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Dans le roman de Chantal Spitz, quand Maevarua (Accueilli Deux Fois)153, enterre, sur la pointe de Toerauroa, le placenta de son fils qui vient de naître, il adresse au ciel une « double prière », « demandant ODSURWHFWLRQGHO¶HVSULWGHV3qUHVTXLFRQWLQXHQWjSUotéger le village, et celle du Dieu du pasteur qui ne se manifeste que le dimanche, son jour. » (2003 : 32) /¶pFULYDLQH QLH GDQV OD SULqUH TXL DFFRPSDJQH FH ULWH GH QDLVVDQFH XQH pODERUDWLRQ syncrétiTXH SRXUWDQW DQFLHQQH ,O HVW LQYUDLVHPEODEOH TX¶XQ 3RO\QpVLHQ GH OD ILQ GX ;,;e

siècle distingue encore la religion ancienne de la nouvelle, celle des pasteurs, car O¶DPDOJDPH est fait depuis longtemps. Mais si Chantal Spitz veut encore distinguer les deux traditions qui HQUpDOLWpQ¶HQIRQWSOXVTX¶XQHF¶HVWSRXUIDLUHSUHQGUHFRQVFLHQFHjVHVOHFWHXUVTX¶LOVVRQW DXVVL KpULWLHUV G¶XQH FXOWXUH SOXV DQFLHQQH 0DHYDUXD DX QRP UpYpODWHXU HVW XQH VRUWH GH

151/¶Lmportation des noms bibliques qui concurrencent les noms anciens, et des centaines de néologismes qui apportent des concepts nouveaux, voir Saura (2004 : 96-100).

152/¶µƗWL HVWXQH[HPSOHG¶XQHWUDQVIRUPDWLRQLQVLGLHXVHGXYRFDEXODLUH : le terme, qui désignait un groupe de descendants du même ancêtre, devint le mot qui désigna dans la traduction de la Bible la « tribu ªG¶,VUDsO

153 Nom ancien choisi « dans la longue généalogie de sa famille » (Spitz, 2003 : 31) mais qui résonne comme une référence au double héritage polynésien.

89 militant culturel qui sait démêler les deux héritages et revendiquer ce qui appartient en propre DXSHXSOHSRO\QpVLHQ/HQRXYHDXSqUHFRPPHQFHDLQVLVDSULqUHTXLV¶DGUHVVHDX[DQFLHQV dieux :

« Esprits bienfaisant du marae

Vous qui avez toujours protégé nos pères (WTXLDXMRXUG¶KXL encore veillez sur nouV« » (Spitz, 2003 : 32)

Mais la prière se termine par ces paroles très chrétiennes : « Je vous le demande humblement

Aidez-moi à le conduire dans votre lumière 6XUOHFKHPLQGHVDYLHG¶KRPPH

Et si je faiblis, pardonnez-moi. » (Spitz, 2003 : 32)

La prière est même suivie par la récitation du Notre Père. Maevarua ne peut échapper à ce 'LHXQRXYHDXTX¶LOYHXWLJQRUHU

/¶pFULYDLQH D GX PDO j UHQGUH FRKpUHQWH VD SRVLWLRQ j O¶pJDUG GHV PLVVLRQQDLUHV TX¶HOOH dénonce parfois en termes violents, PDLV TX¶HOOH GRQQH aussi en exemple aux instituteurs français, TXLRQWLPSRVpOHIUDQoDLVHWO¶pFULWLe premier roman est cependant assez moqueur GDQV O¶HQVHPEOH j O¶égard des pasteurs. Tematua rit de leur effroi quand ils débarquent à Tahiti : ce pays est un Enfer peuplé de femmes aux corps splendides et tentateurs (2003 : 23). Ils doivent pour résister à ces tentations proclamer le Code Pomare (1819) qui interdit la QXGLWp HW OHV GDQVHV /¶pFULYDLQH GpQRQFH DXVVL OD PDQLqUH DXWRULWDLUH GRQt ils imposent le nouveau Dieu.

DeVDQWKURSRORJXHVFRPPH$ODLQ%DEDG]DQVRQWSOXVVpYqUHVjO¶pJDUGGHVPLVVLRQQDLUHV que ne le sont les militants culturels.

« On sait qu'à la suite des divers brigands et trafiquants européens, les missionnaires furent les premiers Blancs à s'installer dans ces îles, plusieurs décennies avant les représentants des puissances occidentales. L'arrivée de ceux-ci - et c'est là une des particularités de la (tardive) conquête du Pacifique - n'est déclenchée que par la rupture GXVWDWXTXRDXVHLQGHFHQRPDQ¶V land liquide que représentait la région jusque vers 1840 aux yeux de la France et de la Grande-Bretagne, mais où commençaient déjà à s'affronter les missions et les nationaux des deux grandes puissances coloniales de l'époque. En Polynésie française, les missionnaires ont occupé pratiquement seuls le terrain pendant une quarantaine d'années, plus de temps qu'il n'en a fallu pour faire disparaître l'ensemble des grands rituels païens, ébranler profondément l'organisation sociale, économique et politique ancienne, pour que la démographie indigène soit ravagée par des épidémies nouvelles qui balaieront parfois en quelques semaines la majeure partie de la population de certaines îles. Une véritable chape de plomb tombe sur ces sociétés,

90 où les missionnaires imposent aux Polynésiens hébétés un code moral et des interdits de toutes sortes. Mais le règne missionnaire coïncide aussi avec la fin des diverses expéditions guerrières indigènes. Cette pacification est d'ailleurs dans toute l'aire polynésienne reconnue explicitement par les indigènes comme le premier et principal bienfait de l'ordre nouveau : il faut certainement voir dans ces proclamations un peu plus que l'effet de la récitation de quelque propagande. » (Babadzan, 1982 : 9-10)

Fidèle à sa volonté de distinguer ce qui a été confondu, Chantal Spitz ouvre /¶,OHGHVUrYHV écrasés par deux chants de création, le premier est polynésien et le second biblique. Le chant

de « création »154SRO\QpVLHQQRQWUDGXLWSDUO¶pFULYDLQHqui fut récité au pasteur Orsmond en 1822 et en 1824155, figure dans Tahiti aux temps anciens (Henry, 1997 : 346-347). Quant au FKDQWELEOLTXHF¶HVWOHWH[WHGHODFUpDWLRQTXLRXYUHO¶$QFLHQ7HVWDPHQW156

. Manifestement, F¶HVWOHFKDQWSRO\QpVLHQTXLLQWpUHVVHO¶pFULYDLQHFDULOOXLVHPEOHLPSRUtant de souligner que ODFXOWXUHDQFLHQQHSRO\QpVLHQQHQ¶DULHQjHQYLHUjODFXOWXUHFKUpWLHQQH/HVGHX[FKDQWVHQ SUpVHQFHRQWG¶DLOOHXUVGHQRPEUHX[SRLQWVFRPPXQV GDQVFKDFXQG¶HX[OHPRQGHSDVVHGH O¶REVFXULWpWHSǀ, à la lumière, te ao. Mais cette double référence affirmée et assumée, dès le GpEXW GX URPDQ QH UpVLVWH SDV DX[ pYpQHPHQWV TXH FRQWH OH URPDQ /D GpILDQFH V¶LQVWDOOH TXDQGXQHEDVHGHPLVVLOHVQXFOpDLUHVHVWLQVWDOOpHVXUO¶vOHHWODIUDJLOHFRH[LVWHQFe des deux FXOWXUHVYROHHQpFODWV/HURPDQTXLV¶RXYUDLWVXUGHX[FKDQWVGHFUpDWLRQVHWHUPLQHSDUXQ hymne indépendantiste. Le missionnaire comme le navigateur sont finalement repoussés, ainsi que tous les SRSD¶Ɨ qui les suivirent. Le rêve du double héritage est terminé.

Dans Hombo (2002)VRQGHX[LqPHURPDQ&KDQWDO6SLW]GXUFLWVRQSURSRVjO¶pJDUGGH la L.M.S. dont elle remet de plus en plus O¶°XYUH HQ TXHVWLRQ &HUWHV HOOH ORXH O¶pFROH GX dimanche du pasteur, plus vivante, plus PƗ¶RKL que celle de O¶(WDWIUDQoDLVPDLVHOOHUHIXVH

globalement une acculturation dont elle souligne la violence. Le vieux Mahine, qui se UHSURFKH GH Q¶DYRLU SDV VX © planter » dans son fils et son petit-fils les paroles anciennes

154 Nous utilisons les guillemets parce que le mot « création » est certainement abusif pour parler du chant polynésien qui raconte le « développement » (tupu GH7D¶DURDSOXVTXHVD© création ª&¶HVWjGHVJOLVVHPHQWV sémantiques sembODEOHVTX¶RQUHSqUHOHWUDYDLOGHUpLQWHUSUpWDWLRQGHVPLVVLRQQDLUHVTXLWHQWqUHQWVDQVFHVVHGH UpGXLUHO¶pFDUWTXLH[LVWDLWHQWUHOHVGHX[FXOWXUHV

155

Il lui fut récité trois fois « de façon à peu près identique ªHQSDU3DRUD¶LXQFRQVHLOOHUGH3ora Pora, un SHXSOXVWDUGSDU9DL¶DLXQJUDQGSUrWUHGHFHWWHPrPHvOHHWHQFRUHSOXVWDUGSDU3DWL¶LOHSUrWUHGH0RRUHDTXL EU€ODO¶HIILJLHGHVGLHX[OHIpYULHUDYDQWPrPHODYLFWRLUHGH)H¶LSL&HGHUQLHULQIRUPDWHXUG¶2UVPRQG Q¶HVW SDV © neutre » : il est engagé depuis quelques années au côté des missionnaires. Constatation qui nous FRQIRUWHGDQVO¶LGpHTXHOHVUpFLWDWLRQVQHVRQWSDVGpQXpHVG¶LQWHQWLRQVSROLWLTXHVHWTX¶LOQ¶HVWSHXW-être pas si étonnant que les missionnaires trouvent dDQV FHV UpFLWV O¶DQQRQFH GH OHXU YHQXH RX GHV DQDORJLHV DYHF OHV (FULWXUHVFRPPHOHQRWHG¶DLOOHXUV7HXLUD+HQU\  : 343).

91 « GpSRVLWDLUHVG¶XQPRQGHDXWUHIRLVOHOHXU » (2002 : 31), regrette, comme Tematua dans le SUHPLHUURPDQO¶DFFXHLOIDLWDX[PLVVLRQQDLUHV

« Mais que lui reste-t-il de cette mémoire, lui qui a comme les autres avec eux accueilli VDQV SXGHXU SUHVTX¶DYHF VRXODJHPHQW OHV FKDQJHPHQWV YHQXV GH ORLQ GH O¶HVSDFH GHV KRPPHVEODQFVGHSXLVTXHTXHOTXHVJpQpUDWLRQVSOXVW{WXQ$QJODLVSkOHHWUDLGHV¶HVW installé chez eux pour leur apprendre la bonne parole les bonnes pensées les bonnes SULqUHVOHVERQQHVPDQLqUHV'HSXLVTX¶LOVRQWHPEUDVVpODYUDLHUHOLJLRn du vrai Dieu et VRQWDLQVLHQWUpVGDQVODYUDLHOXPLqUHODYUDLHYpULWp'HSXLVTX¶LOVRQWVDXYpOHXUVkPHV GHV IHX[ GH O¶HQIHU pWHLQWV SDU OH SRXYRLU GH TXHOTXHV JRXWWHV G¶HDX GpSRVpHV VXU OHXU IURQW SDU OD SXLVVDQFH G¶XQ KRPPH PRUW SDUPL GHV YROHXUV WUahi par son peuple DEDQGRQQpSDUVRQSqUHTXLHVWDX[FLHX['HSXLVTX¶LOVVRQWGHYHQXVFKUpWLHQV

(WV¶LOVV¶pWDLHQWWURPSpV ? » (Spitz, 2002 : 29-30)157

Le personnage du missionnaire, un temps épargné, subit le traitement négatif réservé MXVTX¶DORUVDXQDYigateur blanc. Le grand-père élevé dans la foi protestante prend conscience TXHOHVUHSqUHVLGHQWLWDLUHVWUDGLWLRQQHOVRQWFRPPHQFpjV¶HIIDFHUHWTXHOHVpasteurs, à qui la langue tahitienne doit le passage à O¶pFULWVRQWDXIRQGUHVSRQVDEOHVGHODGpULYe de son petit-fils Ehu. Ce dernier, jFDXVHG¶HX[DLJQRUpOHVSDUROHVDQFLHQQHVTXLDXUDLHQWSXOHVDXYHU Le roman de Spitz publié en 2002158 VRLW RQ]H DQV DSUqV OH SUHPLHU WpPRLJQH G¶XQH UDGLFDOLVDWLRQGXSURSRVGHVRQDXWHXUHHWGHO¶LQWHQVLWpGHla lutte indépendantiste. La mise en DFFXVDWLRQ H[SOLFLWH GX U{OH TXH OHV PLVVLRQQDLUHV RQW MRXp GDQV O¶DFFXOWXUDWLRQ GX SD\V QH PDUTXHSDVVLPSOHPHQWO¶pYROXWLRQGHO¶pFULYDLQHPDLVWpPRLJQHDXVVLGHODSHUWHG¶LQIOXHQFH des Eglises chrétiennes sur la société polynésienne. La critique de leur rôle autrefois impensable GHYLHQWDXMRXUG¶KXLSRVVLEOH

Ce dernier roman de Chantal Spitz participe à une réflexion actuelle plus large sur O¶DFFXOWXUDWLRQGDQVODTXHOOHFKRVHQRXYHOOHj7DKLWLODSDUWGHUHVSRQVDELOLté des premiers pasteurs et de ceux qui suivirent est à présent réévaluée. Il était jusque là convenu que les vrais colonisateurs étaient les SRSD¶Ɨ HWTXHG¶HX[YHQDLHQWWRXVOHVPDX[GHODVRFLpWp8Q

poème assez récent de Patrick Amaru, intitulé « -¶pWDLV Oj »159 TXHVWLRQQH DLQVL O¶KLVWRLUH missionnaire :

« -¶pWDLVOj A votre arrivée

157

Dans HomboO¶pFULWXUHGH&KDQWDO6SLW]FKDQJHHWUHIXVHO¶XVDJHWUDGLWLRQQHOGHODSRQFWXDWLRQFHTXLDSRXU HIIHWGHFRQIpUHUSOXVG¶pWUDQJHWpjVRQIUDQoDLV

158 Ecrit en réalité entre 1992 et 1997.

92 -¶pWDLVOj

$O¶RXYHUWXUHGHFHOLYUHVDFUp -¶pWDLVOj

Aux sons tentateurs de la langue qui se brise -¶pWDLVOj

Aux coups de fusil -¶pWDLVOj

Quand mes croyances se sont brisées -¶pWDLVOj

4XDQGOHEDODQFLHUGHPRQFODQV¶HVWEULVp -¶pWDLVOj

$O¶RPEUHGHFHWWHFURL[ Jésus

Tes mains ont-elles été transpercées Pour me sacrifier ?

Tes côtes ont-elles été transpercées Pour que je me renie ?

Es-tu arrivé 3RXUP¶HIIDFHU ? Es-tu arrivé

Pour me flétrir ? » (Amaru, 2003 : 48)

Il y a trHQWHDQVSHUVRQQHQ¶DXUDLWpFULW© Es-WXDUULYp3RXUP¶HIIDFHU ? ». Les Polynésiens se GpILQLVVDLHQWDORUVVDQVpWDWG¶kPHSDUOHXUDWWDFKHPHQWDX'LHXFKUpWLHQ'HSXLVO¶LGpHTXH OHVPLVVLRQQDLUHVRQWDXVVLSDUWLFLSpjO¶HIIDFHPHQWGHO¶LGHQWLWpRULJLQHOOHDIDLWVRQFKHPLQ