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Discussion des résultats des tests biochimiques

Chapitre IV : Etude de la neuropathie à l’oxaliplatine par une approche clinico-

5. Discussion générale de l’étude LIPIDOXA

5.2. Discussion des résultats des tests biochimiques

5.2.1.Effet de l’oxaliplatine sur la production d’ERO

Le niveau plasmatique de stress oxydant n’évolue pas significativement au cours du temps. Cependant, une tendance à l’augmentation régulière peut être observée avec un écart maximal à 12 mois de 16,5 % entre t0 et t12 (p = 0,098). Le rôle du stress oxydant dans la physiopathologie de la NPIO a été clairement établi in vitro et in vivo chez l’animal. L’oxaliplatine est notamment connu pour entraîner une augmentation de la production d’anion superoxide et de peroxyde d’hydrogène, une augmentation de la lipoperoxydation ainsi qu’une augmentation des phénomènes d’oxydation protéique et nucléique [14], [266]. Par ailleurs, l’administration à des rongeurs de molécules antioxydantes telles que le mangafodipir, la silibinine ou certains flavonoïdes permet de réduire ou d’inhiber la NPIO [98], [267], [268]. L’étude de l’effet pro- oxydant de l’oxaliplatine chez l’homme a également été étudié, avec des résultats plus nuancés que chez l’animal. Ainsi, il a été montré que les taux urinaires de dérivés oxydés de la guanine (8- oxo-7,8-déshydro-2-désoxyguanosine et 8-oxo-7,8-déshydro-guanosine) étaient augmentés chez les patients traités par oxaliplatine [269]. Cependant, Ribeiro et al n’ont pas mis en évidence d’augmentation significative des activités des enzymes antioxydantes telles que la superoxyde dismutase ou la glutathion peroxydase ni des taux plasmatiques de certains marqueurs du stress oxydants tels que le malonialdéhyde ou le 8-isoprostane chez les patients traités par oxaliplatine [270]. Par ailleurs, plusieurs essais visant à tester l’effet du mangafodipir, un agent de contraste utilisé en IRM et ayant des propriétés antioxydantes, dans la prophylaxie de la NPIO a montré des effets intéressants tout d’abord dans une cohorte de patients puis lors d’un essai contrôlé par

placebo [268], [271]. Dans ces études, l’effet prophylactique a été mis en évidence sur des critères de jugement clinique tels que le grade de neuropathie ou l’intensité de certains effets indésirables neurologiques, l’étude du stress oxydant chez ces patients a été peu informative. Les résultats obtenus dans l’étude LIPIDOXA ne semblent donc pas en contradiction avec ceux de la littérature scientifique.

On note que les résultats obtenus sont caractérisés par une grande dispersion des valeurs, en effet, les coefficients de variation sont de l’ordre de 31 % à 38 % pour les niveaux plasmatiques de stress oxydant. Cette importante variation réduit la puissance des tests statistiques. Elle pourrait être expliquée par l’existence de facteurs confondants ayant une influence sur le stress oxydant telles que les pathologies cardio-vasculaires, l’alimentation, le polymorphisme génétique des enzymes impliquées dans la réponse antioxydante, ou encore le sexe [260], [272]–[274]. Sur ce dernier point, dans la population de l’étude LIIDOXA, la tendance à l’augmentation du stress oxydant décrite précédemment semble davantage prononcée chez les hommes que chez les femmes. En effet, les niveaux plasmatiques de stress oxydant mesurés à t6 et t12 sont de 831 ± 342 et 853 ± 248, respectivement, chez les hommes et de 665 ± 208 et 755 ± 329, respectivement chez les femmes. Ces écarts ne sont cependant pas significatifs aussi bien inter- sexe qu’intra-sexe. La différence physiologique du taux de stress oxydant entre hommes et femmes n’est donc pas retrouvée ici [260].

Le stress oxydant est un processus physiologique complexe indispensable à l’homéostasie cellulaire et qui repose sur un équilibre dynamique entre production d’espèces réactives de l’oxygène et de l’azote et élimination de ces composés hautement réactifs. Il est clairement reconnu qu’un déséquilibre de cette balance peut aussi bien favoriser la survenue de cancer que constituer un facteur protecteur contre la tumorigénèse [275], [276]. Par ailleurs, la maladie cancéreuse est associée à une augmentation des phénomènes oxydatifs, en effet, les cellules cancéreuses expriment des taux élevés d’espèces réactives de l’oxygène comparé aux cellules saines [276]. Dans la population étudiée, l’évolution du niveau plasmatique de stress oxydant n’est liée ni à la localisation de la tumeur, ni au stade de cancer. Cependant, il a été montré que les patients souffrants d’une neuropathie de grade 2 présentaient un niveau plasmatique de stress oxydant significativement plus faible que ceux souffrants d’une neuropathie de grade 1, et ceux, pour l’ensemble des temps (p = 0,005). Ce dernier résultat peut être rapproché de la relation inverse mise en évidence précédemment entre le grade de neuropathie et la dose cumulée d’oxaliplatine. Les patients de l’étude LIPIDOXA souffrant d’une neuropathie de grade 2 ont en effet reçu moins d’oxaliplatine que ceux souffrant d’une neuropathie de grade 1. Par conséquent, on pourrait supposer que les patients ayant reçu moins d’oxaliplatine présentent un

niveau plasmatique de stress oxydant moins élevé. Ce raisonnement viendrait appuyer le rôle pro-oxydant de l’oxaliplatine. Cependant, aucune corrélation statistique significative (test de Spearman) n’est mise en évidence entre le niveau plasmatique de stress oxydant et la dose cumulée d’oxaliplatine et d’autre part, le niveau de stress oxydant reste toujours élevé, même après arrêt du traitement (t12). Le stress oxydant ne peut être expliqué uniquement par l’effet du traitement, d’autres paramètres doivent intervenir.

5.2.2.Effets de l’oxaliplatine sur la libération de médiateurs de l’inflammation

La concentration plasmatique en prostaglandine E2 (PGE2)est 15 % plus élevée à six mois de

traitement qu’en début de traitement (p = 0,011) et cette différence semble essentiellement due à une plus forte augmentation chez les femmes (augmentation de 36 %, p = 0,0012). Ce résultat est en accord avec les précédents travaux du laboratoire menés in vitro sur macrophages et mettant en évidence une augmentation de 14 à 32 % de la libération de PGE2[14]. La PGE2 est un

médiateur lipidique de la classe des prostaglandines jouant un rôle important dans la douleur d’origine inflammatoire ainsi que dans la douleur neuropathique [277]. Le temps t6 correspond au temps où la neuropathie aiguë, caractérisée par de l’allodynies au froid et des hyperesthésies – i.e. neuropathie douloureuse - est maximale. Aussi, la libération maximale de PGE2 à ce temps

semble bien en accord avec la sémiologie décrite de la NPIO. Cependant l’étude de l’évolution de la concentration en PGE2 en fonction du temps et selon le grade de neuropathie ne permet pas de

mettre en évidence de différences entre les deux groupes. Les patients de grade 2 ne présentent pas un taux plus élevé en PGE2 que les patients de grade 1 même si à six mois, cette différence est à la limite de la significativité (p = 0,13).

Concernant le dosage de l’IL6, aucune différence n’a été mise en évidence quel que soit le temps étudié ou les caractères liés au patient, au traitement ou à la neuropathie. L’interleukine-6 est une cytokine pro-inflammatoire de la phase aiguë de l'inflammation. De nombreuses études ont mis en évidence aussi bien in vitro que chez le patient traité, que l’oxaliplatine induisait une libération d’IL6 [14], [103], [278], [279]. Les concentrations en IL-6 sont de l’ordre de 4 à 10 pg/mL et sont caractérisées par une très grande dispersion des valeurs. Celles-ci s’étendent de 1,22 à 58,7 pg/mL avec un écart-type total de 8,60 pour une moyenne de 8,1 pg/mL. Ce chiffre parait faible comparé aux concentrations en IL6 de patients traités par oxaliplatine qui sont de l’ordre de 20 à 30 pg/mL [103], [278]. La demi-vie de l’interleukine 6 dans le sang est très courte, de 2 à 4 heures [280]. Une dégradation entre le moment du prélèvement et le stockage à -80 °C pourrait être supposée. En effet, le prélèvement était effectué en début de visite, avant la réalisation des tests cliniques puis, le ou les échantillons étaient centrifugés et aliquotés avant d’être stockés à -

80 °C. Entre le moment du prélèvement et son stockage à -80 °C, on peut estimer un délai variable d’attente du traitement de l’échantillon de une à quatre heures selon les jours.

Le dosage de l’activation du récepteur P2X7 a été effectué sur cinq échantillons de PBMC de

patients (prélèvement t12). Le signal fluorimétrique mesuré était près de 6,5 fois plus élevé chez ces patients que chez le volontaire sain (p = 0,025). Ce résultat semble en accord avec les travaux menés précédemment au laboratoire qui mettaient en évidence in vitro sur des cultures cellulaires de neuroblastomes et in vivo chez la souris traitée, une activation du récepteur P2X7

par l’oxaliplatine [14]. Le récepteur P2X7 est un récepteur transmembranaire impliqué dans les

voies de mort cellulaire et de libération de cytokines pro-inflammatoires tels que le Tumor Necrosis Factor alpha (TNF-α) et l’interleukine-6 (IL6). Par ailleurs, ce récepteur joue un rôle dans le développement de neuropathies d’origine inflammatoire [58], [59]. Ainsi, le niveau d’activation élevé des récepteurs P2X7 chez les patients, tous neuropathiques, de l’étude LIPIDOXA reste

cohérent avec le raisonnement selon lequel ce récepteur est suractivé dans la NPIO. Cependant, dans la mesure où le nombre d’échantillons de patients est très faible et où le niveau d’activation du récepteur P2X7 reste inconnu chez les patients à t0, i.e. avant traitement, il est délicat de relier

le niveau élevé d’activation du récepteur P2X7 à l’effet de l’oxaliplatine et donc à la NPIO. Par

ailleurs, les différences observées ici sont bien supérieures à celles observées sur les cultures cellulaires et les souris qui sont de l’ordre de 20 – 25 % par rapport au contrôle [14]. Même si les résultats obtenus sur cellules et chez le petit animal ne sont pas strictement comparables à ceux obtenus chez l’homme, on peut supposer que d’autres facteurs interviennent dans la régulation de l’activation du récepteur P2X7 parmi lesquels la maladie cancéreuse [281].