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Accélération de la place des fermes intensives dans le paysage agricole au début des années 2000

INDUSTRIALISATION INTERNATIONALE

2.3.4. Des productions animales en difficulté : évolution conjoncturelle et structurelle

2.3.4.3. Accélération de la place des fermes intensives dans le paysage agricole au début des années 2000

Au début des années 2000, le gouvernement souhaite soutenir l’émergence d’une économie agricole commerciale ayant pour fonction l’approvisionnement des marchés locaux et internationaux (Dao The Tuan 2002). En 2000, le MARD crée une catégorie de « fermes » spécialisées dans la fourniture de produits alimentaires. Cette catégorie se différencie des exploitations agricoles familiales à orientation vivrière. Selon la logique du MARD, pour améliorer les rendements, il faut professionnaliser les exploitants agricoles. Pour les professionnaliser, il faut les spécialiser dans un domaine d’activité. Une ferme aura un domaine d’activité : culture annuelle, culture pérenne, élevage, foresterie. Ces fermes restes donc familliales même s’il existe des fermes spécialisées non-familliales. Au début, le MARD accepte les fermes mixtes avec plusieurs spécialités. Le gouvernement met en place la politique de « économie de la ferme » aussi appelée kinh

the trang trai (KTTT) dans la circulaire No. 69/2000/TTLT/BNN-TCTK. (Phan Si Man,

Tableau n°20 : Définition d’une trang trại en 2000 Type de

production agricole

Indicateurs Nord et Région

côtière Sud et Centre

Revenu 40 million VND 50 million VND

Culture Culture annuelle 2 ha 3 ha

Culture pérenne 3 ha 5 ha or 0.5 ha

Forêt Foresterie 10 ha

Elevage

Elevage grands

ruminants 10 vaches laitières ou 50 vaches à viandes Elevage porcs et petits

ruminants

20 chèvres ou 100 moutons pour la reproduction ou 100 porcs à l’engrais ou

200 chèvres et plus pour la viande Elevage de volaille 2000 unités ou plus au-dessus de 7 jours Aquaculture Aquaculture 2 ha or 1 ha (for industrial raising shrimp)

Source : traduction personnelle, thư viện phát luật, 2014 En 2001, le pays compte 61 000 exploitations répondant aux critères soit moins de 0.5% des exploitations agricoles familiales recensées dans le pays (Agricultural Census, 2001). A la fin de l’année 2010, elles sont 145 880 soit 1.4% à être comptabilitées comme fermes spécialisées (GSO, 2011).

Tableau n°21 : Répartition des trang trại par région et par type d’activité en 2001

Région Culture

annuelle

Culture

pérenne Elevage Aquaculture Mixte Total

Fleuve Rouge 182 324 156 1026 146 1834 Montagnes du nord 54 1 685 69 597 931 3336 Littoral 1 570 1 933 151 2 010 253 5917 Hauts plateaux 416 5 407 84 43 85 6035 Sud-Est 1 750 8 104 1 123 1 210 518 12705 Mékong 17 782 793 178 12 130 307 31190 Total 21 754 18 246 1 761 17 016 2 240 61017 Source (GSO, 2014)

En 2001, la majorité des trang trai sont de cultures (annuelles, pérennes) ou d’aquaculture. Les fermes d’élevage représentent à peine 1% du total. Le Mékong détient la moitié des fermes. Le Sud-est concentre 20% des exploitations. Il y a un véritable gradient nord-sud avec une diminution progressive du nombre de trang trai en direction du nord. En 2000, la définition était donc plutôt favorable au Sud du pays.

Dix ans après, le nombre de trang trai a particulièrement augmenté. Les fermes de cultures annuelles et d’aquaculture sont deux fois plus nombreuses. Le nombre de fermes de cultures pérennes a augmenté de 40%. Le nombre de fermes d’élevage est passé de 1700 en 2001 à plus de 23 500 en 2010. Le nombre d’exploitations en élevage a été multiplié par 13 en neuf ans, soit une croissance annuelle de 35%. C’est la plus forte croissance sur la décennie. La région du Delta du fleuve rouge a particulièrement profité de cet essor des fermes d’élevage. Le nombre de fermes d’élevage y a plus que doublé chaque année pendant neuf ans. Le développement de l’élevage a permis au delta du fleuve Rouge de passer de la dernière position à la deuxième place au classement régional. La catégorie des fermes d’élevage conserve sa quatrième place.

Tableau n°22 : Répartition des trang trại par région et par type d’activité en 2010

Région Culture

annuelle

Culture

pérenne Elevage Aquaculture Mixte Total

Fleuve Rouge 276 555 10 277 5 251 7 215 23 574 Montagnes du nord 173 1 365 1 926 462 2 177 6108 Littoral 5 291 4 381 3 173 3 690 4 956 21 491 Hauts plateaux 1 300 6 379 812 63 378 15 945 Sud-Est 1 078 9 623 4 083 777 378 15 945 Mékong 34 495 3 352 3 281 26 894 1 808 69 830 Total 42 613 25 655 23 558 37 142 16 915 145 880 Source (GSO, 2014) Gironde (2009) note cette évolution des structures de production dans le delta du fleuve rouge « Pour tenter de dépasser les limites de la « petite » exploitation familiale, le

gouvernement promeut des modèles. [...] Depuis quelques années, c’est le modèle des fermes. Cette politique affecte la distribution de deux ressources, la terre et le crédit : pour favoriser la constitution des fermes, les autorités locales ont progressivement modifié les conditions d’accès aux terres en adjudication. Les tirages au sort ont été

Cependant, cette dynamique de concentration des ressources s’accélère en 2011. De manière un peu inattendue, le MARD et le Bureau Général de la Statistique décide de faire évoluer la définition légale des fermes. La circulaire No. 27/2011/BNNPTNT donne la définition suivante.

Tableau n°23 : Définition d’une trang trại en 2011

Type de ferme Nord et Région côtière Sud et Centre

Culture annuelle Culture pérenne Aquaculture 2.1 ha 700 millions VND 3.1 ha 700 millions VND Foresterie 31 ha 500 millions VND Elevage 1000 millions VND

Source : traduction personnelle, thư viện phát luật, 2014 Les chiffres d’affaires annuels sont relevés comme les superficies cultivées. Cette augmentation des seuils entraine une diminution drastique du nombre de fermes commerciales. En 2011, le Vietnam comptait 145 000 trang trại en 2010, elles ne sont plus que 20 100 en 2011. Ce changement de définition est intervenu quelques mois avant le recensement agricole de 2011. La nouvelle définition a donc prévalu lors du comptage. L’accueil de cette nouvelle a été relativement mitigé sur le terrain41. La presse locale s’est fait l’écho des perdants de la réforme. Certains services de l’Etat des provinces perdantes n’ont pas caché leur mécontentement. Selon eux, la nouvelle définition est inadaptée aux réalités agraires du Vietnam. 0.002% des exploitations agricoles peuvent avoir accès à ce statut. En zone de montagne, certaines provinces n’ont plus aucune exploitation compatible avec la nouvelle définition. Cependant, la presse nationale recadre les récalcitrants et se félicite d’une politique pragmatique en période de crise économique. Depuis 2008, les ressources financières des banques sont limitées. La diminution du nombre de trang trại permettra de mieux concentrer les aides sur un nombre réduit d’unités de production. Pour certains analystes vietnamiens, l’ancienne définition ne faisait pas bien la distinction entre les petites et moyennes exploitations familiales des vrais fermes commerciales. Autrement dit, le MARD redéfinit le périmètre de la catégorie pour mieux l’encadrer à l’avenir (Kojin, 2013).

41 Promulgation de nouveaux critères pour la certification KTTT Quels sont les avantages pour les éleveurs ? (Kinhtenongthon.com.vn, 29/08/2011, consulté le 12 juin 2014)

Difficultés dans le développement de l’économie agricole (baothanhhoadientu.com.vn 26/04/2013, consulté le 12 juin 2014)

Tableau n°24 : Répartition des trang trại par région et par type d’activité en 2011

Région Culture

annuelle

Culture

pérenne Elevage Aquaculture Mixte Total

Fleuve rouge 24 19 2 439 923 107 3 512 Montagnes du nord 3 35 519 21 15 593 Littoral 101 655 507 261 226 1 750 Hauts plateaux 97 2 037 370 9 15 2 528 Sud-Est 144 3 286 1 851 54 54 5 389 Mékong 2 218 16 581 3 172 319 6 306 Total 2 587 6 048 6 267 4 440 736 20 078 Source (GSO, 2014)

Avec ce changement de définition, la géographie des trang trại passe d’une répartition relativement inégalitaire, où le Mékong concentrait près de la moitié des trang trại, à une situation plus égalitaire. La législation précédente donnait une grande importance aux propriétaires terriens alors que dans la nouvelle définition la législation s’intéresse aux agriculteurs qui produisent une certaine valeur économique. L’hétérogénéité inter-régionale des trang trại a diminué même si l’écart entre la plus première région et dernière région a augmenté. Les régions perdantes sont les montagnes du Nord et la région littoralle. Les zones de montagne ont quasiment perdu toutes leurs fermes commerciales. Cela pose un vrai problème politique de développement agricole dans les zones reculées au nord du pays.

La diminution des fermes a touché principalement les exploitations spécialisées dans les cultures annuelles. La contrainte des 700 millions de dong a provoqué la disparition de 94% des fermes commerciales spécialisées dans les cultures annuelles. Les fermes d’élevage et les fermes de culture pérennes résistent mieux à l’effondrement généralisé. Leurs nombres diminuent respectivement de 73% et 76%. Les fermes commerciales de cultures pérennes ont une superficie agricole souvent plus élevée car elles se situent sur les fronts pionniers des régions du Sud-Est et des hauts plateaux du Centre. Dans le cas des fermes d’élevage, un quart des anciennes trang trại d’élevage s’est maintenu, ce qui prouve leur vitalité économique (Parsons, 2014). Plus de 6200 fermes réalisent un chiffre d’affaire supérieur à un milliard VND (40000 USD). Les fermes commerciales au nord du Vietnam sont en grande partie des fermes d’élevage. Elles sont aussi très présentes dans la région du Sud-Est. Les fermes d’élevage dans le nord du pays ont donc été mises en avant

Carte n°27 : Nombre de trang trại d’élevage par province en 2010

Carte n°28 : Nombre de trang trại d’élevage par province en 2011

La géographie des trang trại est en soi une géographie financière de l’agriculture. A travers la nouvelle répartition des fermes d’élevage, c’est tout le système financier des banques agricoles du Vietnam qui redirige ces financements. Il y a un effet levier sur le fléchage des financements du secteur de l’élevage. En étant ferme commerciale, le plafond de crédit agricole prévu par la loi est plus élevé que pour une exploitation familiale. Selon le décret 41/2010/NĐ-CP du 14 avril 201042, un ferme commerciale peut demander un prêt allant jusqu’à 500 millions VND contre seulement 50 millions VND. Il est évident que le plafond des fermes commerciales est nettement plus intéressant que celui des exploitations familiales. Le crédit est un des rouages essentiels de l’intensification de la production agricole. Devenir trang trại permet auss de sécuriser sa propriété foncière (Kojin 2013). A travers la logique d’endettement, les propriétaires de trang trại s’assurer d’une propriété terriennen sur plusieurs dizaines d’années.

Parmi les 20 000 trang trại officiellement recensées, très peu sont officiellement certifiées. La certification est un processus qui permet de faire passer une exploitation agricole du statut statistique de trang trại au statut de trang trại certifiée. Dans la province de Bac Ninh, sur 119 trang trại comptabilisées dans la province, seulement 17 ont obtenu la certification trang trại 43. La certification d’une ferme commerciale suit une procédure stricte. Le comité populaire de Sông Công, chef-lieu de la Province de Tây Nguyên, à cinquante kilomètres au nord d’Hà Nội a mis en ligne la procédure administrative pour obtenir la certification. Le processus prend quinze jours. La personne en charge de l’économie des fermes commerciales (KTTT) au DARD d’un district doit examiner les pièces du dossier et les transférer au département d’économie. Un groupe d’experts est ensuite constitué pour examiner le dossier. La phase de terrain sur le siège de l’exploitation prend deux jours. Un rapport sur l’exploitation agricole est rédigé par le département économique du DARD. Si le rapport donne une décision d’acceptation alors le comité populaire signe la décision de certification.

Tableau n°25 : Exemple de procédure pour certifier une ferme conforme KTTT

Diagramme de la procédure (KTTT)

Procédure Qui ? Quand ?

1 Réception du dossier Pers. en charge KTTT 1 jour 2 Examen des pièces du dossier Pers. en charge KTTT 1 jour 3 Création d'un groupe d'examen Département d'économie 5 jours 4 Examen du terrain Groupe d'examen 2 jours 5 Elaboration du rapport, version préliminaire de la

décision et de la certification Département économique 1 jour

6 Soumission pour acceptation Département économique 2 jours 7 Signature de la décision et de la certification Comité populaire 1/2 jour 8 Réception de la décision et de la certification Pers. en charge KTTT 1/2 jour

Source : UBND THỊ XÃ SÔNG CÔNG (2011)

Déclarer le chiffre d’affaire s’est aussi s’exposer à un contrôle fiscal. De nombreux exploitants agricoles préfèrent oublier la certification plutôt que de faire certifier leur comptabilité par les autorités du district. D’autre part, les lenteurs administratives et la corruption rend la procédure longue et fastidieuse. La durée de cette procédure dépend des relations sociales développées par l’exploitant agricole au sein des services du DARD. Plus un agriculteur aura tissé des liens forts avec les membres de l’administration publique plus il lui sera aisée d’obtenir le statut.

En 2014, le MARD a émis la dernière grande politique en matière de trang trại a été la décision No 984/QD-BNN-CN en faveur du projet de restructuration du secteur de

l’élevage pour une plus grande valeur ajourée et un meilleur développement durable. Le

premier objectif de cette décision est de « déplacer progressivement les fermes d’élevage (« chăn nuôi trang trại ») des zones à forte densité humaine (deltas) vers les régions à faible densité humaine (montagne) en créant des régions libres de toute maladie animale loin des villes et des habitations. Dans chaque localité, des zones de développement pour l’élevage seront créées à l’échelle communale, intercommunale, des districts et entre districts afin d’accueillir des investissements ciblés 44 » (MARD, 2014)

L’expression « zone de développement pour l’élevage » provient de la version anglaise de la décision No 984/QD-BNN-CN « Livestock development zone ». Dans la version vietnamienne de la décision, l’expression est libre d’interprétation « xã chăn nuôi trọng

điểm » (foyer communal d’élevage) faisant référence à l’échelle de la commune (xã)

. Ce

projet de restructuration de l’élevage à l’échelle régionale ambitionne de redistribuer au niveau régional des systèmes d’élevage grâce à une politique de zonages des terres à l’échelle locale.

Tableau n°26 : Evolution des parts du cheptel porcin entre 2013 et 2020 Fleuve

Rouge

Montage

du nord Littoral

Hauts-Plateaux Sud-Est Mékong

% porc

actuel 25,8 23,9 19,2 6,4 10,5 14

% de porc

2020 15 30 24 15 5 26

45

En cumulant la Stratégie de l’élevage à l’horizon 2020 plus la loi de restructuration de la production de 2014, les projections de distribution des troupeaux, notamment porcin, suivent des directions tout à fait imprévues au regard des trajectoires actuelles. On se retrouve avec des augmentations extrêmement rapides dans les régions d’altitude et dans la zone littorale. Les régions de delta devront selon cette stratégie continuer à décroître et passer à des niveaux de concentration proche du début des années 2000.

44 Traduction personnelle

Graphique n°35 : Projection de la distribution des effectifs porcins selon les régions à l’horizon 2020

Source : calcul personnel Cette vision reliant plusieurs échelles géographiques (local/régional) et différents acteurs socio-économiques (public/privé) interpelle sur un tel niveau d’intervention de l’Etat, sur son périmètre d’action et ses mécanismes de mise en œuvre. Le ministère veut à travers cette décision influencer à la fois la distribution spatiale de l’élevage et la restructuration des systèmes de production grâce à une politique de spécialisation foncière. La question de la restructuration de l’élevage ou de l’agriculture ne peut pas se résumer à une opposition entre des petits paysans et des grands investisseurs privés (Hall, Ehui, et Delgado, 2004) mais s’inscrit dans une relation complexe avec au moins trois acteurs : l’Etat, des entreprises et des paysans.

Au niveau géographique, la délimitation des zones d’élevage pose question. Est-ce que ces zones sont définies au niveau local ou régional ? Sur quelle base foncière vont se développer les zones d’élevage ? Est-ce que ces zones vont accroitre la différenciation entre l’élevage paysan et l’élevage professionnel en termes de réglementation ? Comment le risque de pollution va être géré alors même que la concentration animale dans ces zones sera augmentée ?

2.3.5. Conclusion

Au cours des trente dernières années, les productions d’origine animale ont fortement progressé permettant un essor des consommations par habitant. Cette intensification des productions s’est traduite par un découplage agriculture-élevage au niveau national. Aujourd’hui 60% de l’alimentation animale au Vietnam provient des importations. Cette dépendance au marché s’explique aussi par un contexte économique où il est préférable financièrement pour le Vietnam de s’approvisionner à l’extérieur car les coûts de production de l’agriculture domestique et la compétitivité des prix ne favorise pas une forte intégration entre les productions agricoles locales et les élevages. Cette situation est d’autant plus favorisée par l’Etat qui a mis en place des conditions favorables pour l’entreprise internationale en alimentation animale et pour la restructuration de la production. Cette stratégie semble gagnante si l’on s’en tient aux paramètres techniques de productivité des troupeaux. Ceci passe par une spécialisation des fermes et une concentration horizontale de la production dans un nombre réduit d’exploitations.

La politique des fermes spécialisées semble déjà avoir donné ces fruits car le gouvernement cherche à contraindre leur développement dans l’espace. Cependant, la relocalisation dans des régions plus éloignées des espaces résidentiels est-elle crédible ? Toute cette question repose au final la question de l’intégration « agriculture-élevage » à des échelles spatiales plus grandes. Il faut s’intéresser à l’interaction entre les activités d’élevage et leur environnement agricole et aussi socio-écologique mais aussi l’impact des changements économiques sur la géographie de la production et la place de l’élevage dans les systèmes agraires locaux.

2.4. LE DEPLACEMENT DE L’ELEVAGE SUR LES

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