders, etc. Le nouveau cadre idéologique et politique de l’ethno-développement, principal vecteur du multiculturalisme, peut être consi-déré comme un art libéral de gouvernement qui se déploie via l’internalisation des disciplines, où les « acteurs » assument la responsabilité de politiques sociales conçues de l’extérieur et où la règle se déploie via la complicité, la confiance et l’intérêt mutuel. L’ethno-développement a pour objectif la mise en place de mécanismes autorégulateurs au sein des différents agrégats sociaux à travers la responsabilisation sociale, la « bonne gouvernance » et les réseaux auto-organisés.

Au travers d’une véritable chrono-politique (via la patrimonialisation / nationali-sation des cultures indiennes), le multiculturalisme contribue à la mise en place d’un nouveau nationalisme. De même, au travers d’une nouvelle géopolitique, il tend à renforcer le processus de territorialisation de la nation. Les cultures et histoires indiennes sont patrimonialisées et nationalisées, de nouvelles frontières, qui sont en fait des limites, sont tracées entre les Indiens ayant toujours fait partie de la nation et les Autres radicalement autres, ces Indiens toujours déjà étrangers, immigrants illégaux de l’ère proto-nationale !

Le multiculturalisme s’articule par ailleurs de plusieurs façons au néolibéra-lisme. C’est qu’il ne s’agit pas simplement de « keep the Indigenous Peoples busy » en les inondant de projets d’ethno-développement et en multipliant les réunions et focus groups alors que, dans le même temps, s’accentuent la crise et le racisme environnementaux et s’intensifie la formation de clusters miniers, forestiers et tou-ristiques sur leurs terres. En d’autres termes, si cette Nouvelle Donne (New Deal) et l’ouverture des nouvelles frontières (New Frontiers) du capitalisme global dans sa variante néolibérale voguent de conserve, les liens qui les nouent sont loin d’être exclusivement d’ordre matériel. La congruence entre la politique culturelle du multiculturalisme et la « cosmovision » néolibérale est ainsi perceptible dans l’ordre idéel. Le multiculturalisme néolibéral tend en effet à responsabiliser ses nouveaux clients ou usagers. La communauté est traitée comme une entreprise.

Se dessine ainsi progressivement la figure de l’Indien-projet, du client exotique ou du market-citizen qui doit trouver sa place dans les nouvelles niches de marché.

Façonné à l’image de l’homo œconomicus néoclassique, l’Indien est sommé de faire des choix rationnels. Les pratiques et représentations indiennes, ce que les

14 Foucault, Michel, 1994, « La gouvernementalité » et « Les mailles du pouvoir », in Michel Foucault, Dits et écrits II, 1976-1988, Paris, Quarto Gallimard, p. 635-657 et p. 1001-1020.

Multiculturalisme, néolibéralisme, démocratisation anthropologues rangent d’ordinaire sous le terme de culture, se convertissent en patrimoine, deviennent des marchandises. Ainsi mercantilisée, patrimonialisée et transfigurée, la « culture » devient une ressource rare et obéit par conséquent au principe d’économicité. Et dans la droite ligne des principes qui ordonnent la pensée néoclassique ou le néo-utilitarisme, les « choix culturels » ont désormais un coût d’opportunité 15. Last but not least, l’État tend à privatiser ses mécanismes d’intervention. Un véritable business model est adopté dans la conception, l’im-plantation, l’exécution et l’évaluation des politiques qu’on ose à peine nommer

« publiques ». Les consultants et les experts privés foisonnent, les emplois pré-caires deviennent la norme pour les nouveaux agents para-étatiques, et le béné-volat des membres « désœuvrés » des communautés vise à « aider les Indiens à s’aider », selon la fameuse formule en vogue au sein des agences multilatérales de développement.

Si l’implantation du multiculturalisme est la conséquence des processus de dés-tructuration et de resdés-tructuration qui ont touché les sociétés et les économies latino-américaines, elle constitue aussi la réponse que les gouvernements et les agences de développement ont donnée aux fortes mobilisations indiennes des années 1980 et 1990. De sorte que, comme le notait fort à propos Manuela Carneiro da Cunha, derrière les indigenous policies nous trouvons toujours des indigenous politics 16. À partir de la fin des années 1990 et face à la massivité des politiques multicul-turelles et ethno-développementistes dans un contexte d’extraction accélérée des ressources naturelles et de retrait de l’État social, les organisations et communautés autochtones ont dû faire face à deux nouveaux défis : 1) la conquête de leurs terres et territoires ; 2) la mise en place et la prolifération des mécanismes étatiques et para-étatiques d’intervention qui prennent la culture comme objet de l’exercice du pouvoir. Face au déploiement de ces nouveaux dispositifs de domestication et de civilisation, les stratégies indiennes sont multiples : négociation, participation, résistance plus ou moins ouverte, enmascaramiento, exit et voice, pour reprendre les termes d’Albert Hirschman 17.

Il serait trop long de les analyser ici dans le détail. Aussi, ce qui retiendra notre attention est le fait que les mouvements sociaux autochtones nous paraissent jouer le rôle d’opérateur critique et qu’ils nous offrent la possibilité de repenser le poli-tique, les manières de faire de la politique et donc de concevoir la démocratie,

Il serait trop long de les analyser ici dans le détail. Aussi, ce qui retiendra notre attention est le fait que les mouvements sociaux autochtones nous paraissent jouer le rôle d’opérateur critique et qu’ils nous offrent la possibilité de repenser le poli-tique, les manières de faire de la politique et donc de concevoir la démocratie,

Dans le document Un modèle latino-américain ? (Page 48-59)