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La durabilité de l’aménagement spatial de l’élevage au Vietnam

L’objectif de cette thèse est d’étudier les relations entretenues entre les systèmes d’élevage et les agroécosystèmes en tenant compte de la dimension socio-économique du développement sectoriel mais aussi, plus généralement, du développement des campagnes au Vietnam. Ces relations sont analysées à travers une approche spatiale et temporelle à quatre échelles géographiques distinctes. Il nous faut donc des indicateurs à étudier selon une approche géographique et diachronique. Géographes quantitatifs, économistes, agronomes et zootechniciens se retrouvent sur cette pratique de production d’indicateurs avec l’objectif de mesurer la productivité des systèmes. Dès qu’il s’agit du monde des indicateurs, une multitude de démarches analytiques apparaît. Le modèle de la durabilité (sustainbility) s’intéresse à un phénomène selon trois dimensions : économique, sociale, environnementale. Le modèle des moyens de subsistances (rural livelihoods) analyse les ménages selon cinq critères capitaux : humain, physique, financier, social et naturel. D’autres méthodes d’analyse existent comme le modèle DPSIR : force, pression, état, impact, réponse ou encore l’analyse en cycles de vie avec des approches de métabolismes et de flux. Le modèle de la durabilité des systèmes d’élevage reste le plus simple à mettre en œuvre dans une démarche spatiale multiscalaire et temporelle.

Les agroéconomistes, vétérinaires et zootechniciens ont mis en place une série d’indicateurs spécifiques à la durabilité des systèmes d’élevage depuis déjà les années 1970 avec le développement des exploitations intensives aux Etats-Unis et en Europe du Nord. Aujourd’hui, la littérature s’accorde sur des indicateurs fondamentaux et des indicateurs secondaires. Il faut par ailleurs prendre en compte que les réflexions sur la durabilité peuvent être menées à l’échelle des exploitations, des filières économiques ou encore des entités administratives.

Pour les sciences agricoles, la durabilité des systèmes d’élevage doit obligatoirement intégrer des indicateurs de performance économique et d’autonomie financière des systèmes de production. Il est impossible de raisonner sans la question de la rentabilité des activités agricoles notamment dans le cas de populations paupérisées. Les conditions environnementales de la durabilité sont aussi très bien appréhendées. Le cycle des nutriments (Thorne and Tanner 2002), le risque de pollution des éléments naturels (Xiaoyan 2005), la diversité végétale et animale (Alkemade et al. 2013), l’utilisation des terres (DeFries, Foley, and Asner 2004) et l’utilisation efficiente des énergies non-renouvelables (Taheripour, Hurt, and Tyner 2013) font partie de la batterie d’indicateurs. Dans la catégorie sociale, les indicateurs sont moins standardisés. On parle d’emploi, de diversité des activités économiques et non-économiques, de position sociale, d’organisations d'acteurs, de réseaux sociaux, d’adaptabilité voir de résilience. Lebacq, et al. (2012) ont tenté de faire la synthèse des indicateurs utilisables pour définir la durabilité des systèmes d’élevage. Ces approches sont néanmoins dépendantes de la disponibilité et de la qualité des données quantitatives.

L’observation de l’aménagement spatial des systèmes d’élevage au Vietnam consiste dans un premier temps à considérer, au moins à l’échelle de plusieurs entités administratives, trois indicateurs : la charge animale, la structure de la production et la structure du système de production. La charge se calcule soit en nombre de têtes par surface agricole ou surface cultivée, soit en unités d’élevage par unité de superficie. La structure de production correspond aux différentes échelles de concentration animale au sein de l’exploitation ou d’une entité administrative. Le système d’élevage correspond à la classification internationale des systèmes d’élevage. Cela nous permet de comprendre l’organisation du secteur de l’élevage dans le pays. Où se trouvent les zones à forte densité animale, les zones à faible densité ? Quels sont les types de structure et les types de système par densité ? Y a-t-il un risque lié à une surconcentration de systèmes hors-sol dans certaines régions du Vietnam ?

Cette approche va nécessiter des données relativement fines sur l’ensemble du Vietnam. Les données statistiques du Bureau Général de la Statistique (GSO), du Ministère de l’Agriculture et du développement Rural (MARD) et les recensements agricoles du pays vont être très utiles pour cette analyse du secteur de l’élevage. Les pratiques des éleveurs permettant de recycler les externalités de leurs élevages et d’éviter ainsi des pollutions seront particulièrement étudiées. De manière traditionnelle, la fumure animale a pour fonction d’importer des nutriments dans le système agricole (conversion de l’herbe en fumier) et de recycler l’énergie précédemment utilisée pour nourrir l’animal dans le système agricole. Avec l’introduction des engrais et de l’aliment industriel, les systèmes se trouvent déséquilibrés avec des surcharges en nutriments d’origine animale et chimique. Gerber et al. (2005) réalisent un bilan de la concentration de phosphate (P2O5) d’origine animale et minérale par rapport aux besoins des cultures en Asie orientale. Carte n°2 : Concentration de phosphate

dans les effluents d’élevage (kg/ha) en 2000

Carte n°3 : Balance de phosphate (kg/hat) en 2000

L’objectif est de localiser les concentrations spatiales de P2O5 kg/ha et de connaître la contribution de l’élevage dans ces concentrations. Le bilan de phosphate calcule : les besoins des cultures, la somme des émissions de P présent dans les déchets d’élevage, la somme des émissions provenant de la fertilisation des champs (organique et minéral), le bilan entrées/sorties du système et enfin le rapport entre les émissions d’élevage et les émissions de fertilisation.

Les résultats de cette étude montrent que 25% des terres agricoles dans cette partie du monde sont surchargées en phosphate avec un bilan excédentaire de 40kgP2O5/ha. Selon l’auteur, il est possible de réduire les pollutions liées aux élevages en utilisant mieux les valeurs fertilisantes des déchets d’élevage en agriculture et en diminuant sensiblement la pression environnementale de l’activité. Pour réduire les concentrations, l’Etat est fortement incité à agir car le secteur ne pourra se réguler s’il n’est pas contraint. « Dans le

contexte asiatique, le recyclage des effluents d’élevage sur les cultures ou dans les étangs piscicoles est une option plus économique que le traitement [biochimique] des effluents. Lorsque les unités de production ou de transformation se trouvent dans un cadre périurbain, loin des cultures et des étangs piscicoles, les coûts élevés du transport rendent les pratiques de recyclage non rentables. Les unités de production doivent également souvent faire face à des prix fonciers élevés et ont donc tendance à ne pas construire des bâtiments de traitement de taille adéquate. Les effluents sont ainsi souvent déversés directement dans les voies d’eau urbaine » (Steinfeld et al., 2006).

Avec la spécialisation régionale, liée à la relocalisation des productions animales, certaines régions passent en situation d’excédent structurel. Autrement dit, même en substituant la totalité des engrais chimiques par des engrais organiques, la région se trouve en surplus. Il existe une multitude d’actions à mener pour diminuer l’impact environnemental de l’élevage allant du niveau national, avec des zonages et des planifications, jusqu’au niveau des exploitations, réglementant leur localisation et le rapport entre leur équipement et leur niveau de production. L’Europe est particulièrement reconnue pour ses actions menées en faveur de l’environnement dans le cadre de la Directive Nitrate (Martinez et Bozec, 2000) (Buckley et al. 2015). Cependant, le modèle européen ne peut pas vraiment aider l’Asie dans la mesure où les densités humaines sont totalement différentes et l’organisation des villages bien plus concentrée que les exploitations dispersées du nord de l’Europe. L’Asie orientale doit trouver ses propres solutions même si les principes généraux des bilans de nutriments d’origine chimique et organique restent valides.

Certaines provinces au Vietnam sont en train de mettre en place des politiques de zonage de l’espace visant à limiter le développement des « fermes spécialisées » à proximité des zones résidentielles. On peut supposer qu’il y a dans ces provinces là un début de forte concentration animale. Les communes doivent mettre en place des « zones interdites aux élevages » et des « Zones de Développement d’Elevage » (ZDE). Cette politique vise

explicitement à « normaliser » le secteur de l’élevage vu par l’Etat comme informel, incontrôlable, voire anarchique. Paradoxalement, l’Etat excerce un fort contrôle sur les producteurs au travers du Parti Communiste. Les ZDE doivent mieux encadrer la localisation des fermes intensives. Pour autant, quid des petits élevages familiaux de basse-cour ? Sont-ils tolérés, limités ou interdits en dehors des ZDE. Comme se passe l’attribution des terres dans les ZDE ? Qui peut avoir accès à ce foncier protégé ? Cette politique de zone d’élevage s’inscrit dans des logiques d’investissement en infrastructures (routes, électrification, zones industrielles) qui vont bien au-delà du secteur de l’élevage. En favorisant l’accès à du foncier éloigné des zones résidentielles, l’Etat cherche à sécuriser les investissements privés. Il y a donc une recherche de durabilité économique pour les élevages intensifs. Est-ce que ces projets sont aussi durables d’un point de vue environnemental et social ? Quel sera l’impact d’une telle politique sur la restructuration de la production, la dynamique des systèmes d’élevage et donc de l’intégration agriculture-élevage au sein des systèmes agro-écologiques ? Pour répondre à ces questions, nos observations de terrain seront analysées avec des données, fournies par les services en charge du développement agricole, sur les systèmes d’élevage à des échelles infra communales. Cette masse de données de différentes sources sera traitée et les données seront recoupées.

1.4.4. Une géographie quantitative de terrain : comment gérer la question

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