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La diversité des fondements philosophiques (B) contraste avec le fondement unique derrière lequel les doctrines religieuses se trouvent unies (A)

LA RICHESSE DES SOURCES PHILOSOPHIQUES ET RELIGIEUSES

§ 2 : DES FONDEMENTS DIVERSIFIES

83. La diversité des fondements philosophiques (B) contraste avec le fondement unique derrière lequel les doctrines religieuses se trouvent unies (A)

A) LE FONDEMENT RELIGIEUX

84. La création de l’homme à l’image de Dieu et l’Incarnation, sont alors les deux moments forts de la constitution de la dignité de l’homme. Les fondements de la dignité se trouvent dans une perspective religieuse et chrétienne, dans la Création (1°) et l’Incarnation

rédemptrice du verbe (2°)107. L’homme est créé par Dieu à son image, et il envoie son fils sur la terre pour confirmer cette dignité.

1°La création de l’homme à l’image de Dieu

85. « La création est le fondement de tous les desseins salvifiques de Dieu, le commencement de l’histoire du salut »108 . Dans l’ordre de la création, le premier jour, Dieu créa la terre et la lumière, le second jour il créa le firmament et sépara les eaux, le troisième jour, il créa la terre ferme, les océans, la végétation, le quatrième jour, il créa le soleil, la lune et les astres, le cinquième jour, il créa les animaux marins, les volatiles, le sixième jour, il créa les animaux sauvages, le bétail, les rampants, et l’homme et la femme. S’il est vrai que l’on considère que l’ordre de la création est important, puisque de cet ordre découle la hiérarchie entre les êtres, on ne peut cependant pas déduire de l’ordre de la création seul, la dignité de l’homme, sa grandeur ou son éminence. Il en va autrement de la manière dont l’homme fût créé, le seul être à l’image du créateur. « Dieu créa l’homme à son image »109.

86. C’est le thème de l’ « imitatio dei » qui va être repris par les théologiens, pour affirmer la valeur particulière de l’homme dans la création. « L’affirmation que l’homme est fait à l’image de Dieu, qu’il est appelé à se parfaire selon la ressemblance divine est une donnée première pour toute anthropologie chrétienne »110. Il s’agit d’un thème ancien qui subsiste aujourd’hui participant ainsi de cette permanence du fondement théologique, que l’on oppose à la diversité philosophique. Cette corrélation entre l’image de Dieu et la dignité humaine, serait l’œuvre de Clément de Rome qui dans son Epître aux Corinthiens aurait posé cette doctrine comme allant de soi 111, inaugurant ainsi, un rapprochement qui s’enracine à l’époque de la patristique et traverse les âges jusqu’à aujourd’hui. Ainsi Clément de Rome note : « De ses mains sacrées et immaculées, Dieu a façonné l’être excellent et souverain, l’homme comme une empreinte de sa propre image »112. Malgré une éclipse à la Renaissance, où tout un mouvement se constitue pour disjoindre l’image de Dieu de la dignité, le Concile Vatican II rétablit cette conjonction entre l’image de Dieu et la dignité humaine : « C’est en vertu de

107 J-B. SANO, La dignité de la personne humaine comme paramètre incontournable pour la mission évangélisatrice de l’Eglise en Afrique, Rome, Pontificia Universitas Urbaniana, 1997, 366p.

108 Directorium Catechicum Generale cité par Catéchisme de l’Eglise catholique. Poche, 1999. (280).

109 Genèse 1-27.

110 C-J. PINTO De OLIVEIRA Ethique chrétienne et dignité de l’homme,op.cit.,.p.5

111Ibid.,p.7

la création même, proclame le Concile-, que toutes choses sont établies dans leur consistance, leur vérité et leur excellence propres, avec leur ordonnance et leurs lois spécifiques »113. 87. Son excellence, l’homme la doit alors à cette manifestation de l’amour que Dieu lui porte et le siège de cette excellence est pour beaucoup l’âme de laquelle viendra le salut de l’homme. « La vérité de l’homme se trouve dans son rapport intime avec Dieu, avant tout en raison du sceau dont il a marqué sa structure naturelle en le créant. (…) Avant tout, l’homme créé à l’image de Dieu est structurellement mis en relation avec la vérité à travers sa «mens », son esprit, siège particulier de ses facultés d’intelligence et de volonté par laquelle, il y tend sont l’expression élémentaire et universelle de sa dignité »114.

88. Très vite Platon avait fait valoir que ce qu’il y a d’admirable en l’homme c’est son âme, le corps n’étant qu’un tombeau pour cette dernière. Il insiste sur la station debout de l’homme et met en avant le fait que c’est la partie la plus haute, donc la plus proche du ciel qui est en mesure de communiquer et d’atteindre la perfection. Seule l’âme peut prendre part chez Platon au cortège des dieux. L’aquinate insistera ainsi sur cette intelligence qui est reconnue à l’homme et qui seule lui permet d’évoluer vers cette perfection que l’on attend de lui : « cette conformité à Dieu est fondée sur une capacité réelle, à savoir : sur la nature spirituelle, intellectuelle et libre de l’homme »115. C’est donc une manière de s’en remettre à la Raison de l’homme pour parfaire en quelque sorte l’œuvre commencée par le Créateur.

89. La Raison, n’est cependant que seconde, elle suit la Création ad imagen dei. Beaucoup d’auteurs se retrouvent alors pour voir dans la liberté et la Raison, les deux composantes de l’homme à l’image de Dieu. Ce sont ces facultés qui vont rendre l’homme capable de perfection, parce que la création de l’homme à l’image de Dieu n’est qu’un commencement. La création de l’homme à l’image de Dieu investit celui-ci d’une mission, l’homme est ainsi appelé à « devenir ce qu’il est », pour paraphraser Pindare. Il y a en effet avec cette création ad imagen dei une lourde tâche qui pèse sur les épaules de l’homme, il doit se montrer digne de cet amour et de cette confiance que le créateur a placés en lui. C’est ainsi que l’on admet que la Création ad imagen dei n’est pas une fin en soi, c’est un commencement. La notion de commencement doit s’entendre ici véritablement dans son sens religieux, le sens que lui donne notamment le Petit dictionnaire de théologie catholique. Le commencement y est alors défini non pas comme : « simplement le premier d’une série d’instants multiples et

113 Gaudium et Spes cité par C-J. PINTO De OLIVEIRA Ethique chrétienne et dignité de l’homme, Editions Universitaires de Fribourg, 1992,357p.p.26

114 Discours du Pape Jean Paul II à l’audience générale, le 25 janvier 1984, cité par J-B. SANO,La dignité de la personne humaine comme paramètre incontournable pour la mission évangélisatrice de l’Eglise en Afrique,Rome, Pontificia Universitas Urbaniana. 366p.spéc.p.218

comparables entre eux, » mais comme « l’instauration d’une réalité formant un tout, ce qui rend possible toute l’histoire de cette réalité ». « Avant que le tout existe, le commencement détermine son essence et les conditions de réalisations concrètes qu’elle implique. (…) Un tel commencement est ouvert sur une fin et ne devient pleinement lui-même que dans cette fin116. L’homme n’est pas Dieu, il est image, mais il n’est pas Dieu, et cette précision est d’importance. En effet en tant qu’image, il y a ressemblance, mais la ressemblance à ceci de particulier, qu’elle n’est pas mêmeté, il y a donc de la place pour une dissemblance même infime, qui fait que le rassemblant n’est jamais totalement le ressemblé. Il y a dans le fait de ressembler, cette idée d’une possible imperfection, que l’homme cherche à réparer, pour s’unir à Dieu. Par conséquent l’homme a à se rapprocher de cette perfection que constitue Dieu. Dieu est donc un idéal. On parle de commencement parce que l’homme est mis en condition de se rapprocher de l’idéal. C’est en ce sens que St. Thomas d’Aquin sacrifiant à la tradition développe sa « doctrine de l’image »117. On retrouve chez lui cette idée d’une imperfection de l’homme, qui n’étant pas « l’image parfaite de Dieu »118, est appelé à se conformer à celui-ci par ces actes et ses activités.

90. Cette recherche par l’homme de la perfection divine, cet idéal de divinisation est un idéal d’élévation, l’homme a à s’élever et à révéler sa sublimité par son union « finale » avec Dieu. Cependant, dans sa quête de divinisation, qui suppose qu’il s’élève, l’homme doit au fur et à mesure de son élévation, se débarrasser de tout ce qui est impur. C’est là le sens de l’idéal contemplatif qui accompagne cette création ad imagen. Cet idéal de contemplation était déjà présent dans la philosophie grecque des origines. Platon prônait ainsi la nécessité de se libérer des contingences matérielles afin d’atteindre la connaissance suprême. Cependant chez Platon, seule l’âme va pouvoir participer de cette contemplation, va pouvoir s’élever, le corps étant chez Platon distinct119. La contemplation qui est un moyen d’accéder au divin, « de pouvoir rester paisiblement en présence de Dieu »120, exige de se débarrasser de toutes les impuretés pour avancer jusqu’à Dieu. « Dans l’état de parfaite union avec Dieu, l’homme se réalise dans sa vérité, pour son bonheur et son ultime sanctification, il s’accomplit dans sa dignité singulière de communier à la gloire de Dieu »121. C’est là sans doute, le point qui a justifié les plus grandes critiques à l’encontre de la « doctrine de l’image ». Il y a dans

116 K. RAHNER et H. VORGRIMLER, Petit dictionnaire de théologie catholique. Editions du Seuil, 1997, 505p.

117 SAINT THOMAS D’AQUIN, Somme théologique. III-I, Q. 93.

118 SAINT THOMAS D’AQUIN, Somme théologique. III-I, Q. 93, a. 1, rép.

119 Voir nos développements, Deuxième partie, Titre second, Chapitre 2, Section 1.

120 K. RAHNER, H. VORGRIMLER Petit dictionnaire de théologie catholique. Editions du Seuil, 1997, 505p.

l’invitation à l’idéal contemplatif, un détachement du réel qui a dérangé beaucoup d’auteurs humanistes, qui vont justement développer des doctrines qui prennent le contre-pied de cette doctrine. A cet homo contemplativus va être opposé un homo faber. Les humanistes de la renaissance, tout en conservant cette idée d’homme comme être à part, tout en soulignant l’excellence de l’homme, vont rendre celui-ci « auteur et acteur» de son excellence.

91. Le thème de l’image est définitivement un thème dynamique, puisqu’il y a cette quête de l’home pour atteindre Dieu. « La dignité humaine est dynamique ; elle tend à grandir, mais elle peut aussi diminuer et se perdre, puis enfin être récupérée par la pénitence»122.Cette dignité est renouvelée par l’incarnation du Christ en homme. Le Verbe s’étant fait chair pour racheter l’homme déchu et pour lui renouveler son amour.

2° L’incarnation rédemptrice du verbe

92. C’est ainsi que Jean Paul II affirme : « le fondement de la dignité humaine, que chaque homme peut saisir en réfléchissant sur sa nature d’être doté de liberté, c'est-à-dire d’intelligence, de volonté et d’énergie affective, trouve dans la Rédemption sa pleine intelligibilité »123.

93. L’homme possède dans sa nature même cette faculté de se déterminer librement, puisque parce que justement il est image de Dieu, il est liberté. « Créature d’un Dieu esprit et libre » il est alors lui-même « esprit et libre »124. Cependant cette liberté est toujours subordonnée à la grâce de Dieu125. C’est cette liberté qui le rend capable de choisir Dieu comme de ne pas le choisir. On s’interroge alors sur ce qu’il advient de l’homme qui s’est éloigné de la perfection, qui n’accomplit pas les espoirs divins placés en lui. Dans le pêché, l’homme s’est préféré lui-même à Dieu, et par la lui-même il a méprisé Dieu. Par la séduction du diable, il a voulu être « comme Dieu », mais « sans Dieu », et avant Dieu, et non pas selon Dieu126. C’est la grande question chrétienne de la Chute après le pêché. Là où on s’attendrait à voir l’homme perdre sa dignité, il n’en n’est rien. C’est à l’unanimité que la tradition chrétienne reconnaît que le pêché, s’il cause bien la chute de l’homme, ne lui fait pas perdre sa dignité. « C’est l’homme

122 S. PINCKAERS, La dignité de l’homme selon Saint Thomas d’Aquin. in, De dignitate hominis, Mélanges offerts à Carlos- Josaphat PINTO de OLIVEIRA, Université de fribourg, 1987, p.89-106.

123 Discours du Pape Jean Paul II à l’audience générale, le 25 janvier 1984, cité par J-B. SANO, La dignité de la personne humaine comme paramètre incontournable pour la mission évangélisatrice de l’Eglise,op.cit.,spéc.p.218.

124 E. GILSON, La philosophie au Moyen Âge : des origines patristiques à la fin du XIVè siècle, p.56.

125 L. SOZZI, Rome n’est plus Rome: la polémique anti-italienne et autres essais sur la renaissance. Editions Champion, paris, 2002, p.408.

dans la misère qui dans cette misère, demeure un homme, car il demeure à l’image de Dieu. Seule la ressemblance est compromise, du moins celle qui dépend de l’action conjointe de la liberté et de la grâce »127. Le péché « si grave soit-il, ne détruit donc pas la dignité de l’homme, mais la diminue en bloquant en quelque façon son dynamisme, en l’empêchant de se développer par la vertu dans le sens de la vérité et du bien »128.

94. Là encore, Dieu vient au secours de sa Créature, en lui offrant la possibilité de se relever, et pour cela, il lui envoie son propre fils. Le Christ se fait homme pour assurer le salut des hommes. « L’incarnation (…) rétablit la prédestination de l’homme (…) la dissemblance du pêché abolie, alors tout est possible »129.Au travers de l’Incarnation, on assiste à une hominisation du divin, au christ qui s’abaisse pour faire participer l’homme de la divinité, il se rapproche de lui. On pourrait penser que la dignité a été perdue par le péché et que la « venue du Christ » sur terre permet de donner à l’homme une nouvelle dignité, mais là n’est pas le sens de la rédemption et de l’incarnation. Parce que l’homme est créé à l’image de Dieu et cette ressemblance n’est pas remise en cause, cependant, la ressemblance se fait plus lointaine, certaines différences sont plus marquées et on est plus proche d’une « pâle imitation ». « Comme il fût la cause initiale de sa chute, le libre arbitre de l’homme est l’agent principal de son relèvement. Il est incontestable que l’homme reste un homme libre»130. En effet, l’homme n’est pas sauvé par le Christ malgré lui, il est sauvé en tant qu’il est libre et que cette rédemption ne lui est pas imposée, il va coopérer avec le Christ. « L’être humain à travers les vicissitudes de l’existence et de l’histoire garde une dignité permanente en raison de sa nature, créé par Dieu et en vertu du caractère immuable du dessein divin, de son amour qui ne connaît pas de repentir ; mais la condition humaine est susceptible de déchoir dans l’indignité morale, méritant dans son avilissement d’être punie à cause du mauvais usage de la liberté»131.

95. Le rôle de la liberté est donc essentiel dans la dignité, puisque l’homme est ainsi en condition d’agir convenablement ou non. Mais il ne perd pas pour autant cette liberté qui n’est subordonnée qu’à sa création à l’image de Dieu. Il faut distinguer ce que l’homme est de ce qu’il fait. Il faut distinguer l’homme en tant qu’esprit et liberté de l’usage qu’il fait de cette liberté. « Il y a donc en l’homme, à la source jaillissante de son être, une permanence de

127R. JAVELET, La dignité de l’homme dans la pensée du XIIe siècle. in De dignitate hominis, Mélanges offerts à Carlos- Josaphat PINTO de OLIVEIRA, Université de fribourg, 1987, 612p. p.39-87.

128 S. PINCKAERS, La dignité de l’homme selon Saint Thomas d’Aquin,op.cit.,p.89-107.

129R. JAVELET,La dignité de l’homme dans la pensée du XIIe siècle, op.cit., p.39-87.

130 E. GILSON La philosophie au Moyen Âge : des origines patristiques à la fin du XIVè siècle,op.cit., spéc.p.8

l’action divine qui lui garde sa valeur d’homme »132. On retrouve d’ores et déjà une des caractéristiques de la dignité qui va se retrouver lors qu’elle sera « saisie par le droit ». Il y a une dignité permanente et une dignité qui se développe. La dignité n’est pas une fin, elle est un commencement. C’est ainsi que se trouve posé le caractère inamissible de la dignité en même temps que son caractère dual. Il y a alors deux dignités, une qui nous est reconnue ad vitam aeternam, qui nous est définitivement acquise, et une autre qui dépend de nous, de notre agir. Ainsi se trouve annoncée, cette distinction établie entre une dignité définitive et une dignité évolutive.

B) LES FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES

96. L’approche philosophique diverge de l’approche théologique, en ce que la philosophie