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L’approche philosophique diverge de l’approche théologique, en ce que la philosophie partant du principe d’une différence spécifique de l’homme par rapport aux autres êtres

LA RICHESSE DES SOURCES PHILOSOPHIQUES ET RELIGIEUSES

§ 2 : DES FONDEMENTS DIVERSIFIES

96. L’approche philosophique diverge de l’approche théologique, en ce que la philosophie partant du principe d’une différence spécifique de l’homme par rapport aux autres êtres

vivants et plus particulièrement, par rapport aux animaux, va rechercher en observant l’homme lui-même, ce qui chez lui peut expliquer cette spécificité. Que cette spécificité soit une excellence comme sous l’impulsion de la renaissance humaniste ou simplement une spécificité humaine, les philosophes vont s’atteler pendant longtemps non pas finalement tant à convaincre de cette spécificité qu’à la fonder rationnellement. L’humanisme fournit le cadre privilégié du développement de ces théories (1°). On peut distinguer deux types de théories, les théories ontologiques de la dignité (2°) auxquelles s’opposent directement les théories qui voient la dignité comme une conquête de l’homme (3°).

1°Le contexte particulier de l’humanisme

97. La dignité en tant que concept philosophique « débarrassé » de tout présupposé religieux, prend forme dans le contexte particulier de la Renaissance humaniste. L’humanisme et plus particulièrement l’humanisme de la Renaissance, correspondent à une période de l’histoire qui place l’homme au centre de tout, qui va faire de l’homme l’alpha et l’oméga de sa propre excellence. Prenant naissance dans le contexte particulier de la « crise de l’Eglise », dont les prémisses se font sentir dès la fin du quatorzième siècle, ce mouvement intellectuel va célébrer l’homme comme jamais. L’Eglise est en effet en crise, elle qui avec l’empire va jusqu’à la fin du Moyen âge être considéré comme destinée à durer autant que dure l’humanité elle-même. Secouée par des querelles intestines, qui conduisent à un schisme, elle

devra se renouveler pour survivre à la crise. Elle devra refonder ses institutions et lutter contre les tendances centrifuges des Eglises nationales. Profitant également d’un vacillement de l’autorité que représente l’Empire en ce début de XVème siècle, confronté à des révoltes paysannes et communales, l’humanisme en tant que puissance culturelle va très vite s’imposer comme la troisième force à côté de l’autorité spirituelle et l’autorité temporelle.

98. Le vocable « humanisme » n’apparaît que très tardivement par rapport au mouvement qu’il sert à désigner, puisqu’il ne sera formulé qu’en 1765 pour désigner à l’origine « l’amour de l’humanité »133.Dans un premier temps, l’humanisme désigne ce mouvement qui en s’inspirant très largement des auteurs anciens, paiëns ou chrétiens, va proposer une alternative à la rigueur scolastique, alternative fondée sur une vision humanisante de la rhétorique, d’acquisition de la culture « l’humaniste est alors celui qui accède à une culture supérieure, celui qui s’humanise en étudiant l’homme à travers les textes des anciens modèles d’humanité »134. Ce n’est que progressivement que la notion va venir désigner ce mouvement philosophique qui exalte la nature humaine. Il s’agit donc d’une différence entre la nature et la culture, entre l’inné et l’acquis. Il est donc possible de distinguer entre les auteurs, selon que ceux-ci postulent la dignité comme innée, ou alors comme acquise, de l’ordre de la culture. 99. Aucune typologie n’est exempte de critique. Cependant, l’opposition entre nature et culture constitue une opposition classique en philosophie, il n’est donc pas audacieux, de prétendre reprendre cette distinction pour rendre compte du contexte dans lequel la notion de dignité est formulée au cours de la renaissance humaniste. Il y a bien cette différence entre une conception que l’on qualifiera d’ontologique , en ce qu’elle situe le fondement de la dignité dans ce que l’homme est, et une conception plus culturelle, matérialiste, un humanisme « culturel »135. Cette distinction qui est vraie pour la période à laquelle nous nous intéressons, l’humanisme, ne l’est plus de nos jours, où c’est la vision ontologique qui domine les débats sur la dignité.

2° Les justifications ontologiques

100. Il s’agit essentiellement des philosophies qui postulent la dignité comme trouvant son siège dans l’être de l’homme, qu’il s’agisse de mettre en avant une faculté en l’homme, telle

133 H. de LUBAC,Pic de la Mirandole. Aubier Montaigne, Paris, 1974, p. 150

134 H. de LUBAC, Pic de la Mirandole, op.cit.,p. 150

135 O. BOULNOIS, La dignité de l’image ou l’humanisme est-il métaphysique ? in, P. MAGNARD (éd). La dignité de l’homme, actes du colloque tenu à la Sorbonne, nov. 1992, Honoré Champion, Paris, 1995, p.103-123.

que la raison, la pensée, ou avec Pic de la Mirandole, la liberté C’est surtout à ce dernier dont la pensée est encore reprise au nombre des fondements philosophiques de la notion de dignité que nous nous intéresserons.

101. Que l’on expose la pensée de Pic de la Mirandole dans une partie destinée à rendre compte du fait que la philosophie à l’inverse, de la théologie, ne parvient pas à une unité des doctrines autour du fondement de la dignité, peut avoir de quoi surprendre à priori. En effet, on s’attendrait plus facilement à une étude de Pic de la Mirandole dans la partie consacrée à la dignité ad imagen dei, étant donné que la pensée de l’humaniste italien affiche son attachement à la tradition chrétienne et partant à l’idée de la dignité comme la résultante de la création de l’homme par Dieu. C’est ainsi que l’on a pu considérer à raison Pic de la Mirandole comme « la plus pure figure de l’humanisme chrétien »136. Il est indéniable que la pensée de Pic de la Mirandole s’inscrit dans la plus pure tradition chrétienne qui voit dans Dieu la cause intelligible de toute chose, le Principe de la Création137. Cependant, réduire cette pensée à une retranscription fidèle de la doctrine des pères de l’église, c’est minimiser la contribution de l’auteur à la compréhension de la notion de liberté comme fondement de la dignité humaine138.

102. L’œuvre majeure de l’humaniste de la Renaissance s’agissant de la notion de dignité est l’Oratio de hominis dignitate139. L’auteur y développe l’idée d’une dignité reposant sur la liberté de l’homme. « La dignité de l’homme réside dans sa liberté : elle est le privilège

136 L’expression est de P-M. CORDIER, Jean Pic de la Mirandole ou « la plus pure figure de l’humanisme chrétien ». Nouvelles éditions Debresse, Paris, 1957, 191p. Certains révéleront la contradiction des termes, il s’agit surtout pour ceux pour lesquels l’humanisme est avant tout sinon une négation au moins une limitation extrême de l’influence de Dieu dans l’existence de l’homme. En effet, cet humanisme laïc met en avant le fait que l’on ne peut à la fois exalter l’homme et encenser Dieu, la grandeur de l’homme et la grandeur de Dieu s’oppose. Si on pose que Dieu est le « sceau et la garantie de la grandeur humaine », on ne peut pas e même temps avoir une vision de l’homme comme autonomie, comme être se posant là, se dépassant, se réalisant, s’accomplissant par lui-même. Cf. H. de LUBAC Pic de la Mirandole, op.cit., p.152-153.

137 Pour une analyse détaillée, voir notamment H. de LUBAC, Pic de la Mirandole, op.cit.,L’auteur s’attache à montrer l’influence de la religion dans la pensée de l’humaniste italien. Il s’attache à montrer que l’humanisme n’est pas incompatible avec le christianisme et que la grandeur de l’homme ne trouve pas une limitation, un frein dans l’affirmation de celle de son Créateur. On peut à la fois exalter l’homme et rendre hommage à Dieu pour avoir créé l’homme.

138 Parmi les auteurs de la renaissance humaniste, seule la conception de Pic de la Mirandole a traversé les âges et surtout semble avoir marqué les juristes, puisque ceux-ci lorsqu’ils s’intéressent à la notion de dignité, n’hésitent pas à faire référence à côté de Kant, Lévinas, à Pic de la Mirandole, surtout à cause de sa conception de la liberté au fondement de la dignité.

139J. PIC De La MIRANDOLE, De la dignité de l’homme. Traduction de Y. HERSANT, Editions du Seuil, 1993, 101p. Cette œuvre est d’ailleurs présentée comme la pièce maîtresse de la pensée de Pic et constitue le document le plus typique et le plus élevé de la pensée humaniste du XVème siècle. Cf. P-M. CORDIER, Jean Pic de la Mirandole ou « la plus pure figure de l’humanisme chrétien », op.cit.

unique qui fonde et justifie le sentiment d’admiration pour l’être humain »140. On peut définir la conception de Pic de la Mirandole comme une ontologie, parce que l’homme est présenté comme une liberté pure. Il très marqué et inspiré par l’œuvre de Platon, à ce titre il prend comme point de départ pour sa démonstration le mythe platonicien développé dans Protagoras. Ainsi Pic de la Mirandole montre comment l’homme à l’origine est créé dans la nudité la plus pure, Dieu l’a créé mais ne lui a rien donné en propre. La liberté chez Pic prend donc une conotation négative à l’origine, elle réside dans le fait que l’homme n’ait rien, n’ait « pas d’essence préétablie »141 Mais c’est bien là toute la différence entre l’homme et les autres créatures, il a pour lui de n’être rien de figé et par conséquent de pouvoir devenir ce qu’il veut, alors que les autres êtres sont enfermés dans une essence voulue et déterminée par le créateur. : « Si nous ne t’avons donné, Adam, ni une place déterminée, ni un aspect qui te soit propre, ni aucun don particulier, c’est afin que la place, l’aspect, les dons que toi-même aurais souhaités, tu les aies et les possèdes selon ton voue, à ton idée. Pour les autres, leur nature défini est tenue en bride par des lois que nous avons prescrites : toi, aucune restriction ne te bride, c’est ton propre jugement auquel je t’ai confié, qui te permettra de définir ta nature. Si je t’ai mis dans le monde en position intermédiaire, c’est pour que de là tu examines plus à ton aise tout ce qui se trouve dans le monde alentour. Si nous ne t’avons fait ni céleste, ni terrestre, ni mortel ni immortel, c’est afin que, doté pour ainsi dire du pouvoir arbitral et honorifique de te modeler et de te façonner toi-même, tu te donnes la forme qui aurait eu ta préférence. Tu pourras dégénérer en formes inférieures qui sont bestiales : tu pourras, par décision de ton esprit, te régénérer en formes supérieures qui sont divines »142.

103. Au lieu de voir dans l’homme ainsi dépeint, un être dénué de l’essentiel, un être fragile, Pic de la Mirandole va voir dans ce dénuement, l’origine, la source de l’excellence de l’homme. Ainsi dépourvu, l’homme peut « devenir » toutes les natures. Il s’est vu non pas dépossédé, mais bien au contraire. Dieu a posé en lui les « semences de toutes sortes et les germes de toute espèce de vie »143. Il appartient alors à l’homme d’user de ce pouvoir créatif comme il l’entend.

104. On serait alors tenté de se demander si contrairement à ce qui est affirmé, on ne risque pas de déplacer la dignité de ce « dénuement dans lequel on trouve l’homme à l’origine », à ce que « l’homme réalise par l’exercice de son libre arbitre ». Pic de la Mirandole insiste bien sur la nécessité que ce qui en l’homme est admirable, c’est cette « nature indéterminée ». La liberté n’est pas une acquisition ou une conquête de l’homme, l’homme est liberté. C’est en

140 D. PASTINE, Pic de la Mirandole, La liberté : absence de conditions ou « ratio » pédagogique. In, P. MAGNARD (éd). La dignité de l’homme, actes du colloque tenu à la Sorbonne, nov. 1992, Honoré Champion, Paris, 1995, p.87-101.

141 L. SOZZI Rome n’est plus Rome: la polémique anti-italienne et autres essais sur la Renaissance, p. 507.

142 J. PIC De La MIRANDOLE, De la dignité de l’homme, op.cit.p.8-9.

cela que Pic de la Mirandole s’oppose aux philosophes partisans d’une approche « culturelle » de la dignité. Mais il se distingue aussi des philosophes qui, tout en développant comme lui une approche ontologique de la dignité fondent celle-ci sur une sur une faculté que l’on retrouve chez l’homme. En effet, il critique le fait de faire dépendre la dignité d’une faculté que l’homme aurait en propre, il prend l’exemple de l’intellect. Certains auteurs fondent en effet la dignité de l’homme sur une faculté que l’homme posséderait en propre, qu’il s’agisse de la raison, de la pensée. Pic de la Mirandole met en avant le fait qu’en procédant ainsi, on isole en l’homme une partie qui est admirable, l’homme n’est de ce fait plus admirable dans son entier. C’est ce que M. Boulnois souligne :« l’homme n’aura de dignité que dans la mesure où il participera de la pensée, où il recevra un influx de formes venues d’un intellect en acte, c’est-à-dire dans la mesure où quelque chose pensera en lui qui n’est pas lui. L’homme ne se définira plus comme un moi, mais comme un lieu ou l’intellect pense»144. Pic de la Mirandole prône la nécessité d’une dignité qui se fonde sur tout l’homme, parce qu’en isolant ainsi une partie en l’homme qui seule sera digne d’admiration, on court le risque de reconnaître qu’il y aurait des êtres plus admirables que l’homme : « réfléchissant au bien-fondé de ces assertons, je n’ai pas trouvé suffisante la foule de raison qu’avancent, en faveur d’une supériorité de la nature humaine, une foule de penseurs : l’homme, disent-ils est un intermédiaire entre les créatures, familier des êtres supérieurs, souverain des inférieurs, interprète de la nature- grâce à l’acuité de ses sens, à la perspicacité de sa raison, à la lumière de son intelligence- (…) Pourquoi ne pas admirer davantage les anges eux-mêmes et les bienheureux chœurs du ciel145 ?

3° La dignité comme conquête

105. « L’humanité de l’homme lui vient de sa culture, de son art, de son habileté ; elle le met alors à l’autre extrême, bien plus haut que les autres animaux. Devenir un homme est un art. (…) L’homme dans son essence ne serait rien sans l’art par lequel il se constitue. Sans ses œuvres, il n y aurait pas de nature humaine»146. Avant de revêtir le sens qu’on lui connaît aujourd’hui, l’humanisme désigne à l’origine un mouvement culturel, il s’agit « d’éduquer » l’homme afin de marquer sa différence par rapport aux animaux. En effet, le terme humanitas

144O. BOULNOIS, La dignité de l’image ou l’humanisme est-il métaphysique ? in, P. MAGNARD (éd). La dignité de l’homme, actes du colloque tenu à la Sorbonne, nov. 1992, Honoré Champion, Paris, 1995, p.103-123

145 J. PIC De La MIRANDOLE,op.cit.,p.9

dans son acception première renvoie à l’ensemble des qualités qui font l’homme supérieur à la bête147. Il s’agit d’une éducation caractérisée par l’apprentissage des « belles lettres », et des arts, et marquée par le culte de l’antiquité grecque et romaine. Il y a en filigrane l’idée selon laquelle un homme n’advient humain que par cet apprentissage, par cette éducation, par cette culture. Loin de l’idée d’une valeur ontologique, les tenants de cet « humanisme culturel », mettent l’accent sur l’humanisation par la culture. L’obsession est de sortir l’homme de l’animalité dans laquelle il se trouve par sa naissance, ceci ne sera possible que s’il cultive les « humaniores litterae ». On parle ainsi diversement des « humaniores disciplinae », « studia humaniora », « humana studia », ou encore de « studia humanitatis »148.

106. C’est Cicéron qui le premier établit un lien de cause à effet entre la culture et la valeur de l’homme. Pour Cicéron, l’homme se distingue essentiellement de l’animal par la parole et l’usage qu’il en fait. L’humanitas est alors avec lui l’éducation littéraire, la formation du langage et la qualité humaine qui en résulte149. L’auteur développera cette idée notamment dans le De Oratore150. Pour Cicéron ainsi, l’homme se distingue des animaux par le langage, cette idée est le fil conducteur du De Oratore : « Notre plus grande supériorité sur les animaux, c’est de pouvoir converser avec nos semblables et traduire par la parole nos pensées. Qui donc n’admirerait à bon droit ce privilège ? (…) Quelle autre force a pu réunir en un même lieu les hommes dispersés, les tirer de leur vie grossière et sauvage, pour les amener à notre degré actuel de civilisation, fonder les sociétés, y faire régner les lois, les tribunaux, le droit ? »151 L’éloquence est donc au centre de la pensée de Cicéron : « parce qu’elle est la science de bien dire, se trouve être une vertu ; or qui possède une vertu les possède toutes »152 . L’éloquence cependant n’est pas un donné, elle s’acquiert par l’apprentissage, par conséquent : « personne ne saurait arriver à la véritable éloquence, s’il n’a commencé à s’instruire à l’école des philosophes »153.

107. La doctrine de Cicéron en fait l’un des premiers humanistes, et ces idées se trouvent revigorées, par certains auteurs de la renaissance humaniste lorsque ceux-ci mettent en avant cette dignité de l’homme instituée par la culture. On pense notamment à Erasme, qui va à sa

147 F. GAFFIOT, Dictionnaire Latin/ Français.

148 H. de LUBAC Pic de la Mirandole. Aubier Montaigne, Paris, 1974

149 A. MICHEL La dignité humaine chez Cicéron, in P. MAGNARD (éd). La dignité de l’homme, actes du colloque tenu à la Sorbonne, nov. 1992, Honoré Champion, Paris, 1995, p.17-24.

150 CICERON, De l’orateur. Livre 1er. Traduction d’E. COURBAUD. Edition Les belles lettres., Paris, 1922, 96p.

151 CICERON, De l’orateur. Livre 1er, op.cit., p.18.

152 Ibid..

manière tenter de démontrer l’importance du langage dans la valeur de l’homme. Erasme comme Platon avant lui pose la distinction de l’âme et du corps. Mais chez Erasme, il s’agit d’un accident, le corps et l’âme étaient liés originellement, ils ont été séparés par le serpent et seront réunis par la Dignité. Avec l’âme, l’homme est capable de divinité, mais il est tiré vers le bas par son corps. Par le corps « l’homme est semblable à une bette muette»154. Le langage revêt une importance capitale chez Erasme. C’est par l’apprentissage du langage que l’homme va pouvoir s’élever au-dessus de l’animal. Il faut distinguer l’aptitude au langage de l’exercice du langage, en effet à sa naissance, l’infans est naturellement disposé au langage, mais ce n’est pas cette aptitude qui le rend meilleur que l’animal, ce n’est que lorsqu’il aura exercé cette aptitude qu’il pourra revendiquer cette supériorité. « La nature prévoyante implante d’abord en chaque être l’aptitude à apprendre ce qui lui est propre, ce qui est nécessaire à sa conservation. Tant que l’enfant se traîne, tant qu’il ne profère aucun son humain, il apparaît semblable à un quadrupède et nous ne le reconnaissons pas pour un être humain. Mais dès qu’il commence à s’exercer avec nos mots, alors nous le chérissons comme un être né de nous »155.

108. Il ne faut pas simplement se borner à « parler », mais il est essentiel de « parler bien » car d’une « bonne éducation de la langue dépendent la dignité et la félicité de l’être humain»156. L’homo simplement loquens ne peut donc pas prétendre à la dignité seul l’homo eloquens peut s’enorgueillir157. Le « parler humain » est donc tout un art, il s’agit d’un véritable projet éducatif, de véritables méthodes d’apprentissage, une véritable éducation au langage, au langage humain. La dignité de l’homme est à ce prix chez Erasme. Il faut donc la conquérir, il faut s’en donner les moyens, car rien n’est acquis et la naissance « en tant qu’homme » n’est qu’un prélude, elle n’institue pas l’homme en humain, seul l’éducation au langage y parvient. A partir de cet homo eloquens se développe une vision de l’homme et de sa dignité fondée sur