• Aucun résultat trouvé

2. Données interprétatives

2.2. Trois types de données interprétatives

2.2.1. Données en troisième personne

Les données dites en troisième personne (Vermersch, 2000, 2010) correspondent aux hypothèses du chercheur sur le sens que les participants attribuent à leur propre expérience. Ces données en troisième personne ne prennent donc pas en compte le point de vue du sujet sur sa propre expérience. Il s’agit de parler sur l’expérience de l’autre sans disposer de données sur ce dont il fait lui-même l’expérience.

Ces hypothèses quant au vécu des participants produisant ces formes sont essentiellement intuitives. Ces intuitions portent notamment sur des relations causales entre des aspects morphologiques et des aspects intentionnels, par exemple : « si le gymnaste rentre sa tête au

moment où il pose ses mains c’est qu’il cherche à rouler » ; « si ses mains quittent le sol successivement, c’est qu’il veut garder le contact avec le sol et éviter la perte d’appuis », etc.

Ces données sont donc élaborées sur la base de la capacité d’empathie des chercheurs, c’est-à- dire de la capacité à se placer de façon imaginaire à la place d’autrui et de ressentir « comme lui » des émotions, sentiments, perceptions, intentions, etc.

Bien que de telles intuitions soient indispensables à l’avancée du travail de recherche, il convient de rester prudent sur la manière dont elles « font parler » les formes pour celui qui les produit. En effet, les hypothèses des chercheurs sur les aspects intentionnels des formes produites sont influencées par leurs propres croyances et les théories causales implicites qu’ils ont progressivement construites au gré de leurs expériences. Dans un souci de rigueur méthodologique, ces données devront être complétées par des données en première et en deuxième personne.

Pour présenter la façon dont nous avons obtenu ces données en troisième personne, nous nous appuierons sur un exemple.

33 Vermersch définit la triangulation comme la mise en relation de données différentes se rapportant à la même

conduite (Vermersch, 1994, p. 219). Il s’agit de croiser les données relatives aux aspects observables de la conduite (données descriptives pour nous) avec les données en troisième et en deuxième personne.

87 Les Photos 3 à 5 ci-dessous représentent trois niveaux d’organisation motrice constrastés lors de la réalisation de sauts de mains au sol. La « lecture » de ces photos permet de constituer des données en troisième personne, ceci en interprétant les formes de corps à partir d’indicateurs descriptifs retenus comme pertinents pour les comprendre.

Pour l’étude portant sur le saut de mains, les indicateurs retenus au niveau des données descriptives étaient l’orientation des bras, des jambes, du tronc et de la tête par rapport à la verticale à la fin de l’appui manuel. A partir de ces indicateurs, des hypothèses interprétatives ont été formulées en vue de comprendre les aspects intentionnels de l’organisation motrice des sujets participants.

Photo 3 Photo 4 Photo 5

(Niveau le moins élaboré) (Niveau intermédiaire) (Niveau le plus élaboré)

Photos 3 à 5 : Formes de corps produites par des gymnastes de trois niveaux de performance contrastés au moment précis où leurs mains quittent le sol.

Pour la Photo 3, la forte inclinaison du tronc vers l’arrière (58 degrés environ) associée à une flexion prononcée de la tête (menton contre poitrine) amène à faire l’hypothèse selon laquelle la signification intentionnelle du saut de mains est de basculer vers l’arrière. Lors du renversement, le corps quitte la verticale droite. La tête, porteuse des organes sensoriels visuels et labyrinthiques se retrouve en position renversée. Les référentiels visuels et gravitaires s’en trouvent perturbés, la façon dont le sujet s’organise pour s’équilibrer et se déplacer se remanie. Le prolongement de l’appui au sol de la main gauche par rapport à celui de la main droite (appuis alternés) peut être interprété comme intention de ne perdre que progressivement cet appui au sol, et de le conserver le plus tardivement possible avant de retrouver le contact pédestre. La flexion des jambes en direction du sol (90 degrés) renvoie par ailleurs à l’intention du gymnaste de retrouver rapidement cet appui pédestre au sol (le gymnaste va chercher le sol avec les pieds). L’appui manuel prolongé, associé aux jambes qui vont chercher le sol, peut traduire l’intention d’éviter la perte complète d’appuis au sol. Le gymnase s’arrange pour que, dès que sa main gauche quitte le sol, ses pieds prennent le relais en le retrouvant.

Partie 3 : Méthodologie – Chapitre 1 : Recueil des données

88 Pour la Photo 4, l’organisation posturale tend à suggérer des intentions en partie comparables, bien que différentes si l’on considère l’orientation globale du tronc et des bras. En effet, cette orientation moins prononcée vers l’avant à ce moment précis peut être interprétée comme significative d’une intention qui est moins de basculer directement mais de se redresser, de se cambrer en quelque sorte en appui sur un bras pour, certes basculer en tournant vers l’avant, mais en se grandissant sur les mains.

Pour la Photo 5, l’organisation posturale tranche plus radicalement avec les deux précédentes. La posture de la tête en extension peut être interprétée comme intention d’agir dans ce moment du renversement (plutôt que de chuter du côté du dos), en sautant sur les mains pour tourner en l’air vers l’arrière (la culbute ne semble pas être intentionnellement présente dès le renversement).

Ces données en troisième personne permettent d’élaborer une première compréhension de l’organisation motrice des participants. Elles sont nécessaires pour qu’un « croisement » de données soit possible, et également que le chercheur puisse avoir un point de vue et négocier une transaction de sens avec les participants en cours d’entretien. Elles nécessitent néanmoins d’être complétées par des données élaborées en première et deuxième personne.