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Chapitre I : L’oxaliplatine et son utilisation en oncologie

3. Prophylaxie des neuropathies

3.2. Chimioprophylaxie

L’administration de sels de calcium et de magnésium est une pratique répandue et traditionnellement utilisée pour diminuer les symptômes de la neuropathie aiguë. Selon une

étude rétrospective publiée en 2004 sur 161 patients, l’administration d’un gramme de gluconate de calcium et d’un gramme de sulfate de magnésium en intraveineuse lente sur 15 minutes juste avant la perfusion d’oxaliplatine réduit l’incidence et l’intensité des symptômes neurologiques [63]. L’effet prophylactique reposerait sur la chélation des ions calcium et magnésium par l’oxalate libéré lors du métabolisme de l’oxaliplatine [63]. Une autre hypothèse de fonctionnement est l’effet stabilisateur du calcium et du magnésium sur le potentiel de repos des canaux sodiques voltage-dépendants [71], [72]. Toutefois, l’intérêt de cette pratique est sérieusement remis en cause et fait actuellement l’objet d’une vive polémique [73]–[75].

L’observation de modifications électrophysiologiques sous oxaliplatine amène à tester l’effet de molécules neurotropes agissant sur les canaux ioniques sodium voltage-dépendants et potassium voltage-dépendants précédemment décrits. Parmi ces principes actifs, certains ont l’indication comme antalgiques des douleurs neuropathiques. La duloxétine est un antidépresseur appartenant à la classe pharmacologique des inhibiteurs sélectifs de recapture de la sérotonine et de la noradrénaline IRSNa. Dès 2012, des premières études non contrôlées avaient mis en évidence un possible effet de la duloxétine sur la réduction de l’intensité de la douleur neuropathique et du grade de neuropathie [76], [77]. Par la suite, des études contrôlées et randomisées ont par la suite confirmé cet effet protecteur contre la NPIO. La prise de duloxétine à la dose de 30 mg/j pendant sept jours puis augmentée à 60 mg/j pendant quatre semaines réduit de façon significative la NPIO [78], [79]. Les patients avec une qualité de vie diminuée en début de traitement sont de meilleurs répondeurs [79]. Il a été montré in vivo chez des rongeurs que cette action antalgique était due à une inhibition de l’hyperexcitabilité des neurones WDR (Wide Dynamic Range) de la corne dorsale de la moelle épinière [80]. La venlafaxine est également un antidépresseur de la classe des IRSNa. Plusieurs études ont mis en évidence qu’un traitement par venlafaxine 37,5 à 75 mg par jour diminue les symptômes neurologiques de la NPIO [81]–[83]. Cependant, parmi ces deux molécules, la Société Américaine d’Oncologie Clinique (ASCO) recommande depuis 2015 l’usage de la duloxétine dans le traitement de la neuropathie iatrogène aux anticancéreux (douleur neuropathique, engourdissements et picotements) dans sa recommandation 3.9 relative à la prise en charge des neuropathies et douleurs neuropathiques [84]. La duloxetine (Cymbalta), 30 mg et 60 mg, est indiquée dans la douleur neuropathique [85]. La venlafaxine (Effexor®), 37,5 mg et 75 mg, en revanche ne possède pas cette indication [86].

La carbamazépine est un anti-épileptique inhibiteur des canaux sodiques voltage-dépendants capable d’antagoniser les effets électrophysiologiques de l’oxaliplatine in vitro [87]. Cependant, son action préventive n’a pas été clairement démontrée chez l’homme, le problème est lié à l’impossibilité d’administrer ce médicament à des doses neuroprotectrices efficaces sans éprouver les effets indésirables de la carbamazépine [28]. La gabapentine est également un anti-

épileptique, indiqué dans le traitement des douleurs neuropathiques. C’est un analogue de l’acide gamma amino butirique (GABA) ayant une affinité pour la sous unité α2δ1 des canaux calciques

voltage-dépendants. Dans une étude ouverte non contrôlée de faible effectif (n = 15), la prise de 200 mg à 300 mg/j dès le début des symptômes neurologiques a permis la résolution des symptômes chez tous les patients et aucun patient n’a eu d’arrêt prématuré du traitement pour neurotoxicité [64]. Cependant, ces résultats encourageants n’ont pas été retrouvés par la suite. Une étude contrôlée en double aveugle et en cross-over (n = 115 patients) a évalué l’efficacité de la gabapentine administrée à la dose de 900 mg/j dans la résolution des symptômes douloureux [88]. La gabapentine ainsi administrée est inefficace pour diminuer la douleur. A la posologie testée, les patients se plaignent d’effets indésirables de type vertiges (p = 0,02) et nystagmus (p = 0,009). De même, la prégabaline, également un analogue du GABA développée après la gabapentine a été proposée comme candidat potentiel de chimioprophylaxie. La prégabaline est un anti-épileptique indiqué dans le traitement des douleurs neuropathiques. En effet, dans un essai ouvert non contrôlé de 23 patients atteints de cancer gastro-intestinaux, il a été montré que la prégabaline administrée à la dose de 450 mg/j réduisait la sévérité des symptômes de la NPIO [89]. Ces premiers résultats publiés en 2010 nécessitent d’être complétés par des études de meilleure qualité méthodologique. Plus récemment, le riluzole, un médicament indiqué dans le traitement de la sclérose latérale amyotrophique et inhibant les processus glutamatergiques a montré des résultats intéressants chez le rat. Il a été montré que les rats souffrants de NPIO présentaient un niveau élevé de glutamate extracellulaire dans la moelle épinière. Par ailleurs, cette observation était associée à une diminution de l’expression du transporteur GLT-1 (Glutamate Transporteur 1), transporteur jouant un rôle important dans la recapture synaptique du glutamate. Lorsque ces rats étaient traités par riluzole, le niveau de glutamate extracellulaire était abaissé par rapport aux rats non traités et l’expression des transporteurs GLT-1 était plus élevée. Enfin, les rats traités présentaient moins de symptômes de NPIO de type allodynie mécanique [90]. Ces résultats chez l’animal sont encourageants mais les études nécessitent d’être transposées à l’homme pour pouvoir apprécier l’effet prophylactique chez les patients.

Les effets neuroprotecteurs de la mélatonine ont été mis en évidence chez le rat traité par oxaliplatine [91]. La mélatonine est une hormone naturelle mais aussi un médicament utilisé dans les troubles du sommeil. Il pourrait ainsi faire l’objet d’essai clinique contrôlé en double aveugle chez l’homme.

D’autres médicaments, a priori non ionotropes, ont également été testés comme la

minocycline, un antibiotique de la classe des tétracyclines. Une étude publiée en 2011 a montré

une efficacité de la minocycline chez le rat traité par oxaliplatine dans la prévention de l’allodynie mécanique et dans la protection des fibres nerveuses intra-épidermiques contre la

dégénérescence chimio-induite [52]. Les effets neuroprotecteurs de la minocycline sont en effet connus depuis le début des années 2000 [92]. De même, la clonidine, un agoniste des récepteurs alpha-2 adrénergiques indiqué en seconde intention dans l’hypertension artérielle, a montré une efficacité dans la prévention de l’allodynie mécanique de l’oxaliplatine chez la souris [93]. L’exenatide, un antidiabétique de la famille des incrétinomimétiques, s’est montré efficace dans la résolution de la NPIO après traitement mais pas en prévention chez la souris [94]. Ces effets bien éloignés de leurs destinations thérapeutiques apportent de nouvelles pistes de recherche originales pour la chimioprophylaxie de la NPIO. Cependant, il convient de réaliser des études contrôlées en double aveugle chez l’homme pour confirmer leur efficacité.