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2.2 Propriétés de luminescence des complexes Eu(III) et Tb(III)

2.2.3 Durées de vie de luminescence et nombre de molécules d’eau

En plus de leurs spectres d’excitation et d’émission, les complexes de lanthanides sont caractérisés par une durée de vie de luminescence , correspondant au temps moyen pendant lequel le complexe reste à l’état excité avant de revenir à son état fondamental. L’obtention de ce paramètre s’effectue par mesure de l’intensité

L6.Eu L9.Tb

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d’émission de luminescence I en fonction du temps. La diminution de l’intensité lumineuse suit une loi de décroissance mono-exponentielle de type :

I = I0e(− t

τ) [3.1]

où I0 représente l’intensité de luminescence au temps t = 0. La durée de vie de

luminescence est alors définie comme étant le temps au bout duquel cette intensité d’émission est égale à 1/e de sa valeur initiale.

La détermination de ce paramètre sous différentes conditions permet d’accéder à des informations quantitatives relatives aux processus de désactivations, parmi lesquelles le nombre de molécules d’eau présentes en première sphère de coordination du centre métallique. En effet, la présence de ces molécules d’eau dans l’environnement proche du métal induit des processus de désactivation non-radiative et par conséquent, une diminution de la durée de vie de luminescence 

Les ions Eu(III) et Tb(III) sont, en effet, fortement sensibles à la présence d’oscillateurs moléculaires de type O-H dans leur première sphère de coordination : les modes vibrationnels de ces oscillateurs peuvent interagir avec les niveaux électroniques émissifs des ions (5D0 pour Eu(III) et 5D4 pour Tb(III)), conduisant alors

à un quenching de la luminescence.

De manière générale, la probabilité de peuplement d’un état vibrationnel n

est d’autant plus faible que la différence énergétique entre cet état n et l’état

fondamental 0 est grande (i.e. que l’indice n est grand). En prenant pour exemple le

cas du terbium(III), le couplage vibrationnel s’effectue entre l’état émissif 5D4 de l’ion

et l’état 4 pour le vibrateur O-H, ou l’état 7 pour le vibrateur O-D (Figure 3.7). La

désactivation par les vibrateurs O-H est donc supérieure à celle provoquée par les vibrateurs O-D.

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Figure 3.7. Désexcitation non radiative des ions Eu(III) et Tb(III) par les oscillateurs O-H et

O-D. D’après l’article de Horrocks et al.6

Il est important de noter que d’autres types d’oscillateurs vibrationnels d’énergie élevée, tels que les liaisons N-H ou C-H, peuvent également être impliqués dans ce type de désactivation non-radiative et inhiber la luminescence.

En toute logique, la durée de vie de luminescence d’un complexe est d’autant plus faible que les phénomènes de désactivation non-radiative sont efficaces. Dans le cas de la présence de molécules d’eau liées au lanthanide, la durée de vie d’émission de l’ion sera donc plus élevée dans un solvant deutéré que dans un solvant hydrogéné (Figure 3.8).

Figure 3.8. Courbe de décroissance de l’intensité de luminescence en fonction du temps pour

le complexe PCTA[12].Eu dans le tampon Tris (50 mM, pH = 7,4) hydrogéné (_____) ou deutéré

(---) 0 5 10 15 20 25 0 12 34 5 7F 6 5D 2 1 0 E (103 cm-1)OHOD 0 1 2 3 4  = 5 0 1 2 3 4 5 6 7  = 8 5D 4 Eu(III) Tb(III) 7F 0 1 2 3 4 5 6

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La détermination du paramètre d’hydratation q peut alors être effectuée en enregistrant les durées de vie d’émission de complexes Eu(III) et Tb(III) en solution hydrogéné (H) et deutéré (D), et en considérant que la contribution des vibrateurs O-

D au quenching de la fluorescence est négligeable.

Si différentes équations empiriques ont été développées dans ce but, seules celles tenant compte des facteurs correctifs inhérents à l’influence de vibrateurs O-H présents dans la seconde sphère de coordination du centre métallique (i.e. établissant des liaisons hydrogène avec les atomes donneurs du ligand) en plus des molécules d’eau directement coordinées à l’ion Ln(III) seront ici retenues.

Dans ce cadre, les relations mises au point par Parker pour les ions Eu(III) et Tb(III) peuvent être citées (éq 3.2 et 3.3).7

q(Eu) = 1,2  (1 τ⁄ H – 1 τD – 0,25) [3.2] q(Tb) = 5 x (1 τ⁄ H – 1 τ⁄ D – 0,06)

avec  en ms

[3.3]

Les constantes 1,2 et 5 d’une part, et 0,25 et 0,06 d’autre part, reflètent la plus grande sensibilité de l’europium(III) par rapport au terbium(III) vis-à-vis de ce processus de désactivation. Le couplage de l’état émissif 5D0 implique, en effet, l’état

vibrationnel  (Figure 3.7). Le nombre d’hydratation déterminé à partir de ces

équations est estimé à  0,2 molécules d’eau. En tenant compte de cette incertitude, un nombre fractionnaire de molécules d’eau calculé à partir de ces équations peut signifier l’existence d’un équilibre entre deux espèces dont q diffère d’une unité.

La relation d’Horrocks et de Supkowski, établie seulement pour les complexes d’europium(III) mais déterminée à partir de structures de ligands plus variées sera également retenue (éq. 3.4).8

q(Eu) = 1,11 x (1 τ⁄ H – 1 τD – 0,31) avec  en ms

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L’équation de Choppin, malgré des mesures de durée de vie d’émission réalisées uniquement en milieu hydrogéné, permet également d’obtenir un résultat correct en première approximation (éq. 3.5).9

q(Eu) = 1,05 x 1 τ⁄ H – 0,70

avec  en ms

[3.5]

Les ions Eu(III) et Tb(III) se situant de part et d’autre de l’ion Gd(III) dans le tableau périodique des éléments, il est généralement admis que la nature de la première sphère d’hydratation est identique au sein de complexes de ces trois ions dérivés d’un même ligand. Dans ce but, l’utilisation de complexes Eu(III) dans les études relaxométriques de complexes Gd(III) est bien établie.10

Ces équations empiriques peuvent être illustrées par des données expérimentales disponibles au laboratoire, et relatives à la famille de ligands dérivés du PCTA[12] (Figure 3.9).

Figure 3.9. Durées de vie d’émission à 298 K en tampon Tris (50 mM, pH = 7,4) et nombres de

molécules d’eau déterminés par l’équation de Parker (par l’équation de Horrocks) [par l’équation de Choppin]

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Si les valeurs de q(Eu) = 2,12 et q(Tb) = 2,01 observées pour les complexes du PCTA[12] diffèrent de celles rapportées par Kim et al. (2,7 et 2,2 respectivement), ces dernières sont cependant en adéquation avec le nombre d’hydratation de 2 rapporté par Aime et al. pour le complexe PCTA[12].Gd, et calculé à partir de données RMN de l’oxygène-17 de la molécule d’eau liée au métal.11,12

Les données extraites des durées de vie des complexes Eu(III) et Tb(III) indiquent, en accord avec un nombre de coordination de 9 pour les deux ions lanthanides, que le passage d’un ligand heptadente à un ligand octadente, puis nonadente, entraîne la perte successive d’une molécule d’eau dans la sphère de coordination du centre métallique.

Dans le cadre de cette étude, les durées de vie d’émission ont été déterminées en mesurant la variation d’intensité de la transition 5D07F2 pour les complexes

d’europium et la transition 5D47F5 pour les complexes de terbium(III), en fonction

du temps. Les mesures ont été effectuées dans le tampon Tris (50 mM, pH = 7,4) et son analogue deutéré à température ambiante, et le nombre de molécules d’eau coordinées a pu être calculé à partir des différentes équations pour chacun des complexes (Tableau 3.4).

Dans tous les cas, les durées de vie calculées sont indépendantes des longueurs d’onde d’excitation et d’émission, et la décroissance de l’intensité de luminescence peut être représentée par une courbe de type mono-exponentielle. En supposant l’absence de plusieurs espèces en échange rapide par rapport à l’échelle de temps des états excités 5D0 ou 5D4, ces données suggèrent la présence d’un seul type de complexe

en solution.

Les durées de vie d’émission des complexes Eu(III) et Tb(III) (de l’ordre de 0,4 et 1,25 ms respectivement) dans le tampon Tris hydrogéné sont significativement plus élevées que celles des sels de lanthanide correspondants ( = 0,11 ms pour EuCl3 et  =

0,43 ms pour TbCl3). Ces valeurs traduisent la substitution, tout du moins partielle,

des neuf molécules d’eau entourant l’ion par les atomes donneurs des différents ligands.

177 Complexe 𝛕𝐇 𝟐𝟗𝟖𝐊 (ms) 𝛕𝐃𝟐𝟗𝟖𝐊 (ms) 𝛕𝐃𝟐𝟗𝟖𝐊 𝛕𝐇𝟐𝟗𝟖𝐊

q(Parker) q(Horrocks) q(Choppin)

L1.Eu 0,38 2,15 5.7 2,30 2,01 2,06 L1.Tb 1,22 2,90 2.4 2,07 - - L2.Eu 0,36 1,93 5.4 2,41 2,16 2,22 L2.Tb 1,21 2,98 2.5 2,15 - - L4.Eu 0,42 2,03 4.8 1,97 1,75 1,80 L4.Tb 1,31 3,12 2.4 1,91 - - L5#.Eu 0,39 1,93 4.9 2,16 1,93 1,99 L5#.Tb 1,30 3,17 2.4 1,97 - - L5.Eu 0,38 2,06 5.4 2,28 2,04 2,06 L5.Tb 1,25 3,09 2.5 2,08 - - L6.Eu 0,38 2,07 5.4 2,28 2,04 2,06 L6.Tb 1,32 3,17 2.4 1,91 - - L9.Eu 0,31 0,87 2.8 2,19 1,96 2,69 L9.Tb 1,16 2,43 2.1 1,95 - -

Tableau 3.4. Durées de vie de luminescence (ms) des complexes Eu(III) et Tb(III) dans le

tampon Tris (50 mM, pH = 7,4) hydrogéné ou deutéré à température ambiante, et détermination du nombre de molécules d’eau coordinées au lanthanide

De manière générale, les durées de vie de luminescence augmentent lors du passage du milieu hydrogéné au milieu deutéré (d’un facteur de 2,8 à 5,7 pour les complexes Eu(III) et de 2,1 à 2,5 pour les complexes Tb(III)), en accord avec une désactivation plus forte en présence de vibrateurs O-H (rapport τD298K/τH298K). Ceci

indique, de plus, la présence d’au moins une molécule d’eau résiduelle dans la première sphère de coordination des lanthanides. Ces données confirment également la plus grande sensibilité de l’europium(III) face aux processus de désactivation non- radiative par les oscillateurs O-H.

Bien que ces mesures de durées de vie de luminescence permettent de mettre en évidence la présence ou non de molécules d’eau dans la première sphère de coordination du lanthanide, les relations empiriques développées ci-avant vont permettre de quantifier leur nombre de manière précise ( 0,2 molécules d’eau).

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L’ensemble des résultats relatifs aux complexes Eu(III) et Tb(III) de cette étude, quelle que soit la relation utilisée, met en évidence la coordination de deux molécules d’eau au centre métallique. En considérant un nombre de coordination de 9 pour ces ions lanthanidiques, les valeurs sont parfaitement en adéquation avec la présence de structures heptadentes où tous les atomes donneurs participent à la complexation de l’ion, laissant alors deux sites vacants pour la coordination des molécules d’eau.

La présence de deux molécules d’eau pour les complexes L2.Ln implique que

la fonction acide carboxylique  de la chaîne centrale ne participe pas à la coordination du métal. Ce résultat était attendu puisque la participation de cette fonction à la coordination se traduirait par la formation non favorable d’un pseudocycle chélatant à sept chaînons.

Bien que les mesures effectuées sur le complexe L9.Eu indique la présence de

deux molécules d’eau, les durées de vie H (0,87 ms) mais surtout D (0,87 ms) sont

anormalement faibles, suggérant la présence d’un autre phénomène de désactivation que celui des oscillateurs O-H pour ce complexe. Dans ce cas, l’utilisation de l’équation [3.5] conduit, de plus, à un nombre de molécules d’eau vraisemblablement erroné pouvant être expliqué par le fait que celle-ci ne tienne compte que d’une mesure de durée de vie en milieu hydrogéné contrairement aux autres relations.

Il est également intéressant de remarquer que le passage d’un ester phosphinique à un acide phosphinique, comme dans le cas des complexes dérivés des ligands H2L5# et H3L5 ne modifie en rien la sphère de coordination du lanthanide.

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Etude relaxométrique des complexes de gadolinium

Si la présence de deux molécules d’eau en première sphère de coordination peut nuire aux propriétés de luminescence des complexes de lanthanides présentés dans la partie précédente, celle-ci les rend particulièrement intéressants pour une application en tant qu’agents de contraste pour l’IRM. Ainsi, après une courte introduction théorique sur la relaxivité, l’étude relaxométrique des complexes de gadolinium dérivés des ligands H3PCTA[12], H4L2, H2L4, H3L5, H4L6 et H4L9, sera décrite.