• Aucun résultat trouvé

Ces données sont relatives aux formes de corps et de mouvements corporels produits par les participants.

Etant donné que l’objectif de l’étude à long terme est de constituer un cadre d’analyse de la l’organisation motrice des élèves, l’étude prend en compte les aspects de cette organisation auxquels s’intéressent les enseignants experts aux moments où ils guident les apprentissages. Les formes de corps et de mouvements corporels constituent l’un des aspects des connaissances que les enseignants experts mobilisent pour guider les apprentissages moteurs des élèves. Des résultats de recherches (Cizeron & Gal-Petitfaux, 2005 ; Rolland, 2011) ont montré que ces connaissances étaient de type morpho-logique, c'est-à-dire structurées par les

formes typiques du corps et des mouvements corporels des élèves28. Les enseignants

perçoivent et reconnaissent certains aspects de ces formes comme étant typiques, et les interprètent directement en termes de significations. La façon dont l’enseignant intervient est donc structurée par les formes du corps et des mouvements qu’il perçoit chez l’élève. Ces formes de corps constituent des affordances (Gibson, 1979) pour l’enseignant. Autrement dit, les formes ont une « valeur fonctionnelle, au sens où elles sont des points d’appui permettant aux enseignants d’intervenir pour guider les apprentissages des élèves » (Cizeron & Gal- Petitfaux, 2005).

28

Les enseignants experts repèrent différents aspects des formes et des mouvements corporels produits par les élèves grâce à l’observation d’angles, de lignes, de courbes entre les différents segments corporels : a) des aspects géométriques indiquant une position ou une forme du corps (par exemple en gymnastique : aligné,

cassé) ; b) des aspects cinématiques relatifs au déplacement produit (par exemple : grandir, tomber) ; c) des

aspects dynamiques traduisant la consistance du corps (par exemple : mou, dur).

75 Dans une perspective qui s’inscrit en continuité avec ce type d’indicateur utilisé par les experts, le recueil des données descriptives vise à typifier les formes de corps et de mouvements que produisent les sujets participants, ceci à différents degrés d’élaboration de l’organisation motrice.

1.1. La question des indicateurs descriptifs

Dans son ancrage initial, l’étude a été conduite dans le cadre de mon mémoire de recherche en Master STAPS. Les participants étaient des étudiants de licence 3 STAPS de la filière Education et Motricité ayant suivi un cycle de cours théoriques et pratiques en gymnastique. La tâche motrice analysée était le saut de mains au sol.

Image 1 : Représentation du saut de mains au sol

Le choix de la gymnastique comme pratique support de l’étude tenait à notre affinité personnelle (doctorante et directeur de la recherche) avec cette pratique particulière : affinité en tant que pratiquant, entraîneur, et enseignant. Cette affinité avec l’objet d’étude a engendré un certain nombre de difficultés qu’il convient d’analyser.

Notre expérience d’enseignement de la gymnastique nous a conduits à privilégier certains aspects des formes perçues des sauts de mains réalisés par les étudiants : les aspects sur lesquels portent nos consignes d’enseignement pour faire apprendre le saut de mains. Un des aspects particuliers des formes de corps portait précisément sur l’angle bras/tronc. L’idée est que cet angle doit être « ouvert » au moment de la pose des mains (bras alignés avec le tronc comme sur la figure encadrée en rouge sur l’Image 1) pour bien réussir le saut de mains. Cet arrière-plan nous a initialement amenés à recueillir des données de type biomécanique pour tenter d’objectiver la relation existant entre cet aspect de la forme (degré d’ouverture de l’angle bras/tronc) et le degré de réussite du saut de mains. En quelque sorte, un point aveugle s’est introduit dans la démarche de recherche qui consistait à vérifier, et du coup justifier, l’idée que cet aspect de la forme que nous prescrivions en enseignant le saut de mains était valide.

Partie 3 : Méthodologie – Chapitre 1 : Recueil des données

76

Selon cette perspective, des données biomécaniques29 ont été relevées à partir

d’enregistrements vidéo des sauts de mains des participants, auxquels a été appliquée une analyse cinématique à l’aide du logiciel ANAIS-2 (2009). En particulier, les angles bras/tronc ont été mesurés pour plusieurs sauts de mains au même moment de leur réalisation. Or, pour cet indicateur, les mesures n’ont pas montré de différences significatives entre des sauts de mains de niveaux d’élaboration pourtant contrastés.

Sur la base de nos propres pratiques d’enseignement et d’entraînement en gymnastique, nous faisions également l’hypothèse que les participants qui réussissaient le mieux le saut de mains produisaient une force plus importante au moment de l’impulsion bras que ceux dont les sauts de mains étaient primitifs. Rapportés aux poids de corps des participants, les résultats des mesures se sont également avérés peu convaincants, ce qui a conduit à ne plus utiliser ce critère pour typifier les formes.

Au cours de ce moment de convocation de données de type biomécanique, nous avons calculé à partir de l’analyse cinématique, des valeurs concernant plusieurs grandeurs mécaniques (Ganière, 2010, 2011) : les positions des centres de masse (notamment celle du centre de gravité, mais aussi des centres de masse de certaines parties du corps), les vitesses segmentaires des bras, des mains, des jambes, des pieds, leurs accélérations, ainsi que les moments cinétiques de ces segments. Toutes ces mesures se sont avérées fastidieuses et peu adaptées à l’objet de recherche. En effet, l’étude cherchant in fine à mettre en évidence des indicateurs macroscopiques congruents avec ceux que les intervenants peuvent repérer en situation d’enseignement-apprentissage, des données mesurées et/ou calculées ne satisfaisaient pas à cette exigence.

Ce passage momentané par le relevé de données de type biomécanique appelle plusieurs remarques critiques :

a) Etant donné les objectifs de l’étude, la typification descriptive des formes réclame de

pouvoir être opérationnelle en situation réelle d’enseignement. Les indicateurs de forme retenus doivent donc rester « macroscopiques », directement accessibles à « l’œil nu ». Les indicateurs retenus comme pertinents pour analyser les conduites motrices des participants réalisant le saut de mains ont été repérés à deux moments : au moment de la pose des mains au sol (Photo 1) et au moment où les mains quittent le sol (Photo 2).

29 Le recueil de telles données a également été inspiré par des travaux de recherches adoptant des méthodes

mixtes (mixed methods) (Saury, Nordez & Sève, 2010) mettant en relation des données quantitatives et

77

Photo 2 Photo 1

Photos 1 et 2 : Illustration des indicateurs macroscopiques retenus pour analyser les sauts de mains aux moments de la pose des mains et de la fin de l’appui manuel

Le choix de ces moments se justifie par le fait que les entraineurs experts en gymnastique s’appuient en partie sur ce qu’ils nomment des « phases de placement » pour intervenir auprès des gymnastes et guider la transformation de leurs habiletés. En effet, l’intelligibilité qu’ont les entraineurs experts des habiletés produites par les gymnastes passe par l’identification de moments particuliers nommés « phases de placement » (Rolland, 2011 ; Rolland & Cizeron, 2011). Ces phases de placement correspondent à des « séquences réduites des habiletés gymniques, matérialisées par des formes de corps particulières à certains moments de leur réalisation » (Rolland & Cizeron, 2011, p. 60). Les phases de placement sont ainsi conçues comme des phases transitoires par les entraineurs experts, au sens où a) elles permettent de caractériser les moments conçus comme clefs dans la réalisation de l’habileté ; et b) où elles délimitent un « intervalle-clef qui apparait comme déterminant entre deux états corporels » (Rolland & Cizeron, 2011, p. 61). Dans le cas du saut de mains, les entraîneurs experts attribuent à ce moment de contact manuel au sol un statut de phase de placement, sur laquelle porte l’essentiel de leurs prescriptions auprès des gymnastes (Cizeron, 2002).

Les indicateurs macroscopiques sont soulignés sous la forme de lignes de couleurs sur les photos 1 et 2. Ces indicateurs sont les suivants : à la pose des mains, seul l’angle entre la tête (ligne bleue) et le tronc (ligne verte) est apparu pertinent ; à la fin de l’appui manuel en revanche, il s’agit de repérer les valeurs des angles suivants : l’angle tête-tronc, l’angle entre la verticale et le tronc, l’angle entre les bras (ligne jaune) et le tronc (ligne verte), et l’angle entre le tronc et les jambes (lignes rouges). La façon dont ces indicateurs ont été élaborés sera développée dans une partie ultérieure, spécifiquement dédiée à l’étude conduite en gymnastique.

Partie 3 : Méthodologie – Chapitre 1 : Recueil des données

78

b) Le fait de convoquer des mesures « objectives » pour justifier des prescriptions

d’enseignement. Ce point est important car bien implanté dans la culture de l’enseignement en sport, tout particulièrement en gymnastique (Cizeron, 2002). L’idée sous-jacente et qui constituait du coup un « point aveugle » de ce moment de l’étude se rapporte à une démarche

positiviste. Celle-ci consiste à croire qu’une modélisation mécanique du geste sportif serait de

nature à délimiter la ou les formes idéales, lesquelles seraient à prescrire en enseignement. Cette démarche est une erreur dans la mesure où la technique corporelle ne consiste pas à conformer le corps aux lois mécaniques comme le ferait un robot modélisé à cette fin. Elle consiste en une intégration de ces lois et de celles qui gouvernent l’organisme vivant dans une organisation complexe irréductible à de « simples » causalités de type mécanique. Ceci signifie que l’analyse de type biomécanique n’est pas inutile pour comprendre le mouvement, mais qu’elle demeure relativement stérile pour comprendre l’organisation motrice du sujet agissant (produisant ce mouvement) ;

c) La référence trop implicite à nos expériences de gymnastes, entraineurs et enseignants

en gymnastique a constitué un biais pour la recherche. Ce biais étant imputable à une trop grande proximité avec l’objet, nous avons pris la décision d’élargir le domaine d’étude à des pratiques autres que la gymnastique.

1.2. Procédures de recueil des données descriptives

Pour observer les formes de corps et des mouvements corporels, l’outil vidéo a été retenu. Grâce aux traitements numériques de l’image, il a permis d’obtenir des films à vitesse

normale ou ralentie, et d’extraire des chronophotographies au 1/50ème

de seconde (images détramées). Les indicateurs descriptifs retenus ont été empruntés à ceux qu’utilisent les enseignants et entraîneurs experts : des descriptions segmentaires du corps, inscrites dans des lignes, des courbes, des angles (Cizeron, 2002, Cizeron & Gal-Petitfaux, 2005) ; des formes des déplacements du corps ou des segments corporels ; des appuis différents sur le substrat de déplacement.

Dans le prolongement d’une étude propédeutique conduite en Master, le terrain de recherche s’est d’abord tourné vers les conduites motrices d’étudiants en STAPS en gymnastique (saut de mains). Dans une perspective d’acculturation des chercheurs à d’autres pratiques sportives que celle correspondant à leur propre spécialité, et selon les disponibilités des enseignants d’EPS, l’acquisition des autorisations de filmer, les terrains de pratique d’enseignement scolaire des APSA suivants ont été investis :

79 - la pratique de la gymnastique avec des étudiants de licence 3 de l’UFR STAPS de l’université Blaise Pascal de Clermont Ferrand ;

- la pratique scolaire de la natation longue avec une classe de 6ème de collège ;

- la pratique de la danse avec des étudiants de licence 3 de l’UFR STAPS de l’Université Blaise Pascal de Clermont Ferrand ;

Pour chacune de ces études, les procédures des recueils de données seront spécifiquement présentées dans la partie 4 concernant les résultats.