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4.5 Comprendre la séparation : expériences en molécules uniques

4.5.1 Effet de la concentration en PVP sur l’efficacité de la séparation

Comme discuté plus tôt, le caractère viscoélastique du fluide porteur utilisé dans nos expériences peut potentiellement impacter l’efficacité de séparation. Afin de tester cette hypothèse, nous avons entrepris des expériences de séparation d’un kb ladder pour différentes concentration en PVP (360 kDa) à force ionique constante (TBE 2X). Nous avons pour cela choisi de travailler à des concentrations en masse de 0.1, 2, et 4 % en PVP. Celles-ci équivalent respectivement à des concentrations 10 fois inférieures, 2 et 4 fois supérieures à la concentration de recouvrement critique en PVP. L’augmentation de la concentration en polymère amenant une augmentation de viscosité, nous avons caractérisé l’évolution de cette dernière à l’aide d’expériences de diffusion de lumière comme décrit dans la partie

méthodes de ce manuscrit. Les distributions en taille apparente des particules sont présentées en figure

4.22. Cette caractérisation nous permet d’adapter les chutes de pression afin de travailler à vitesse d’écoulement comparable4(Les diamètres moyens apparents ainsi que les viscosités déduites sont présentées dans la table 4.1).

Les expériences de séparation pour différentes concentration en PVP ont été conduites dans des fentes de 2µm de hauteur, un canal principal de 7 mm de longueur totale et une longueur de migration de 4,8 mm. Les pressions ont été ajustées respectivement à 100, 500, 1600 mbar pour les tampons de concentration 0.1 %, 2%, 4% (wt %) en PVP.

Les chromatogrammes obtenus pour différentes différences de tension sont présentés en figure 4.23.

Chromatogrammes correspondant à∆V = 0V Ces chromatogrammes confirment l’impossibilité de séparer par taille les différentes espèces composant le ladder. Les courbes sont composées d’un seul pic, approximativement gaussien. En terme de temps d’arrivée moyen, notre stratégie d’ajustement

FIGURE4.23 – Évolution du diamètre hydrodynamique (dh) apparent de traceurs de d=200 nm dans des solutions

de diverses concentrations en PVP.

des chutes de pression semble avoir payé puisque ceux-ci sont sensiblement égaux. On remarque aussi, à viscosité croissante, l’augmentation de la dispersion des pics, point sur lequel nous souhaitons nous arrêter un instant. Notre expérience est quasiment réalisée dans le régime de la diffusion de Taylor-Aris [Taylor, 1953] [Aris, 1956] [Alizadeh et al., 1980]. Ce régime est établi lorsque le temps de diffusion transverse des molécules est très inférieur au temps d’advection longitudinal. Soit pour des molécules de coefficient de diffusion D migrant à une vitesse moyenne ¯v sur une longueur Lmi g dans

une canalisation de hauteur H : H2/D << Lmi g/ ¯v. Or le temps de diffusion selon la hauteur de la

plus grosse molécule (10 kbp) dans le tampon de viscosité maximale (4 % PVP) vaut environ 20 s soit une durée proche de la durée totale de la migration. Nous considérons ce modèle pour les ordres de grandeur. Dans une canalisation de hauteur H dans laquelle s’écoule une espèce de coefficient de diffusion D0, le coefficient de diffusion augmentée de Taylor est donné par :

DT= D0+

¯

v2H2

210D0

(4.15) où ¯v est la vitesse moyenne du fluide. Si l’on néglige le premier terme devant le second (5 ordres de

grandeur les séparent dans le cas le plus défavorable), on obtient que, pour deux valeurs de viscositéµ1

etµ2et dans les mêmes conditions d’actionnement le rapport des coefficients de diffusion est donné

par : D1T D2Tµ1 µ2 (4.16) Ainsi observera-t-on un dispersion plus forte dans le cas d’un fluide plus visqueux ce qui est en accord avec les observations faites sur la largeur du pic composant les chromatogrammes. Ce fait tient

au temps d’équilibre par diffusion plus grand des espèces dans la canalisation, favorisant l’effet de diffusion augmentée sous cisaillement.

Notons enfin qu’un effet nous est impossible de quantifier avec les seuls chromatogrammes. Comme le montrent les montages effectués et présentés en figure 4.24, les espèces de plus haut poids moléculaire arrivent majoritairement en avance sur celles de plus petite taille. Cet effet est sensible si l’on s’intéresse à l’intensité individuelle des molécules, celle-ci étant proportionnelle à la taille (les points les plus brillants semblent arriver majoritairement en premier). Bien que difficilement quantifiable, cet effet va le sens d’une migration plus rapide des molécules les plus grosses due à une exclusion stérique plus importante aux bords [Liu et al., 2011], une migration préférentielle vers le centre dirigée par les interactions hydrodynamiques [Graham, 2011], ou encore, pour les solutions concentrées en PVP, une migration vers le centre dirigée par les contraintes normales [Romeo et al., 2013]. Cet effet est particulièrement visible sur les panneaux a) et b) ; la condition [PVP] = 4 % wt (panneau c))ayant été menée ultérieurement aux autres, elle est entachée de plus de bruit.

FIGURE4.24 – Série temporelle d’images de fluorescence correspondant aux conditions a) [PVP] = 0.1 wt % ,[PVP] = 2 wt % , [PVP] = 4 wt % pour des vitesses maximales de fluide équivalentes et∆V = 0V . L’intervalle entre les images est de a) 0.5 s b) 0.98 s c) 1.3 s

Chromatogrammes correspondant à∆V > 0V S’intéressant à la colonne [PVP] = 0.1 % il apparaît que l’intensité de fluorescence mesurée par le détecteur présente un pic décroissant lentement pour

t → ∞. A priori, cela semble consistant avec le fait qu’augmenter la vitesse électrophorétique ve

augmente la dispersion sur le temps d’arrivée. En effet, considérons des espèces infiniment petites devant la hauteur de la canalisation et animée d’une vitesse v = vh(z) − ve, où v(z) est la vitesse est la

vitesse du fluide à une altitude z. Sans effet de migration, celles-ci ont une vitesse moyenne donnée par ¯

v =23v0− veet l’on peut exprimer la dispersion par

∆v =p

< v2> − ¯v2=r 4

45v0 (4.17)

On remarquera que cette dernière ne dépend pas de veque l’on a supposée constante sur la hauteur

de la canalisation. Ainsi peut-on estimer la dispersion sur le temps d’arrivée ¯τ par ∆ ¯τ ¯ τ = ∆Lmi g Lmi g + ∆ ¯v ¯ v (4.18)

Si l’on néglige maintenant la dispersion sur la longueur de migration il vient : ∆ ¯τ ¯ τ ∼ 1 1 −ve v0 (4.19)

Soit une quantité qui diverge pour ve→ v0. Toutefois, considérant la mobilité électrophorétique de

l’ADN ∼ 2.510−4cm2V1s−1[Ou et al., 2009] [Randall and Doyle, 2006]5, il vient que dans nos condi- tions v0∼ 220 µs−1et ve∼ 20 µs−1soit encore ve/v0∼ 0.08 qui implique une augmentation d’environ

10 % de la dispersion relativement à celle en champ nul. Il s’avère que cet argument d’échelle ne peut expliquer la dispersion des mesures expérimentales à [PVP] = 0.1 %. Ce constat est d’autant plus vrai que nous n’avons pris en compte pour le dériver l’exclusion stérique des molécules proches de la parois qui a pour effet d’exclure des zones de vitesse nette négative. Nous argumentons donc que cet effet ne peut être expliqué sans supposer une probabilité de présence accrue des molécules vers la parois et donc l’existence une force de migration transverse en fluide simple. Cette conclusion est obtenue par des mesures indirectes, et devrait être approfondie par des expériences complémentaires qui n’ont pas été menées dans cette thèse.

S’intéressant à la colonne [PVP] = 2 % nous retrouvons des résultats similaires à ceux observés précé- demment. Les bandes de plus haut poids moléculaire migrent plus lentement et sont correctement définies pour sur le chromatogramme∆V = 30 V . Le pic de plus haute intensité (t ∼ 2.5 min) corres- pond à la bande N=3000 bp. Cinq bandes (4, 5, 6, 8, 10 kb) arrivent postérieurement à cette dernière, et deux antérieurement, ce qui témoigne du fait que les bandes 0.5, 1 et 1.5 kb sont mal résolues pour cette combinaison de chute de pression et différence de tension.

Les chromatogrammes obtenus pour [PVP] = 4 % apparaissent plus bruités que les précédents. Ceci est lié au fait qu’ils ont été obtenus ultérieurement à tous les autres, et à l’augmentation d’un signal de fluorescence parasite lié à l’adsorption non spécifique de molécules. Ces résultats permettent toutefois de dessiner les effets de l’augmentation PVP dans la solution. À différence de tension égale∆V = 20 V , les bandes de bas poids moléculaires sont bien mieux résolues et migrent plus lentement qu’avec une

• L’analyse des chromatogrammes à∆V = 0 V ne permet pas, considérant la dispersion des pics, de conclure à une migration des espèces au sein de la canalisation et ce quelle que soit la concentration en PVP. Un regard plus poussé sur les films acquis semble indiquer que les espèces de plus haut poids moléculaire migrent plus rapidement. Cette dernière observation est cohérente avec les phénomènes de migration vers le centre décrit plus tôt pour des particules

libres, dans un fluide Newtonien ou viscoélastique.

• Nous avons indiqué que l’allure des courbes d’intensité acquises pour [PVP] = 0.1 % ne pouvait s’expliquer sans phénomène de migration vers les bords. Ce constat semble être en adéquation avec les résultats de Zheng et Yeung [Zheng and Yeung, 2003]. Ces expériences nous ont aussi confirmé l’impossibilité de séparer les espèces moléculaire par taille dans un régime d’application en continu des champs hydrodynamique et électrophorétique.

• Des expériences à plus haute concentration en PVP nous pouvons retirer qu’une plus haute concentration en polymère neutre dans le tampon conduit à une meilleure résolution des espèces de bas poids moléculaire.

Au demeurant, cette étude apporte à la versatilité de notre technique de séparation. Nous avions jusqu’alors mis en avant que vitesse moyenne du fluide et vitesse électrophorétique pouvaient être ajustées à souhait afin d’optimiser la résolution d’une certaine gamme du spectre des tailles contenues dans l’échantillon. À ces deux paramètres vient ainsi s’ajouter la concentration en polymère neutre contenu dans le tampon de migration. Cette adaptabilité est à mettre en balance avec la technique d’électrophorèse sur gel, où l’on ne dispose que de deux variables d’ajustement, à savoir l’amplitude du champ électrique et la concentration en polymère.

4.5.2 Une preuve directe de la migration vers les bords