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6   Distribution éco-géographique de la diversité génétique du riz dans la région de

6.4   Diversité au niveau de l’exploitation agricole

Au sein d’un village, la diversité génotypique est hébergée par les exploitations agricoles, chacune détenant quelques-unes des accessions recensées au niveau du village. Nous avons vu au chapitre 6.2.1 (Tableau 6-3) que la variance moléculaire liée aux exploitations au sein de chaque village représentait plus de 71% de la variance totale. Ceci indique que, dans un intervalle d’altitude donné et dans un village donné, chaque exploitation héberge un ensemble de variétés très différentes les unes des autres génétiquement ; mais les ensembles hébergés par chacune des exploitations d’un village donné sont peu différents les uns des autres.

Nous avons vu au chapitre 4 que la richesse variétale des exploitations, Se, variait de 1 à 7 (moyenne Se = 2.3) et qu’elle était faiblement corrélée avec l’altitude du village de l’exploitation (r² = 0.007 p<0.0001) et beaucoup plus étroitement avec la richesse de l’exploitation mesurée par le nombre de bovins (r² = 0.118 p <0.0001) et de parcelles de riz (r² = 0.205 p<0.0001) qu’elle possède, ainsi que le nombre de systèmes de culture de riz qu’elle pratique (r² = 0.254 p<0.0001) et, encore plus important, la combinaison des systèmes de culture de riz qu’elle pratique parmi les 4 recensés dans la région (R² = 0.317 p<0.0001). Si le nombre de variétés par exploitation est faible, 2.3 en moyenne, ces variétés appartiennent, très généralement, à des groupes phénotypiques (Gp) différents pour répondre aux besoins des différents systèmes de culture du riz qu’elles pratiquent. En effet, chaque exploitation possède en moyenne 3.0 parcelles de riz, pratique, en moyenne, 1.8 systèmes de culture et ne dispose, en moyenne, que de 0.7 variétés par parcelle de riz.

Les tendances sont les mêmes pour le nombre moyen d’allèles par locus Nae dans chaque exploitation qui varie de 1 à 4.2 (moyenne Nae = 1.8). Le Nae est faiblement corrélé avec l’altitude du village de l’exploitation (r² = 0.210 p<0.0001), avec la richesse de l’exploitation mesurée par le nombre de bovins (r² = 0.038 p <0.0001) et par le nombre de parcelles de riz (r² = 0.099 p<0.0001) que l’exploitation possède. La corrélation est plus importante avec le nombre de systèmes de culture de riz qu’elle pratique (r² = 0.423 p<0.0001). La combinaison

142 de systèmes de cultures de riz (SCR1 et SCR3) a également un effet déterminant sur le Nae (R² = 0.207 p<0.0001).

Enfin, nous avons vu au chapitre 4 que les entités considérées comme « variétés » par les agriculteurs, bien qu’homogènes sur le plan phénotypique, ne le sont pas sur le plan génotypique. Chaque variété est constituée de plusieurs génotypes multilocus, le nombre de ces génotypes étant fortement lié au type de variété, locale ou améliorée. La part de la diversité maintenue au niveau de chaque exploitation agricole par rapport à la diversité totale présente dans la région est donc bien plus grande que l’estimation obtenue sur la base de la représentation de chaque accession pour un seul individu.

6.5 Discussion

L’étude de la distribution éco-géographique de la diversité génétique du riz dans la région de Vakinankaratra, au moyen de marqueurs moléculaires et de variables agro-morphologiques, visait à quantifier cette diversité et sa distribution à différentes échelles géographiques ou de gestion, ainsi qu’à identifier les facteurs qui façonnent cette distribution. Ceci pour compléter les informations rassemblées avec l’analyse de la distribution de la richesse variétale (cf. chapitre 3), un indicateur beaucoup plus synthétique. Une attention particulière était accordée à la composante de la diversité génétique du riz spécifique des hauts plateaux de Madagascar, les groupes génotypique Gg3 et phénotypique Gp3, dont la présence dans la région de Vakinankaratra a été démontrée en Chapitre 5.

Nous avons subdivisé la région d’étude en quatre entités hiérarchiques, d’ordre géographique ou de gestion de la diversité, apparues comme les plus pertinentes au vu de la diversité agroécologique de la région d’étude, de son organisation en villages et en exploitations, et de la diversité des systèmes de production et des systèmes de culture du riz que l’on y rencontre (cf. chapitre 3). Ces entités hiérarchiques sont caractérisées sont (i) les intervalles altitudinaux avec 4 niveaux, regroupant chacun des villages parfois très distants les uns des autres sur le plan géographique ; (ii) le village, composante majeure de l’organisation administrative et sociale de la région, avec 32 niveaux, dont le nombre de variétés et le nombre d’exploitations a été recensé ; (iii) l’exploitation agricole hébergeant une « copie » d’un certain nombre de variétés recensées dans le village ; et (iv) la parcelle cultivée, recevant une copie d’une des variétés recensées au niveau de l’exploitation.

Le premier enseignement important de cette analyse est qu’à toutes les échelles considérées, sauf la parcelle cultivée, il existe un lien très étroit entre la richesse variétale et la diversité génotypique, mesurée au moyen des 14 marqueurs SSR, et la diversité phénotypique, mesurée au moyen de 13 variables agro-morphologiques quantitatives et de 3 variables qualitatives. Ceci confirme, s’il en était besoin, que la diversité variétale maintenue par les agriculteurs correspond bien à une diversité génétique. Mais surtout, il en résulte que, comme pour la richesse variétale, la distribution de diversité génotypique et phénotypique n’est pas homogène sur l’ensemble de la région d’étude. De même, les facteurs déterminants de cette distribution hétérogène et la hiérarchie de ces facteurs sont similaires.

L’altitude est le premier facteur déterminant de la distribution de la diversité. Elle détermine non seulement la quantité de diversité génotypique et phénotypique maintenue à différentes échelles mais aussi la composition de cette diversité ; ceci, en conditionnant les types de riziculture irriguée qu’il est possible de réaliser, parmi les quatre inventoriés dans la région : riz irrigué de première saison (RI-1), riz irrigué de 2ème saison (RI-2), riz irrigué de 3ème saison (RI-3). Le lien entre l’altitude et la diversité génétique se fait par les types variétaux différents que nécessitent chacun de ces 3 systèmes de culture du riz :

143 - Dans l’intervalle d’altitudes inférieures à 1250m, les 4 systèmes de cultures du riz sont possibles ; le RI-1 et RI-3, conduits très souvent l’un après l’autre sur la même parcelle, nécessitent des variétés à cycle court des groupes phénotypiques Gp2 et Gp3-a (groupe génotypique Gg1, japonica tempéré, et Gg2, indica) ; le RI-2 est pratiqué avec des variétés du groupe phénotypique Gp1-b (groupe génotypique Gg2, indica) ; d’où une grande diversité.

- Dans l’intervalle d’altitudes 1250-1750m, le RI-2, très largement majoritaire, est pratiqué surtout avec des variétés du groupe phénotypique Gp3 (groupe génotypique Gg3, spécifique des hauts plateaux, mais quelques variétés de type indica sont aussi présentes ; d’où une diversité moyenne.

- Enfin, aux altitudes supérieures à 1750m, seul le système RI-2, avec des variétés du groupe Gp2 (groupe génotypique Gg1, japonica tempéré) est possible ; d’où une faible diversité.

Notons qu’à la diversité décrite ci-dessus s’ajoute, à tous les intervalles d’altitudes, celle nécessaire à la riziculture pluviale, la composante tropicale de Gg1, dont la présence n’est pas conditionnée par l’altitude.

Le rôle déterminant de l’altitude dans la distribution « qualitative » est confirmé par le lien étroit entre la différenciation génétique (FST) et la différence d’altitudes entre paires de villages. Les données relatives à la relation entre la distance géographique et la distribution de la diversité sont, elles, plus difficiles à interpréter. Alors que la corrélation entre FST et distance entre paires de villages est faible mais significative au niveau régional, elle est plus élevée mais non significative au sein de chaque intervalle d’altitudes. Le regroupement (dendrogramme) des villages sur la base des FST par paires indique que des villages proches (situés dans le même district administratif) et situés dans le même intervalle d’altitudes peuvent avoir une différenciation génétique forte. Ces données confirment, comme dans le cas de l’analyse de la composition variétale des villages (cf. chapitre 3), la nécessité d’approfondir l’étude des modalités de circulation des ressources génétiques entre villages. Des différences significatives de diversité, en termes quantitatif et qualitatif, étaient aussi observées à l’intérieur de chaque intervalle d’altitudes, confirmant l’intervention d’autres facteurs déjà identifiés lors de l’analyse de la richesse variétale (cf. chapitre 3). Il s’agit notamment de la richesse des villages liée à leurs systèmes de production (eux-mêmes partiellement liés à l’altitude) et, au sein de chaque village, de la richesse des exploitations. Le deuxième enseignement important de cette étude concerne l’importance relative de la diversité maintenue aux différentes échelles considérées, question qui ne pouvait pas être abordée de manière précise avec l’indicateur de richesse variétale. En effet, la décomposition de la variance moléculaire a permis de montrer que la diversité des variétés maintenues dans un village pouvait représenter jusqu’à 85% de la diversité génotypique de l’intervalle d’altitude auquel le village appartient. L’analyse des indices Shannon-Weaver, H’, aux échelles intervalle d’altitudes et village, conduit à des conclusions similaires : le niveau de la diversité phénotypique d’un village représente en moyenne 85% de la diversité phénotypique de son intervalle altitudinal d’appartenance. De même, la diversité maintenue par une exploitation agricole pouvait représenter jusqu’à 70% de la diversité génotypique totale du village auquel l’exploitation appartient. Cette structuration hiérarchique de la diversité est d’une grande importance dans une perspective de conservation, ex situ et in situ. Elle autorise à penser qu’un échantillonnage de taille relativement réduite permettrait d’accéder à l’essentiel de la diversité génétique du riz dans la région. Une structuration hiérarchique

144 similaire a été observée par Barry et al. (2007a) chez le riz dans un contexte agroécologique très différent, celui de la riziculture de mangrove en Guinée maritime.

Le troisième enseignement important de cette étude est la détection d’une diversité génotypique non négligeable au niveau de la parcelle cultivée. Cette diversité peut être assimilée à une diversité intra-variétale, dans la mesure où chaque parcelle était cultivée avec une seule variété et qu’aucune diversité phénotypique n’était décelée lors de l’échantillonnage au champ. Ceci veut dire que les entités génétiques reconnues comme variété par les agriculteurs ont une structure génétique de type multi-lignées. Il est important de souligner que la structure multi-lignées des 9 variétés étudiées ne met pas en cause leur positionnement dans l’un des 3 groupes génotypiques sur la base de l’analyse d’un seul individu. Il est aussi intéressant de souligner que le nombre de lignées distinctes identifiées parmi les 9 individus de chaque variété étudiée était bien plus petit chez les variétés améliorées comparées aux variétés locales. Ces résultats sont similaires à ceux rapportés par Barry et al. (2007b), analysant la structure génétique des variétés locales de riz en Guinée au moyen de marqueurs SSR, et ceux de Miézan et Ghesquière (1986) et Morishima (1989) analysant la diversité intra-accession dans des échantillons issus de prospections en Côte d’Ivoire et en Thaïlande. L’originalité de nos résultats tient au fait que l’analyse porte sur des échantillons dont l’origine et l’absence de diversité phénotypique étaient parfaitement contrôlées.

Etant donné le caractère neutre (du moins à notre connaissance) des marqueurs SSR utilisés et le grand polymorphisme de ces marqueurs, lié à leur nature, l’existence d’une diversité moléculaire résiduelle n’est pas surprenant. Il serait intéressant de conduire une étude similaire avec des marqueurs liés à des caractères phénotypiques d’importance (durée du cycle, format des grains, hauteur de la plante, …) sur lesquels s’exerce la pression de sélection des agriculteurs. Enfin, le nombre moyen de lignées distinctes par variété (4.6) que nous avons obtenu avec 9 plantes par variété n’est qu’un minimum ; un plus grand nombre de plantes devraient être analysées pour identifier le seuil numérique à partir duquel le nombre de lignées se stabilise. De même, nous n’avons pas produit de données permettant d’analyser la diversité inter-exploitations du nombre de lignées distinctes par variété. Ainsi, il ne nous est pas possible d’inférer de manière précise l’effet de la diversité présente au niveau de la parcelle cultivée sur la diversité aux échelles supérieures d’analyse. Cependant, l’existence même de la structure multi-lignées des variétés, et de la diversité au niveau de la parcelle cultivée qui en résulte, indique qu’il serait quasiment impossible d’échantillonner et de conserver toute la diversité génétique de la région de Vakinankaratra par des méthodes conventionnelles de conservation ex situ. Des approches in situ sont nécessaires pour conserver toute sa richesse en lignées distinctes et les associations alléliques singulières qu’elles représentent.

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6.6 Références

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