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4.5 Comprendre la séparation : expériences en molécules uniques

4.5.3 Étude en mouvement

La limite de résolution axiale en microscopie à champ large ne nous permet pas d’obtenir la position en z des molécules en mouvement. Dans la mesure où la migration tranverse est avérée, une mesure des propriétés de transport des molécules peut apporter des éléments d’importance, telle que la conformation des molécules, la distribution des vitesses suivant les conditions d’actionnement. Nous avons donc mené une expérience pour trois débits différents dans une canalisation de 2µm de hauteur et nombreuses conditions d’amplitude de champ électrique. Deux espèces d’ADN (λ 48502 bp et ΦX 174 5386 bp) ont été diluées dans un tampon identique à celui de séparation (TBE 2X, PVP 2%) et étudiées dans une canalisation de hauteur H = 2µm. En milieu infini ces molécules sont caractérisées par des rayon de gyration de l’ordre de 700 et 200 nm8. Lors du traitements des données, chaque espèce a pu être isolée suivant son intensité de fluorescence variant dans un rapport 9 :1 entre les deux molécules (proportionnel à la différence de taille).

Transport en champ hydrodynamique seul

la figure 4.31 présente les histogrammes de vitesses obtenus en champ nul pour les deux molécules. Les panneaux a) b) et c) correspondent aux résultats obtenus pour des chutes de pression∆P = 100, 200 et 300 mbar. Les distributions présentées font écho à celle que nous avons pu présenter dans le

chapitre concernant la caractérisation d’écoulements à l’aide de traceurs sphériques solides. Celles- ci présentent un pic commun situé respectivement à 80, 250 et 330µm.s−1. Une disparition plus importante des états de basse vitesse semble caractériser les distributions deλ par rapport à ΦX 174. Cet effet de dépeuplement peut être dû à la simple différence de taille des molécules ou à une migration plus importante vers le centre des molécules les plus grosses. La croissance du pic des distributions pourλ avec ∆P semble aller dans le sens d’une migration plus importante vers le centre pour des débits plus importants et est cohérente avec les éléments de bibliographie décrits plus tôt.9

Migration et localisation spatiale

La figure 4.32 correspond aux histogrammes des vitesses de chacune des molécules pour a)∆P= 100 mbar, b)∆P= 200 mbar, c) ∆P= 300 mbar pour différentes valeurs de la différence de tension ∆V appliquée aux extrémités du canal. La conversion de cette valeur en vitesse électrophorétique des molécules a été obtenu par suivi de molécule sans champ hydrodynamique et est donnée en figure 4.33. Sans champ électrique, les distributions sont piquées autour d’une valeur commune aux deux espèces et que l’on peut assimiler à la vitesse du fluide au centre de la canalisation. En effet,nous faisons ici l’hypothèse que, ces pics étant communs aux molécules, et devant la faible valeur du rayon de gyration deΦX 174, ceux-ci doivent être peu ou prou localisés en v0. Plus riche est l’évolution de ces distributions

à champ électrique non-nul. À faible champ (∆V = 5 V ) la distribution de vitesse de ΦX 174 est très délocalisée et s’étend de 0 à 280µm.s−1pour∆P = 200 mbar soit la quasi totalité des états de vitesses

disponibles. Les distributions de vitesses se rassemblent à champ électrique croissant et adoptent une dispersion minimale pour des vitesses moyennes nulles. Cet abaissement de la dispersion fait écho à la migration transverse décrite plus tôt. Le phénomène de migration est progressif et apparaît dès qu’un champ électrique s’oppose au mouvement des espèces dans la direction du fluide.

La figure 4.34 présente les vitesses moyennes des molécules pour différentes conditions d’actionnement. Ces vitesses sont tracées en fonction de la vitesse électrophorétique vedes molécules sans écoulement,

déduite de la courbe expérimentale de calibration 4.33.

Ces différents graphiques montrent une décroissance de la mobilité effective des molécules avec deux régimes différents : une décroissance rapide de la vitesse de migration des molécules avec la vitesse électrophorétique, suivie d’un régime de variation plus lent. Ce comportement est surtout visible pour les vitesses d’écoulement importantes, et la transition entre les deux régimes semble être d’autant plus 9Il est important de remarquer que la variation de la position du pic principal n’est pas linéaire en∆P, témoignant d’un

FIGURE4.32 – Histogrammes des vitesses des molécules pour différentes conditions de différence de tension ∆V et a) ∆P )=100 mbar, b) ∆P )=200 mbar, c) ∆P )=300 mbar.

nous semble plutôt être une indication de l’importance de la viscoélasticité du fluide puisque le ralentissement de la molécule se traduit par une modification du cisaillement autour de la molécule, et donc à un champ de force altérés.

Il est également intéressant de noter que la vitesse de migration des molécules est indépendante de la taille et déterminée par le champ électrophorétique lorsque la valeur de veest importante. Cet effet

est lié à l’écrasement et la localisation de la molécule au voisinage de la paroi, que nous avons décrit dans la figure 4.25. L’extension de la molécule devient suffisamment faible pour que petites et grandes molécules moyennent un champ de vitesse comparable au voisinage de la paroi et leur vitesse effective est déterminée par l’électrophorèse.

Pour finir, il est intéressant de se questionner sur la séparation des molécules vues à travers notre approche par suivi de trajectoires. La différence de vitesse de migration est surtout importante pour une faible vitesse de l’écoulement, de l’ordre d’un facteur 4 dans le panneau a) lorsque ve∼ 15 − 20 µm.s−1.

On note aussi que les barres d’erreur associées à la mesure de la vitesse moyenne sont importantes. Ce résultat est lié à l’élargissement des distributions expérimentales, qui ne présentent plus la forme de gaussiennes. Les molécules explorent un vaste champ de vitesse, car la force de localisation à la paroi est comparable à la force d’agitation thermique. Dans ce régime, la signification de l’écart type n’est probablement alors pas très pertinente, mais la différence de vitesse de migration entre Lambda et PhiX174 n’en reste pas moins significative.

Conformation et coefficient de diffusion des molécules

Au cours de sa migration, la molécule adopte une conformation globulaire dans la limite de notre résolution optique. Afin de quantifier cet effet, nous avons mené, dans les conditions expérimen- tales qui précèdent, une étude visant à mesurer l’extension des molécules. Pour ce faire, nous avons utilisé le logiciel ImageJ afin d’ajuster une forme elliptique sur l’image de fluorescence des ADN [Bonthuis et al., 2008]. Le rayon de gyration deΦX 174 étant sub-longueur d’onde, nous avons mené cette étude uniquement sur l’ADNλ. La figure 4.35 présente les histogrammes construits à partir de la longueur de l’axe majeur.

Comme qualitativement indiqué dans la figure 4.25, la convergence vers une conformation contrainte et globulaire est ici vérifiée. Tout comme nous avons pu le mettre en avant avec les histogrammes de vitesse, la dispersion sur les longueurs des molécules s’affaisse avec l’augmentation de l’amplitude du champ électrique. Les valeurs moyennes semblent atteindre un plateau autour de 2µm de lon- gueur. Notons ici que cette valeur correspond à la limite estimée de la méthode de détection. En effet,

FIGURE4.34 – Vitesses moyennes des molécules pour différentes conditions expérimentales a)∆P )=100 mbar,

b)∆P )=200 mbar, c) ∆P )= 300 mbar. Celles-ci sont tracées en fonction de la vitesse électrophorétique des

molécules sous une même différence de tension mais sans écoulement du fluide.

FIGURE4.35 – Statistique sur la longueur de l’axe majeur des molécules pour plusieurs différences de tension ∆V et a) ∆P )=100 mbar, b) ∆P )=200 mbar, c) ∆P )=300 mbar. Celles-ci sont tracées en fonction de la vitesse électrophorétique des molécules sans écoulement du fluide. La sous-figure d) présente les valeurs moyenne de cette extension.

plusieurs amplitudes du champ électrique.

FIGURE4.37 – Variation du coefficient effectif des molécules en fonction de la vitesse électrophorétique vepour

différents débits dans la canalisation.

l’ajustement des formes nécessite l’emploi d’un seuillage des images et donc une part d’arbitraire. Les objets étudiés atteignent donc leur dimension minimale par microscopie optique de fluorescence pour

ve> 15 µm.s−1.

Afin de quantifier la configuration des molécules de manière détournée, il nous est possible de nous intéresser au coefficient de diffusion selon la direction perpendiculaire à l’écoulement. À l’instar des travaux menés avec les billes, dans cette direction le mouvement des molécules peut être supposé indépendant de toute advection mais toutefois dépendant de leurs tailles. Pour ce faire, nous avons construit des histogrammes de distance parcourue par le centre de masse des molécules, durant l’inter- valle de temps entre deux images, selon la direction y perpendiculaire à l’écoulement. Des exemples de distributions ainsi construites sont données dans la figure 4.36.

Ces données sont par la suite ajustées à l’aide d’une fonction de la forme :

P¡ ∆y¢ =p A 4πDτexp à ¡∆y¢2 4Dτ ! (4.21)

τ correspond l’intervalle de temps entre deux images, et D est le coefficient de diffusion effectif caractérisant les molécules pour une condition d’actionnement donnée.

La figure 4.37 présente le coefficient de diffusion des molécules d’ADNλ et ΦX 174 en fonction de la vitesse électrophorétique.

Notons que les barres d’erreurs associées sont sans doute sous-évaluées car obtenues à partir de l’erreur sur l’ajustement. Correctement les exprimer requerrait la construction de distributions pour chacune des molécules passant dans le champ de la caméra. Cette approche nous est apparue a semblé trop lourde à mettre en oeuvre, sachant notamment qu’à champ électrique nul les molécules ne restent que quelques images dans le champ d’observation. Les données présentées sont normées sur le coefficient de diffusion dans un milieu infini déduit à partir de leur rayon de gyration et de la viscosité du milieu. Les données acquises pour les molécules deΦX 174 présentent un coefficient de diffusion relativement constant bien qu’environ ∼ 1.5 fois supérieur à celui admis dans un milieu infini. Cette supériorité fait écho au plus faible rapport signal sur bruit observé dans le suivi de cette espèce. En effet, le niveau de fluorescence d’un objet déterminant la précision avec laquelle on peut suivre son centre de masse, un faible rapport signal sur bruit est connu pour gonfler hypothétiquement la valeur du coefficient de diffusion [Martin et al., 2002]. L’étude menée surλ présente une tendance plus remarquable. Partant d’un coefficient de diffusion proche de celui observé en milieu infini, celui-ci croît de manière quasi linéaire avec amplitude du champ électrique imposée. Celui atteint ainsi une valeur jusqu’à environ 2.5 fois supérieure à celle admise en milieu infini. Ce résultat est associé au changement conformationnel de la molécule. Il est toutefois à noter que la localisation des molécules au bord se traduit par une augmentation des interactions hydrodynamiques, et également à un ralentissement de la diffusion. Or la variation du coefficient de diffusion de la molécule est le fruit de la combinaison d’un rapprochement du centre de masse de la molécule de la paroi avec une diminution de son rayon de gyration. Les deux effets étant antagonistes, le premier conduisant à un abaissement du coefficient de diffusion, le second à son augmentation, nous en déduisons que la conformation globulaire de l’ADN vu à travers son coefficient de diffusion est très importante.