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Les dispositions relatives à l’illégitimité en vigueur en 1834

CHAPITRE I LA RÉFORME DES LOIS SUR LES PAUVRES ET LA CLAUSE SUR

B. Le rapport de la commission

1. Les dispositions relatives à l’illégitimité en vigueur en 1834

Six lois votées entre 1576 et 1810 définissaient, dans le cadre des Anciennes Lois sur les Pauvres, les modalités selon lesquelles s’organisait la prise en charge des enfants illégitimes au sein des paroisses. Selon la première, votée en 1576 (Eliz.,c.3, s.2), il fut établi que la mère et le père putatif d’un enfant illégitime devaient être punis.

Le rapport rappelait, à cet égard, que la procréation d’un enfant hors des liens du mariage était « un crime contre la loi de Dieu et celle des hommes ».109 Ces enfants

étaient à la charge de la paroisse au détriment des pauvres méritants. C’est la raison pour laquelle il était important que les parents d’un enfant illégitime fussent punis. Selon le rapport de 1834 « L’objet de cette loi était simplement de contraindre les parents à subvenir aux besoins de leur enfant, un devoir qui, semble-t-il, était jusqu’à accompli pour eux par la paroisse ».110 Néanmoins, le rapport indiquait que les

dispositions prévues par cette loi avaient été un échec puisqu’une une nouvelle loi (Statute of 7 James, c. 4) avait été adoptée en 1610. En vertu de cette loi, « toute femme lubrique qui aura un bâtard qui se trouverait à la charge de la paroisse sera enfermée dans une maison de correction, pour qu’elle y soit punie et mise au travail, pendant une période d’un an ».111 Ce qui nous a semblé particulièrement intéressant dans cette loi,

c’est qu’elle abordait la notion de punition exclusivement pour la femme. En outre, la loi prévoyait que si la femme commettait à nouveau le crime de mettre au monde un enfant illégitime, elle pourrait rester enfermée jusqu’à ce qu’elle soit en mesure de fournir les garanties nécessaires à la prise en charge de ses enfants. Comme une telle situation était virtuellement impossible, elle pouvait ainsi rester emprisonnée à vie. Cette mesure ne fut abrogée que deux siècles plus tard, en 1810, par une autre loi (50 Geo. III. c.51, s.2), qui n’autorisa l’emprisonnement que pour une période allant de six mois à un an. Les contraintes financières imposées sur les paroisses par les naissances illégitimes étaient suffisamment lourdes pour que l’on prévoie l’emprisonnement à vie

109 “An offence against God’s law and man’s law”, Report from His Majesty’s Commissioners for Inquiring Into the Administration and Practical Operations of the Poor Laws p. 165.

110 “The object of this Act was merely to force the parents to support their child – a duty which appears to have been previoulsy performed for them by the parish”, ibid. , p. 165.

111 “Every lewd woman who shall have any bastard which may be chargeable to the parish shall be committed to the house of correction, there to be punished and set on work, during the term of one whole year”, ibid. , p.166.

d’une mère. Il fallait également que le nombre de naissances illégitimes fût très élevé à cette époque, et ce, dans tout le royaume.

En dépit de ces mesures punitives, le rapport s’inquiétait du fait que bien souvent les parents de bâtards échappaient à la fois à leurs obligations et aux sanctions prévues en fuyant la paroisse, voire le pays. Pour remédier à cet état de fait, une loi avait été adoptée en 1661-1662 (13&14 Char. II, c.11, s.19) qui permettait aux inspecteurs des pauvres de saisir les biens ou les revenus des biens des parents en fuite, afin de financer les coûts afférents à la prise en charge des bâtards par la paroisse. Les deux dernières lois citées par le rapport (6. Geo. II. c. 31 et 49. Geo. III. c. 68), votées respectivement en 1733 et 1809, furent sans aucun doute celles qui motivèrent le plus les réformateurs à amender la loi. Elles autorisaient, en effet, les magistrats à ordonner l’arrestation et l’emprisonnement de tout homme qui, ayant été désigné par une mère- célibataire comme le père de son enfant illégitime, ne pouvait pas garantir qu’il subviendrait aux besoins de l’enfant. Les commentaires des rapporteurs ne laissaient aucun doute quant à leur indignation devant une telle possibilité. Ils considéraient qu’une telle disposition était totalement discriminatoire et injuste à l’égard des hommes. Pour eux, cette seule disposition justifiait que la législation relative à l’illégitimité, dans son ensemble, fût abrogé. Ils s’indignèrent du fait que la seule parole de la mère suffît à condamner un homme, sans même que les tribunaux ne soient légalement habilités à vérifier la véracité des propos de la femme.

Si la seule objection à ces lois était qu’elle laissent à la merci de toute femme abandonnée, tout homme qui n’est pas suffisamment riche pour pouvoir apporter des garanties ; qu’elles l’exposent à être traîné, sans autre citation préalable et en vertu d’une accusation faite en son absence, devant un tribunal qui n’a aucun pouvoir d’examiner correctement le cas porté devant lui ; si tels étaient les seuls défauts de ces lois, nous serions néanmoins dans l’obligation de demander leur abrogation immédiate.112

112 “If there were no other objections to these laws, than that they place at the mercy of any abandoned woman, every man who is not rich enough to give security or find sureties, that they expose him to be dragged, without previous summons, on a charge made in his absence, before a tribunal which has no

Pour étayer leur argumentation, les commissaires n’hésitèrent pas à citer le cas spécifique d’un jeune garçon d’Exeter qui se retrouva dans une situation très embarrassante et difficile sur la simple foi d’un témoignage fort peu crédible. Il s’agissait d’un jeune apprenti de 18 ans qui fut emprisonné dans une maison de correction faute de pouvoir fournir les garanties que lui réclamait le tribunal devant lequel il avait été jugé, alors que la femme qui l’accusait était enceinte de trois mois. Les commissaires étaient indignés :

Il a été puni à cause de sa jeunesse, sa pauvreté et son isolement, pour ne pas avoir pu fournir des garanties ou trouver des garants, et sa punition a été de cinq ou six mois d’emprisonnement, une punition sévère même pour les criminels les plus endurcis, mais absolument dévastatrice pour un garçon de dix-huit ans.113

En effet, les lois ne prévoyaient pas que le magistrat devant lequel le père putatif était présenté, puisse juger le cas en tant que tel, mais il était « contraint par la lettre de la loi à l’emprisonner s’il ne pouvait fournir les garanties nécessaires ».114

Toutefois, après avoir souligné ce qu’il appelait « l’oppression de l’innocent », le rapport s’étendit plus longuement sur les effets pervers des dispositions prévues sur la société dans son ensemble. « La manière dont elles oppriment l’innocent, aussi révoltante qu’elle puisse être, est bien moins malveillante à la société que celle par laquelle elles punissent les coupables ».115 En effet, les rapporteurs soulignèrent avec

véhémence que lors de la naissance d’un enfant illégitime, c’était toujours à la paroisse qu’il incombait de subvenir aux besoins dudit enfant. L’argument central justifiant l’abrogation des anciennes dispositions était bel et bien d’ordre financier et tout le rapport visait, sous couvert de préoccupations morales, de justice et d’équité, à

power to examine into the merits of the case ; if these were their only faults, we should still feel it our duty to urge their immediate abolition”, Report from His Majesty’s Commissioners for Inquiring Into the Administration and Practical Operations of the Poor Laws, pp. 166-67

113 “He was simply punished for his youth, poverty and friendlessness, for not being able to give security or find sureties, and his punishment was five or six months imprisonment, a punishment severe even to hardened criminals, but absolutely ruinous to a boy of eighteen”, ibid..,p.167.

114 Nolan's Poor Laws, vol. ii. p. 288, 289.

115 “The mode in which they oppress the innocent, revolting as it is, is far less mischievous to society than that by which they punish the guilty”, Report from His Majesty’s Commissioners for Inquiring Into the Administration and Practical Operations of the Poor Laws, p.167.

décharger les paroisses des coûts afférents à la prise en charge des enfants nés hors des liens matrimoniaux. Les réformateurs expliquèrent que pour la mère-célibataire, le coût d’un enfant illégitime était nul et, qu’en outre, la naissance de plusieurs enfants pouvait être une source potentielle de revenu. « Pour la femme, par conséquent, un unique enfant illégitime représente rarement la moindre dépense et deux ou trois sont une source de réel profit ».116 Le père putatif, quant à lui, afin d’éviter les sanctions qu’il

encourait, préférait souvent épouser la femme durant sa grossesse. Ces mariages, selon les rapporteurs, étaient fondés « non sur l’affection, l’estime ou le désir de fonder une famille et de subvenir à ses besoins, mais sur la peur d’un côté et le vice des deux côtés ».117 Ce deuxième aspect de la question semblait préoccuper les réformateurs. Ils

considéraient en effet, et la seconde partie des témoignages sélectionnés tend à le démontrer, que la naissance d’un enfant illégitime était devenue une forme de dot dont se prévalaient les mères célibataires afin de trouver un époux, et ce, au détriment d’autres femmes jugées plus respectables qui n’avaient, elles, rien à offrir. Ces unions étaient construites sur des bases immorales. C’est d’ailleurs à ce stade du rapport que les commissaires choisirent de faire intervenir les témoignages afin d’étayer leurs propos.