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5.4 Etude n°2 : la plage de variation de F 0

5.4.3.1 Echelle hertzienne ou échelle logarithmique ?

De manière générale, les résultats présentés ci-dessus ne permettent pas de favori- ser une échelle par rapport à une autre. Les seuils de significativité restent sensiblement les mêmes dans les deux cas, ce qui nous amène à des conclusions similaires. A ce titre, nous avons fait le choix de conserver l’échelle hertzienne — plus caractéristique des analyses phonétiques — dans l’exposition des résultats.

5.4.3.2 Comparaison moyenne théorique vs observée

La première partie de la recherche montre clairement que l’exercice n’est pas aisé et que les groupes se comportent différemment face à cette tâche. Dans l’ensemble, les tableaux mettent en évidence une assez bonne imitation des voyelles par les té- moins. Seules les fréquences basses entre 90 et 110 Hz semblent poser problème à notre groupe. En effet, de telles fréquences restent rares puisque la voix conversation- nelle se situe entre La1 et Mi2, soit 110 et 164,8 Hz chez les hommes (Heuillet & al. 1995). Nous supposons donc qu’un effort vocal a dû être réalisé, ce qui implique des variations intra-sujets plus ou moins importantes et, par conséquent, un éloigne- ment certain par rapport aux cibles attendues. En ce qui concerne les patients, nous constatons que les difficultés apparaissent dans les basses mais surtout les moyennes

fréquences. Les moyennes de F0 des productions des patients sont souvent significa-

tivement plus hautes que les stimuli présentés. A titre de synthèse, le tableau 5.17 présente les écarts significatifs par rapport aux cibles attendues pour les trois voyelles selon les sujets. Pour les patients, nous observons que les difficultés en production dépendent des voyelles produites. Ainsi, pour [a] et [i], les différences se trouvent spé- cifiquement dans les basses et moyennes fréquences, entre 90 et 150 Hz ou 90 et 170 Hz respectivement. Quant à la voyelle [u], les imitations s’éloignent des stimuli de base sur la quasi totalité de l’échantillonnage (de 90 à 230 Hz). Cet ordre semble évoquer

la hiérarchie des F0 intrinsèques des voyelles que nous avons évoquée précédemment

(cf. section 5.3.3.1).

A notre connaissance, aucune étude ne s’est intéressée à la problématique de la

plage de variation de F0 après cordectomie. En conséquence, nous ne pouvons qu’é-

mettre des hypothèses relatives à ces résultats. En ce qui concerne les basses fré- quences, l’éloignement des productions de nos deux échantillons par rapport à la cible attendue pourrait être lié à un effort, voire à un forçage vocal. Néanmoins, cette hy-

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pothèse reste controversée par les conclusions de notre expérience préliminaire sur les

voyelles stables. Nous avons pu mettre en lumière que la F0 des patients était statisti-

quement plus élevée que celle des témoins pour chacune des trois voyelles. Ainsi, les imitations dans les basses et moyennes fréquences restent difficiles pour nos patients car intrinsèquement leur fréquence fondamentale est plus élevée. Le cas de la voyelle [u] semble particulier. En effet, les imitations des patients s’écartent des cibles sur une

portion plus importante de l’échantillonnage. Sachant que la F0 intrinsèque de cette

voyelle est la plus haute, nous pouvons supposer que les patients ont davantage de

difficulté à baisser la F0.

D’un point de vue articulatoire, les voyelles [a, i, u] se distinguent par leur diffé- rence de hauteur et par une position linguale particulière. La production de la voyelle [a] ne nécessite pas de mouvement ample de la langue, ce qui implique une résistance laryngée et une tension du conduit vocal moindres. Celle-ci est centrale, ce qui confère à ce segment une articulation assez simple. Les voyelles [i] et [u] partagent une posi- tion haute de la langue, ce qui engendre une pression plus importante sur les structures laryngées, plus particulièrement sur l’os hyoïde, et une tension verticale plus grande du larynx (Netsell & al. 1991, entre autres). L’élévation du larynx pour ces voyelles est responsable d’une augmentation de l’impédance laryngée. La voyelle [i] est antérieure, c’est-à-dire que sa production nécessite un contact linguo-palatal dans la région coro- nale. La voyelle [u], quant à elle, est postérieure et est réalisée par un contact linguo- palatal dans la région dorsale. Une vocalisation dépend donc d’une mise en vibration efficace des plis vocaux associée à une articulation précise, c’est-à-dire à la synchro- nisation de deux gestes distincts pour les voyelles fermées ou d’un geste unique — la vibration des plis vocaux — pour la voyelle basse. Ainsi, les voyelles hautes semblent plus complexes à réaliser car les sujets doivent faire coïncider un déplacement verti- cal et horizontal de la langue — ce qui est source d’une plus grande tension laryngée — avec une vibration glottique active. Les patients, quant à eux, sont confrontés à un défaut vibratoire et doivent faire face parallèlement à une articulation linguale précise pour la production de ces voyelles. L’association de l’ensemble de ces gestes et les difficultés vibratoires évidentes sont des arguments en faveur d’une production plus problématique de ces segments. Aussi, les plis vocaux et, plus largement le conduit vocal, sont davantage tendus pour la production des voyelles hautes, ce qui implique des résistances plus importantes (Netsell & al. 1991, entre autres) et, in extenso, rend la tâche d’imitation plus complexe.

90 110 130 150 170 190 210 230 250 témoins [a] patients 90 110 130 150 170 190 210 230 250 témoins [i] patients 90 110 130 150 170 190 210 230 250 témoins [u] patients

Table 5.17 – Tables synthétiques des écarts significatifs (en gris) entre les cibles attendues et les imitations des voyelles [a], [i] et [u] selon les groupes des témoins et des patients (d’après les données exprimées en Hertz).

5.4.3.3 Comparaison inter-groupes

La comparaison inter-groupes nous montre qu’une fois encore, la F0 des patients

est statistiquement plus élevée que celle des témoins pour chacune des modalités à imiter et ce pour les trois voyelles. Les différences statistiques entre les deux groupes se trouvent principalement dans les moyennes fréquences, ce qui n’est pas étonnant puisque les écarts des patients avec les cibles se situent principalement dans cette zone fréquentielle. En ce qui concerne le jitter, les différences inter-groupes s’orientent également dans les basses et moyennes fréquences. Néanmoins, ces résultats sont à prendre avec précaution car les zones où apparaissent ces différences ne sont pas for- cément nettes et définies. Aussi, le test sur les voyelles stables n’avait pas montré de différence significative entre nos deux populations pour le jitter.

Comme nous le précisions plus haut, aucune recherche ne s’est réellement atta-

chée à définir les plages de variation de F0 de patients traités par cordectomie laser

avec le type de méthodologie que nous avons mis en place. En conséquence, la dis- cussion de nos résultats s’avère difficile. Nous pouvons mentionner les études de Sittel & al. (1998), Mirghani (2009) et Claeys (2010) qui utilisent le phonétogramme pour déterminer le profil vocal des patients. Néanmoins, une fois de plus, ces travaux n’in- cluent pas forcément les mêmes types de cordectomies que notre recherche, ce qui rend difficile la comparaison des résultats.

Le phonétogramme permet de tracer l’étendue vocale dans un plan avec les fré- quences en abscisse et les intensités en ordonnée, en reportant sur un graphe les re- productions de notes de musique aux intensités les plus basses et les plus fortes. En reliant les points, nous obtenons un tracé qui renseigne sur la dynamique tonale et la dynamique de l’intensité du sujet (cf. figure 5.16).

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Figure 5.16 – Exemple d’un phonétogramme d’un locuteur de 58 ans sain. Sa dy- namique tonale s’étend du Mi 1 (soit 82 Hz) au Do 4 (soit 523 Hz) et sa dynamique d’intensité varie de 50 à 90 dB (Teston 2004).

Celui-ci est rarement utilisé en recherche pour l’analyse de la voix mais est plutôt utilisé comme un outil de rééducation, ce qui explique le peu de travaux l’incluant. Sittel & al. (1998), dans une étude sur 72 patients ayant subi une cordectomie de type I, II, III et IV, ont mis en évidence que les dynamiques fréquentielles les plus alté- rées correspondaient au type IV. Les auteurs précisent que les résultats vocaux sont davantage corrélés aux mécanismes phonatoires adoptés après la chirurgie et ne sont pas forcément liés à l’étendue des tissus reséqués. Ils soulignent également que la pré- servation de la commissure antérieure est primordiale dans l’étendue des dynamiques fréquentielles et d’intensités. L’étude longitudinale de Claeys (2010) tend à confirmer ces résultats. Celle-ci a conclu que la linéarité anatomico-fonctionnelle n’a pas été retrouvée dans ses données. En effet, c’est le G2 (III-IV) qui présente la dynamique fréquentielle la plus restreinte par rapport au G1 (I-II) et au G3 (V-VI). Enfin, après avoir relevé les fréquences minimales et maximales et les intensités minimales et maxi- males pouvant être produites entre le 1er et le 12ème mois PO sur la voyelle [a] pour des cordectomies de type I, Mirghani (2009) a conclu que ce type de chirurgie n’avait finalement qu’une incidence limitée sur la qualité et l’étendue vocale.

Synthèse de l’étude n°2 : la plage de variation de F0

Objectif de l’étude : observer les plages de variation de F0des patients et des témoins

Corpus : imitations des voyelles [a, i, u] synthétisées à différentes fréquences (de 90 Hz à 250 Hz selon un intervalle de 20 Hz).

Principaux résultats : – bonne imitation des témoins,

– difficultés dans les fréquences entre 90 et 150 Hz pour la voyelle [a], entre 90 et 170 Hz pour la voyelle [i] et entre 90 et 230 Hz pour la voyelle [u]des patients,

– différences inter-groupes significativement différentes dans les moyennes fréquences, principalement entre 90 et 130 Hz pour [a], 110 et 130 Hz pour [i] et 110 et 190 Hz pour [u],

– F0des productions des patients plus élevées que celles des témoins,

Conclusions :

– hiérarchie dans la difficulté de la tâche qui évoque l’ordre des F0 intrinsèques des

voyelles,

– résultats qui confirment l’élévation de la F0en postopératoire.