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Le lecteur est devenu personnage dans l’œuvre de Calvino et est représenté non par un protagoniste, mais par deux : le Lecteur et la Lectrice, qui ont chacun à leur façon leur rôle à jouer dans la narration. Ce dédoublement du personnage principal a été voulu par l'auteur même, qui en laisse entendre les raisons :

« Il naturale destinatario e fruitore del “romanzesco” è il “lettore medio” che per questo ho voluto fosse il protagonista del Viaggiatore. Protagonista doppio, perché si scinde in un Lettore e in una Lettrice. Al primo non ho dato una caratterizzazione né dei gusti precisi : potrebb'essere un lettore occasionale ed eclettico. La seconda è una lettrice di vocazione, che sa spiegare le sue attese e i suoi rifiuti (formulati in termini il meno intellettualistici possibile, anche se – anzi, proprio perché – il linguaggio intellettuale va stingendo irreparabilmente sul parlato quotidiano), sublimazione della “lettrice media” ma ben fiera del suo ruolo sociale di lettrice per passione disinteressata. È un ruolo sociale cui credo, e che è il presupposto del mio lavoro, non solo di questo libro. »1.

Commençons par nous intéresser de plus près à la figure du Lecteur. C'est un personnage sans caractéristiques précises, comme l'affirme Calvino, au point même qu'il ne lui a pas donné de nom et le désigne par le pronom « tu ». C'est parce qu'il ne veut pas seulement faire du Lecteur un personnage, mais aussi un artifice littéraire :

« Questo libro è stato attento finora a lasciare aperta al Lettore che legge la possibilità d'identificarsi col Lettore che è letto : per questo non gli è stato dato un nome che l'avrebbe automaticamente comparato a una Terza Persona, a un personaggio […] e lo si è mantenuto nell'astratta condizione dei pronomi, disponibile per ogni attributo e ogni azione. »2

Il n'est donc défini que par ce pronom ou encore par sa fonction de lecteur. L'absence de toute personnalisation fait de lui « un semplice pronome vuoto e disponibile alla sola identificazione che in questo universo appaia consentita e approvata »3. Compris en ce

sens, il devient un outil servant la stratégie de l'auteur : permettre le jeu de mise en abyme qui trompe le lecteur réel, puisque ce dernier peut alors s'identifier à ce lecteur anonyme, ce « “tu” in cui ognuno può identificare il suo “io” »4. C'est cette idée-là

qu'on retrouve dans le fait que Silas Flannery, dans son journal (au chapitre huit) continue d’appeler « Lecteur » celui même que Calvino appelle « Lecteur », alors que pour l'écrivain fictif, il ne peut s'agir d'une personne précise. Le Lecteur est à ce

1 CALVINO, Italo. “Se una notte d'inverno un narratore”, in “Alfabeta”, 8 décembre 1979, cité dans : CALVINO, Italo. Se una notte d'inverno un viaggiatore... op. cit., p.IX (Presentazione).

2 CALVINO, Italo. Se una notte d'inverno un viaggiatore... op. cit., pp.140 – 141.

3 LAVAGETTO, Mario. Per l'identità di uno scrittore di apocrifi. In Paragone : mensile di arte

fogirativa e letteratura – diretto da Roberto Longhi. N°366. Firenze : Sansoni, 1980, p. 75.

4 CALVINO, Italo. “Se una notte d'inverno un narratore” in CALVINO, Italo. Se una notte d'inverno un

moment-là du récit compris seulement comme une instance narrative pour l'écrivain fictif, comme le reflet de tout lecteur. Il ne peut cependant être utilisé seulement comme tel, puisque chaque aventure qu'il vit en tant que lecteur forme et modèle le personnage qu'il est. Calvino a tenté de résoudre ce problème, en créant face au Lecteur voulu anonyme le personnage de Ludmilla, ses caractéristiques faisant d'elle une lectrice passionnée.

Ludmilla a, à n'en pas douter, plus de caractéristiques que le Lecteur, que ce soit par le simple fait que Calvino lui ait attribué un nom, des proches – notamment par la présence de sa sœur – ou parce qu'on en apprend davantage sur la façon dont elle considère la lecture. Cependant, elle n'en reste pas moins mystérieuse, aux yeux du personnage lecteur, de l'auteur comme du lecteur réel, puisqu'elle se cache sans cesse sous un déguisement différent :

« lei che ti sfugge in un moltiplicarsi di misteri, d'inganni, di travestimenti »1.

Ludmilla est une figure aux multiples identités, que ce soit par son attrait pour différents types de lecture, étant considérée comme « lectrice de plusieurs livres à la fois »2, par le

regard du Lecteur qui découvre régulièrement un nouveau trait de sa personnalité ou encore, par les différentes images de lectrices sous lesquelles elle apparaît, décrite dans le journal de Marana. Calvino reconnaît que Ludmilla est méconnue de tous, quand il décide au chapitre sept d'en savoir plus sur elle :

« Come sei, Lettrice ? È tempo che questo libro in seconda persona si rivolga non più soltanto a un generico tu maschile, forse fratello e sosia d'un io ipocrita, ma direttamente a te che sei entrata fin dal Secondo Capitolo come Terza Persona. »3.

C'est ainsi que le lecteur – et j'entends par « lecteur » le personnage lecteur et le lecteur réel – pénètre dans l'intimité de la Lectrice, pour en apprendre davantage sur elle, mais aussi, sur sa façon de lire :

« Sei apparsa per la prima volta al Lettore in una libreria, hai preso forma staccandoti da una parete di scaffali […]. La tua casa, essendo il luogo in cui tu leggi, può dirci qual è il posto che i libri hanno nella tua vita […]. » 4

L'auteur a pour cela besoin de s'adresser à elle directement avec la seconde personne du singulier. Ce « tu », qui désignait jusque-là le Lecteur, change de destinataire, le dialogue entre l'auteur et le Lecteur se transformant en un dialogue avec la Lectrice, seconde instance de ce double lecteur protagoniste qu'il ne s'agit pas de léser. L'usage du

1 CALVINO, Italo. Se una notte d'inverno un viaggiatore... op. cit., p. 150. 2 CALVINO, Italo. Si par une nuit d'hiver un voyageur....op. cit., p. 166. 3 CALVINO, Italo. Se una notte d'inverno un viaggiatore... op. cit., p. 140. 4 Ibid., p. 141.

pronom « tu » est ainsi pour l'auteur un moyen de pénétrer dans l'intimité d'une personne. En s'adressant à la Lectrice, il ne met pas pour autant le Lecteur de côté puisqu'il finit par l'interpeller en lui disant : « Sei sempre uno dei tu possibili »1. Le

pronom « tu » permet donc à l'auteur de s'adresser à ces deux instances qu'il réunit à la fin « dans le grand lit conjugal [qui] accueille [leurs] lectures parallèles »2 en leur

donnant du « vous », faisant des deux lecteurs un échantillon de ce que peut être la lecture.

Dans Se una notte..., Le Lecteur et La Lectrice sont aussi entourés par une multiplicité d'autres personnages lecteurs. Il s'agit alors de voir que, par l'intermédiaire de cet ensemble de personnages, Calvino représente toute la complexité de l'acte de lecture.