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Discussion des résultats cliniques

Chapitre IV : Etude de la neuropathie à l’oxaliplatine par une approche clinico-

5. Discussion générale de l’étude LIPIDOXA

5.1. Discussion des résultats cliniques

Ce premier travail nous a permis de quantifier l’évolution de la neuropathie sous traitement par oxaliplatine et d’évaluer l’intérêt d’utiliser les tests sensoriels quantitatifs dans le diagnostic et le suivi de la NPIO. A cette fin, la mesure des seuils de sensibilité thermique, la mesure des seuils de sensibilité mécanique, l’évaluation de la douleur neuropathique et la gradation des effets indésirables (NCI-CTC) ont été effectuées pendant le traitement et six mois après son arrêt chez 35 patients traités par oxaliplatine.

5.1.1.Seuils de sensibilité thermiques

Concernant l’étude des seuils de sensibilité thermique, cette première analyse met en évidence le développement d’une hypoesthésie aux stimuli thermiques six mois après l’arrêt de

l’oxaliplatine, ce qui est révélateur d’un processus neurotoxique qui se poursuit même après

l’arrêt du traitement [261]. Les variations des seuils de détection du froid (entre -3 °C et -4 °C) et les variations du seuil de détection du chaud (entre +2,5 °C et +3,5 °C) mesurées en cours de traitement sont en accord avec ceux publiés dans des études antérieures [27]. Cependant, peu d’études s’intéressent à l’évolution de ces seuils après arrêt du traitement et suivent les patients sur des durées plus longues [128]. L’équipe de Park a montré que la perte de sensibilité subsistait deux ans après l’arrêt de l’oxaliplatine ce qui est en accord avec le développement de l’hypoesthésie thermique mise en évidence dans la population de LIPIDOXA [262]. Brouwers a estimé la demi-vie de récupération de la neuropathie dans les mains à 6,8 (+/- 3,1) ans au niveau des mains [261].

Des auteurs ont publié des valeurs de référence des seuils de sensibilité thermique physiologiques [158]–[160]. Néanmoins, dans la mesure où la méthodologie de mesure des seuils de sensibilité thermique diffère d’une étude à une autre, l’interprétation de la comparaison des données entre nos données et celles de la littérature peut s’avérer délicate. Ainsi, nous avons ici réalisé l’estimation des valeurs physiologiques de la sensibilité thermique dans un premier groupe de 20 volontaires sains. En avril 2014, 20 volontaires sains (12 hommes, 8 femmes) issus du personnel du service d’oncologie et du service de la pharmacie sont inclus dans cette étude annexe. La méthodologie standardisée de l’étude LIPIDOXA a été utilisée pour mesurer chez ces volontaires les seuils de détection thermique (CDT, WDT) et les seuils de douleur thermique (CPT,

HPT). L’âge et le sexe de chaque sujet sont renseignés dans la base de données. La moyenne des CDT obtenue est de 1,9 °C (+/- 1,6 °C), la moyenne des WDT est de 1,8 °C (+/- 1,0 °C). Il n’y a pas de différence significative entre les groupes selon le genre et l’âge. La variabilité intraindividuelle est faible, les moyennes des écart-types individuels sont de 0,3 °C pour le froid et de 0,2 °C pour le chaud. Cela signifie que les mesures sont répétables chez un même individu. En revanche, la variabilité interindividuelle est plus élevée, l’écart-type global est de 1,6 °C pour le seuil de détection du froid et 1,0 °C pour le seuil de détection du chaud.

Concernant la population de LIPIDOXA, à la visite du début de traitement, la moyenne des CDT est de -2,1 °C, la moyenne des WDT est de 2,0 °C. Il n’y a pas de différence entre le groupe contrôle et le groupe LIPIDOXA (p = 0,67 et p = 0,6 respectivement pour CDT et WDT). Les écarts- types des mesures sont de 1,2 °C et 1,1 °C pour CDT et WDT respectivement, ce qui n’est statistiquement pas différent des écart-types de la population contrôle (test de Fisher pratiqué, p = 0,1 et p = 0,5 pour CDT et WDT respectivement). A la visite de fin de traitement, la moyenne des CDT est de -2,8 °C, la moyenne des WDT est de 2,9 °C. Il n’y a pas de différence entre le groupe contrôle et le groupe LIPIDOXA (p = 0,11 et p = 0,10 respectivement pour CDT et WDT). L’écart-type global des mesures est plus élevé que précédemment : 2,0 °C et 2,8 °C pour CDT et WDT respectivement. Les écarts-types des moyennes des CDT ne sont pas différents entre les deux groupes (p = 0,36) mais les écarts-types des moyennes des WDT sont différents (p < 0,0001). La variabilité interindividuelle est plus élevée à la fin du traitement qu’au début. Les moyennes des écarts-types individuels sont de 1,0 °C et 0,7 °C pour CDT et WDT respectivement. Enfin, à la visite de suivi, la moyenne des CDT est de -3,8 °C, la moyenne des WDT est de 3,6 °C. Les moyennes des seuils de détection sont significativement plus élevés pour le groupe LIPIDOXA que pour le groupe contrôle (p = 0,01 et p = 0,006 respectivement pour CDT et WDT). L’écart-type global des mesures est plus élevé que précédemment : 2,2 °C et 2,4 °C pour CDT et WDT respectivement. De même, les écarts-types des moyennes des CDT ne sont pas différents entre les deux groupes (p = 0,22) mais les écarts-types des moyennes des WDT sont différents (p = 0,0003). La variabilité interindividuelle reste plus élevée six mois après arrêt du traitement qu’en début de traitement. Les moyennes des écarts-types individuels sont de 0,8 °C et 0,4 °C pour CDT et WDT respectivement.

Par ailleurs, la reproductibilité du Thermotest, mesures réalisées chez un même individu mais sur deux jours différents, n’a pas été étudiée. Or, les résultats préliminaires obtenus chez les patients traités par oxaliplatine laissent suggérer que la réponse aux stimuli délivrés par le

Thermotest fluctue de façon importante d’un jour à l’autre. C’est la raison pour laquelle l’étude

de l’évolution des seuils thermiques de façon individuelle, i.e. réalisée patient par patient, n’a finalement pas été retenue. En effet, la réalisation de tests de corrélation sur les données de

chaque individu n’a pas permis d’identifier de patients avec une élévation significative des seuils thermiques au cours du temps et ce, probablement en raison d’une importante dispersion des résultats en intra-individuel. Il conviendrait d’évaluer cette reproductibilité sur une cohorte de volontaires sains pour s’assurer de la stabilité des mesures des seuils à plusieurs jours d’intervalles.

Les seuils de douleur thermique n’ont pas été moyennés, en effet, 11/20 volontaires avaient un CPT inférieur à +8 °C (limite basse) et 10/20 volontaires avaient un HPT supérieur à +50 °C (limite haute), mesures en dehors du domaine de validité du thermotest.

La mesure des seuils de détection du froid et du chaud est suffisamment sensible pour mettre en évidence une neuropathie. En revanche, les résultats des mesures des seuils de douleur au froid et au chaud sont trop variables et manquent de sensibilité pour discriminer les patients atteints de neuropathies des sujets sains [259]. En considérant la sensibilité thermique (détection et douleur), seule la modification des seuils de détection du froid et au chaud permet de différencier les patients atteints de neuropathies des sujets sains et donc présente un intérêt dans la mise en évidence d’une neuropathie. La sensibilité thermique est un paramètre très subjectif qui dépend de beaucoup de facteurs aussi bien psychologiques que physiologiques innés et acquis. Les facteurs influençant les résultats peuvent être également les conditions environnementales extérieures, les instructions données par le manipulateur, la taille de la thermode, la partie du corps, la motivation du patient, son origine ethnique [127].

5.1.2.Autres tests

En ce qui concerne l'évaluation des seuils de sensibilité mécanique, aucune différence n'a été constatée entre les différentes visites. Les valeurs moyennes de MDT mesurés pendant le traitement étaient cohérents avec celles publiées dans des études antérieures [26].

De manière intéressante, les CDT et les MDT mesurés à t0 semblaient être plus bas chez les patients dont le traitement avait été modifié plus tôt que chez ceux qui n’avaient pas connu de changement de dose. Cela pourrait suggérer une plus grande sensibilité thermique et mécanique des patients dont le traitement avait été modifié plus tôt en raison d'une neuropathie d’expression plus précoce. Cependant, ces différences n'étaient pas significatives et il n'y avait pas de relation entre les CDT et MDT mesurés au début du traitement et le délai d'ajustement de la dose (régression logistique réalisée). Aussi, il n’est pas possible de conclure si les patients avec une sensibilité plus élevée en début du traitement sont plus susceptibles de développer une NPIO sévère. Une revue de la littérature n'a trouvé aucun élément traitant de ce sujet. Un plus grand nombre de patients et une meilleure sélection de patients sont nécessaires pour étudier cette

éventuelle relation. Il pourrait être judicieux de limiter la population étudiée à celle traitée par FOLFOX dans une étude future. En effet, cela réduirait la variabilité causée par la toxicité des médicaments anticancéreux des autres protocoles thérapeutiques et augmenterait ainsi la puissance des tests statistiques. En outre, le potentiel de recrutement élevé des patients FOLFOX ne compromettrait pas le recrutement futur des patients.

En ce qui concerne l'évaluation de la douleur neuropathique avec l'échelle NPSI, 44 % des patients ont expérimenté une douleur neuropathique à la fin du traitement. Parmi eux, 39 % ont signalé une douleur provoquée par un objet froid et 44 %, une douleur sous forme de picotement et de fourmillements. Ceci est cohérent avec les données de l’étude d'Attal et al [26].

5.1.3.Influence de la dose cumulée d’oxaliplatine

Concernant le lien entre les variables stade du cancer et neuropathie (grade NCI-CTCAE ou délai de modification de dose), le nombre de patients souffrant d’une neuropathie de grade 2 est statistiquement plus élevé dans le groupe cancer de grade III. Inversement, dans le groupe cancer de grade I ou II, aucun patient ne souffre de neuropathie de grade 2. Il convient de préciser que les trois groupes (grade I et II : m = 1 384 mg ; grade III : m = 1 143 mg ; garde IV : m = 1 055 mg) ont reçu en moyenne des doses cumulées d’oxaliplatine non statistiquement différentes entre elles (test ANOVA, p > 0,05). Ceci vient suggérer le fait que la maladie cancéreuse prédispose au développement des neuropathies. En effet, les patients atteints d'un cancer présentent généralement un déficit sensorimoteur, souvent infraclinique, avant même de débuter le traitement anticancéreux [54], [55].

La gestion des effets secondaires neurologiques semble être bien contrôlée dans l’étude LIPIDOXA avec la pratique actuelle de prise en charge. Par exemple, dans une étude publiée par André et al, 31,6 % et 12,4 % des patients présentaient une neurotoxicité de grade 2 et 3 respectivement, alors que dans l'étude LIPIDOXA, 19 % et 0 % des patients présentaient une neurotoxicité de grade 2 et 3, respectivement [20].Dans l'étude LIPIDOXA, les patients présentant une neurotoxicité de grade 2 ont reçu une dose moyenne d'oxaliplatine inférieure aux patients présentant une neurotoxicité de grade 1. De même, les trois patients sans neuropathie ont reçu moins d'oxaliplatine que ceux présentant une neuropathie de grade 1. LIPIDOXA est une étude en soins courants et nous pouvons supposer que ces résultats sont dus à une diminution précoce de la posologie de l’oncologue lorsque la NPIO survient rapidement et intensément. Cela révèle une tentative d'adaptation de la dose d'oxaliplatine par l'oncologue pour réduire la sévérité de la NPIO basée sur l’utilisation du NCI-CTC [64]. Par conséquent, la gestion de la neurotoxicité basée sur

des échelles cliniques, telle qu’actuellement réalisée en pratique courante, demeure bien adaptée. Ainsi, un champ d’action prometteur à développer pourrait être l’éducation des patients

pour améliorer la pertinence du NCI-CTC en augmentant l’implication du patient dans la prise en

charge. En outre, ces résultats sont cohérents avec ceux présentés dans une revue qui a examiné

la relation entre la dose cumulée d'oxaliplatine et le grade de NPIO [258]. Cette méta-analyse reposait sur 14 études correspondant à un total de 3 869 patients traités par oxaliplatine pour un cancer colorectal. Le critère d'évaluation clinique était le score NCI-CTC et le degré de neuropathie allait de 0 à 3. Parmi les 14 études, seules six évaluaient la relation entre le degré de neuropathie et la dose cumulée, et une seule ne démontrait aucune relation. Cette étude incluait 45 patients traités par oxaliplatine (20) ou cisplatine (25) [261]. Comme dans l'étude LIPIDOXA, la neuropathie induite par l'oxaliplatine n'a pas semblé être liée à la dose. Même si les méthodes statistiques étaient différentes entre les deux études, les conclusions sont cohérentes. Ceci suggère que d'autres facteurs tels que le polymorphisme génétique, la comorbidité ou le cancer peuvent expliquer cette variabilité [263]–[265].