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Catégories fonctionnelles d’analyse des conduites motrices

PARTIE 2 : Cadre théorique

3. Catégories fonctionnelles d’analyse des conduites motrices

L’objectif de l’étude est essentiellement d’élaborer des catégories d’analyse fonctionnelle de l’activité motrice. Les catégories visées sont destinées à permettre la compréhension de l’organisation motrice des sujets engagés dans des tâches proposées dans le cadre de l’enseignement de l’EPS.

La démarche adoptée doit prendre en compte les catégories déjà élaborées par les théoriciens de la motricité et didacticiens ou techniciens des activités physiques et sportives. L’exercice est délicat car certaines de ces catégories émanent d’une élaboration scientifique tandis que d’autres sont davantage des construits professionnels. La difficulté se renforce avec le constat que certaines catégories empruntent des termes dont on pourrait penser qu’ils renvoient à des concepts scientifiquement élaborés mais qui, dans l’usage qu’en font les intervenants, se rapportent à des construits professionnels, au contenu plutôt métaphorique. C’est typiquement le cas de la catégorie « énergie » largement utilisée en danse ou en gymnastique. Si cette catégorie s’avère pertinente pour formuler des programmes d’EPS, elle ne permet pas de comprendre l’organisation motrice du sujet d’un point de vue fonctionnel. Autrement dit elle n’aide pas à comprendre la cohérence de la conduite motrice que le sujet adopte à un moment donné pour répondre à la tâche qui lui est proposée.

Certaines catégories élaborées dans le milieu professionnel de l’enseignement constituent des cadres pour délimiter des « objets d’enseignement ». C’est typiquement le cas par exemple des catégories « espace », « temps », et « énergie » en enseignement de la danse. De ce point de vue, enseigner la danse, c’est notamment faire travailler les élèves à propos ou selon ces catégories. Il s’agit de catégories qui délimitent en quelque sorte de quoi est constitué le mouvement dansé.

D’autres catégories sont davantage destinées à une « lecture » analytique de la motricité des élèves. Elles ont davantage pour finalité de permettre aux enseignants de repérer et comprendre ce que fait l’élève. C’est typiquement le cas des catégories « équilibre », « respiration », « propulsion » et « information » (ERPI) en enseignement de la natation. Ces

69 catégories étaient pour Catteau et Renoux (1978) des actions du nageur ; pour Dubois et Robin (1985) des problèmes spécifiques posés par le milieu aquatique ; et pour Gal (1993), des principes invariants d’efficacité du nageur. Pour cette dernière, si l’on retient l’analyse qu’elle fait de l’équilibre (puisque c’est la fonction d’équilibration que nous avons plus particulièrement étudiée en amont), le principe invariant d’efficacité du nageur consiste à se

rééquilibrer pour s’orienter. La question de l’équilibre du nageur dans l’action est analysée

par Gal en se référant au système de forces auquel le corps est soumis en situation d’immersion aquatique : le poids du nageur ; la poussée d’Archimède qui s’exerce sur les parties immergées de son corps ; les forces de résistance à l’avancement (lorsqu’il y a déplacement). L’analyse de ce système de forces appliquées au corps permet de définir une

posture ou position de référence : corps tendu allongé, bras tendus dans le prolongement du corps, tête fixée et corps tonique. Cette position de référence a son fondement dans des

arguments de type mécanique, sa justification étant qu’elle est la mieux profilée pour avancer efficacement. Pour acquérir cette posture de référence, le nageur apprenant doit construire l’horizontalité de l’axe bras – tête – tronc – jambes, et se rééquilibrer constamment en cas de modification de cette position afin de la retrouver. Le déséquilibre est alors défini comme une modification de cette position de référence, dû notamment à une modification de la localisation du centre de gravité corporel (point d’application de la résultante du poids) ou du centre de gravité du volume de liquide déplacé (point d’application de la résultante de la poussée d’Archimède). Par exemple, la sortie de la tête de l’eau pour respirer est source de déséquilibre. Gal ajoute que certains déséquilibres sont néanmoins délibérément recherchés par le nageur expert : roulis dans les nages alternatives ; dégagement de la tête et même du haut du corps en brasse. La question de l’équilibre comme catégorie d’analyse de l’activité motrice du nageur est donc dans ce cas explicitée en référence à une norme posturale justifiée par des principes mécaniques.

L’activité d’équilibration du sujet est ainsi définie comme activité de rééquilibration en cas de perte de cette posture de référence (les déséquilibres) afin de la retrouver. Le problème est que la norme mécanique réfère en fait à une contrainte de type mécanique que l’activité du sujet intègre – parmi d’autres contraintes – dans une quête d’efficacité (se déplacer le plus rapidement possible, avec un maximum de rendement énergétique). Le sujet intègre alors cette contrainte en produisant une certaine forme d’organisation motrice, différente de celle que produira un autre sujet sous l’effet de la même contrainte. La forme du corps et de son déplacement manifestent l’intégration de cette contrainte à différents niveaux d’élaboration technique, c’est-à-dire d’adéquation de cette forme à l’efficacité du déplacement aquatique. En termes proprement fonctionnels, la question de l’équilibration du sujet dans son action ne se rapporte pas à la façon dont il conforme sa posture à une norme formelle, mais plutôt à ce

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70 qui lui permet de réguler, piloter, contrôler, la position de son corps (sa posture) dans l’espace. Considérer l’équilibration comme une fonction revient à la rapporter à la structure du comportement (Merleau-Ponty, 1942), c’est-à-dire à une façon privilégiée du sujet d’organiser sa motricité. À chaque niveau d’élaboration technique, le sujet adopte un comportement (privilégié) notamment caractérisé par un certain degré d’élaboration de son équilibration. Par exemple, lorsqu’un sujet débutant est en situation d’immersion, son référentiel gravitaire habituel est fortement perturbé. En effet, en situation « terrienne » son poids a pour réaction celle d’un substrat solide qu’il « sent » sous les pieds. La localisation de cette réaction est en général limitée en surface (le plus souvent à la plante des pieds), chaque « appui » étant l’objet d’une sensation de pression localisée à cette surface. Le poids est également « ressenti » ailleurs dans le corps : les muscles, tendons, articulations. En situation d’immersion, ce référentiel gravitaire est fortement perturbé car la réaction du substrat se répartit sur l’ensemble des surfaces immergées. Des « appuis » localisés restent possibles, mais seulement à proportion de la vitesse de déplacement de la surface impliquée. L’appui est ainsi ressenti comme « fuyant » dans la mesure où le substrat est fluide.

La posture de référence correspond à la solution mise en œuvre à un moment donné par un sujet pour réguler la position de son corps dans l’espace. Elle correspond à un certain comportement privilégié, c'est-à-dire à la meilleure façon de s’organiser pour répondre aux contraintes qui pèsent sur lui. Cette posture est donc significative en tant qu’elle traduit certaines fonctions pour le sujet qui la produit. Mais la détermination de cette posture de référence n’aide pas à comprendre comment s’organise un autre sujet, pour lequel le référentiel gravitaire ne permet plus de réguler la position de son corps dans le milieu aquatique et qui ressent ses appuis comme fuyants. La posture de référence corps tendu

allongé, bras tendus dans le prolongement du corps, tête fixée et corps tonique permet de

rendre compte de ce vers quoi tend l’organisation motrice au fur et à mesure qu’elle se développe, et de comprendre comment se coordonnent la fonction d’équilibration et les autres fonctions motrices pour un sujet dont le niveau d’organisation est plus élaboré. Cependant, la forme de cette posture n’aide pas à comprendre la façon dont un sujet, à un moment donné, s’organise pour réguler la position de son corps dans l’espace.

Dans la même veine que les propositions de Gal en natation, Goirand (1988) a proposé des catégories d’analyse de l’activité du gymnaste afin d’identifier des niveaux d’organisation de son habileté motrice. Il a ainsi déterminé deux catégories déclinées en sous-catégories : l’équilibre du sujet dans l’action et les sous-catégories espace et temps ; et la coordination qui se scinde en coordination d’actions et en coordination posturale.

71 À partir du cadrage théorique présenté tout au long de cette partie, et des propositions des

différents auteurs qui se sont intéressés aux catégories de l’activité motrice27

, les catégories suivantes ont été déterminées a priori pour analyser l’organisation motrice des sujets dans différentes APSA :

Intention : l’intention est ici définie dans le registre du vocabulaire technique de la phénoménologie. Comme propriété de la conscience, c’est par elle que le sujet est-au-monde, qu’il peut le viser dans des actes : percevoir, sentir, imaginer, agir… La fonction intentionnelle se déclinera donc en sous-catégories :

Emotion : le fait de ressentir certaines manifestations affectives (peur, désir, honte,

jubilation, etc.) ;

Action : catégorie qui rejoint le sens courant du terme intention, c’est-à-dire le vouloir

associé à un but, un projet de transformation orienté vers le monde. Ce sens rejoint un des reflets psychologiques de l’intentionnalité, l’aspect volitif de la visée ;

Perception : Acte intentionnel par lequel se constituent des existences. Selon cette

acception, ce qui n’est pas perçu n’est pas seulement négligé ou non remarqué, mais n’existe pas pour le sujet percevant, au sens strict du terme ;

Signification : Il s’agit du sens de ce que vit le sujet, mais tel qu’il lui apparaît dans la

pensée, qu’il peut donc réfléchir et communiquer ;

Coordination : cette notion sera rapportée aux aspects intentionnels, c’est-à-dire à la coordination des actions. Il s’agit alors de la fonction qui permet au sujet d’agencer plusieurs actions dans une certaine unité temporelle ;

Equilibration : fonction qui permet au sujet de réguler, piloter, contrôler, la position (l’orientation) de son corps dans l’espace. La notion de référentiel est alors une sous-catégorie fonctionnelle essentielle à celle d’équilibration ;

Locomotion : fonction qui permet au sujet de se déplacer. Analyser la locomotion consiste à s’intéresser à la façon dont le sujet utilise certaines parties de son corps comme appui sur un substrat déterminé pour se poser à un endroit et changer de place ;

Respiration : fonction générale et essentielle aux être vivants qui leur permet d’opérer des échanges gazeux avec l’environnement. La ventilation est une sous fonction de la respiration qui permet d’assurer mécaniquement l’inspiration et l’expiration des gaz.

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L’examen des catégories pré existantes dans les APSA étudiées sera fait plus spécifiquement dans la Partie 4 consacrée aux résultats obtenus dans chaque étude : en gymnastique, en natation et en danse.

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72 Ces catégories, pour l’instant essentiellement spéculatives devront être confrontées à du matériel empirique, c'est-à-dire à l’activité de sujets concrets mettant en œuvre une certaine organisation motrice dans une tâche donnée. Cette confrontation au matériel empirique permettra alors de valider ou d’invalider ces catégories, d’en préciser la détermination conceptuelle, notamment au regard des catégories pré existantes, de les développer (éventuellement en sous-catégories) ou à l’inverse de les rassembler au sein d’une catégorie qui les subsumerait, de les nuancer, d’en élaborer de nouvelles, le tout en les mettant en relation, pour chaque cas étudié avec les formes de corps et de mouvements corporels identifiées.

73 Cette partie se décline en deux chapitres : le Recueil des données et le Traitement des données.

Le Chapitre 1 présente la nature des données ainsi que leurs modalités respectives de recueil. Avant d’exposer les moyens effectivement mis en œuvre pour accéder à l’expérience vécue, des éléments destinés à examiner les conditions théoriques de cet accès seront fournis. Nous soulignerons enfin les aspects sur lesquels nous avons dû nous former pour mener les entretiens avec les participants et favoriser l’explicitation de leur expérience.

Le Chapitre 2 décrit la façon dont nous avons procédé pour traiter les différents types de données ainsi que le processus d’élaboration des catégories fonctionnelles d’analyse de l’activité motrice.

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