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4.3 Imagerie et perturbation du d´ eveloppement

4.3.3 Discussion

4.3.3.1 Existence d’un seuil pour la perturbation du d´eveloppement

A partir de ces diff´erents r´esultats, nous pouvons formuler des hypoth`eses sur l’origine de la phototoxicit´e pouvant apparaˆıtre dans nos exp´eriences. Tout d’abord, les effets phototoxiques semblent li´es `a la quantit´e de dommages induits par unit´e de temps : comme l’illustre la fi- gure 4.23, il existe un seuil au del`a duquel l’embryon est incapable de r´ecup´erer des dommages induits, indiquant que la capacit´e de r´eparation, soit par capture/destruction des esp`eces toxiques cr´e´ees, soit par r´eg´en´eration des mol´ecules et/ou des structures perturb´ees, est d´epass´ee. Cette analyse est confirm´ee par l’imagerie sur le long terme de l’embryon (figure 4.27) : si l’on ´eclaire l’embryon en respectant un intervalle suffisant entre les images (150 s dans cet exemple), il est possible de le visualiser pendant plusieurs heures sans perturber le d´eveloppement.

Ce r´esultat est `a rapprocher de l’´etude de Squirrell et al. [23], qui observent sur le long terme (24 h) des embryons de hamster `a une longueur d’onde de 1047 nm. Tous les param`etres permet- tant la comparaison avec nos exp´eriences ne sont pas donn´es dans l’´etude, mais on peut cepen- dant noter que l’intensit´e crˆete utilis´ee est seulement 2.5 fois plus faible (2.8 × 1011W/cm2 contre 7.1 × 1011W/cm2 dans notre cas). De plus la vitesse de balayage de l’´echantillon est environ 3 fois plus lente (50mm/ms, estim´ee `a partir des param`etres donn´es dans l’article, contre 150 mm/ms dans notre cas), et ceci pour une longueur d’onde plus faible (1.047mm) dont nous avons montr´e qu’elle induisait des dommages plus importants que celle que nous utilisons (1.18mm).

Fig. 4.27 – D´eveloppement de l’embryon jusqu’au premier stade larvaire. S´equence d’images (coupe sagittale) obtenue avec des impulsions compress´ees en imagerie THG (jaune-rouge) et SHG (vert). Intervalle entre les images de la s´equence d’origine, 150 s. 0 h, stade 5 ; 3 h, stade 10 (fin) ; 7 h, stades 11/12 ; 10 h, stade 14 ; 14 h, stade 16 (fin) ; 17 `a 35 h, stade 17. L’apparition d’un signal SHG permet de suivre le d´eveloppement des muscles. Au bout de 37 h, la larve est sortie de la membrane vitelline.

Dans ces conditions, les auteurs n’observent aucun signe de photodommages dans les em- bryons, tant en termes de survie qu’en termes de cr´eation de ROS. Ceci confirme que dans les conditions d’imagerie que nous avons utilis´ees dans la section pr´ec´edente pour la quantification des mouvements morphog´en´etiques, nous sommes dans une fenˆetre d’imagerie qui ne perturbe pas le d´eveloppement des embryons.

En dessous de ce seuil de dommages, les crit`eres que nous avons utilis´es pour quantifier les dommages ne montrent pas d’effets r´esiduels. Les champs de vitesse mesur´es par PIV sont normaux (analyse effectu´ee au niveau de l’extension de la bande germinale) et nous n’avons pas observ´e de retard significatif au d´eveloppement jusqu’au premier stade larvaire (en prenant comme crit`ere le temps au bout duquel la larve sort de la membrane vitelline16). Ceci est `a comparer `a la r´ef´erence [225], o`u les dommages sub-l´etaux induisent un retard dans la prolif´eration cellulaire.

La sensibilit´e limit´ee de nos crit`eres, essentiellement morphologiques, peut expliquer cette ab- sence d’effet pour des images espac´ees dans le temps. Pour effectuer une analyse plus approfondie, il serait n´ecessaire de disposer de sondes suppl´ementaires, par exemple pour les ROS [23,198,211]. Cependant, comme nous l’avons d´ej`a pr´ecis´e, l’utilisation d’une sonde dans l’embryon `a un stade pr´ecoce est d´elicate car la membrane vitelline entourant l’embryon empˆeche la diffusion de mar- queurs de la solution externe et l’injection de la sonde `a travers la membrane diminue nettement le taux de survie des embryons. L’´etude pr´esent´ee dans cette section pourrait donc ˆetre compl´et´ee par exemple par une analyse approfondie de la phototoxicit´e dans des cellules isol´ees (voir par exemple l’´etude du paragraphe 3.3.2, page 127).

4.3.3.2 Origine des photodommages

La variation de la longueur d’onde d’excitation a permis de montrer que l’absorption lin´eaire, en particulier par l’eau, n’´etait pas un facteur pr´epond´erant de toxicit´e dans ces exp´eriences. Ceci est coh´erent avec les calculs men´es par Sch¨onle et al. [230] et Vogel et al. [82]. En utilisant les param`etres r´eunis dans la table 4.1, on trouve un ´echauffement transitoire (pendant les 6.7ms pendant lesquelles le faisceau ´eclaire un ´el´ement de surface d’1mm2) compris entre 0.4C [230] et 0.9◦C [82].

Cet ´echauffement est tr`es largement en dessous du seuil d’activation des prot´eines de choc thermique [215] par exemple, et il est suffisament faible pour se r´esorber presque compl`etement entre deux lignes successives (le temps caract´eristique de relaxation dans l’eau pure ´etant de l’ordre de la centaine de ms [214]). D’autre part, on peut s’attendre `a ce que l’embryon, qui se d´eveloppe normalement pour des temp´eratures ext´erieures variant environ de 17 `a 30◦C, soit relativement peu sensible `a un ´echauffement d’une fraction de degr´e. En fait, dans la litt´erature, les cas o`u les dommages sont caus´es par des effets photothermiques sont essentiellement limit´es `a l’utilisation de lasers YAG en impulsion (pour lesquels l’´echauffement peut atteindre 100◦C [231]) ou continus dans le cas du pi´egeage optique [214,215], et au cas o`u une mol´ecule absorbe fortement l’onde fondamentale, comme dans le cas des cellules pigment´ees [154].

16Comme l’illustre la figure 4.27, ce temps est notablement plus long que celui de 24 h g´en´eralement annonc´e,

que l’embryon soit ´eclair´e ou non durant son d´eveloppement. Ceci est probablement dˆu `a la pr´eparation de

De mˆeme les effets de claquage optique sont peu pertinents dans notre ´etude. En comparaison avec les effets induits dans la gamme 800-900 nm [35], nous n’avons jamais observ´e d’intense autofluorescence excitable `a 1.18mm ou 800 nm apr`es imagerie `a 1.18 mm, ni mˆeme en fixant le faisceau en un point de l’´echantillon pendant plusieurs dizaines de secondes. Chen et al. [81] font une constatation similaire `a 1.23mm, sans toutefois pousser plus loin leurs investigations. On ne peut pourtant exclure qu’un plasma de faible densit´e soit malgr´e tout cr´e´e dans le tissu et contribue aux dommages photochimiques observ´es.

Nos r´esultats sugg`erent que les effets dominants dans nos conditions d’imagerie sont de na- ture photochimique et d´erivent d’une absorption `a 2 photons d’une ou plusieurs mol´ecules du milieu. L’absorption `a 3 photons, bien que possible, est en effet un processus tr`es peu efficace compar´e `a l’absorption `a 2 photons. Par exemple, nous n’avons observ´e aucune autofluorescence du vitellus pour une excitation `a 1180 nm, alors que cette fluorescence est forte autour de 790 nm, probablement `a cause de la pr´esence de NADH. On ne peut pas exclure formellement `a partir de nos r´esultats la pr´esence d’un (faible) effet `a 3 photons17, mais la r´eduction de la phototoxicit´e lors de la compression des impulsions incite `a consid´erer plutˆot des effets d’ordre 2.

A partir de ces constatations, on peut avancer des hypoth`eses sur le mode d’induction des photodommages. Dans la grande majorit´e des ´etudes cit´ees, les dommages sont induits au niveau des mitochondries, et ceci aussi bien pour des sources continues qu’impulsionnelles, et pour des longueurs d’onde allant de 300 `a 1060 nm. Il est donc raisonnable de penser que dans notre cas ´egalement, l’absorption se fera au niveau de mol´ecule(s) situ´ee(s) dans les mitochondries ; Cependant, si l’on suppose que les spectres d’absorption `a 2 photons des mol´ecules consid´er´ees sont proches de ceux `a 1 photon (ce qui est vrai au moins pour le NADH et les flavines [53]), les seules mol´ecules efficacement excitables entre 1.1 et 1.2mm sont les porphyrines telles que les cytochromes c, b ou encore la cytochrome c oxidase (figure 4.28). Cette derni`ere pr´esente cependant une absorption comparable entre 540 et 590 nm, qui ne permet pas d’expliquer la variation du seuil de dommage entre une excitation `a 1.08mm et une excitation `a 1.18 mm.

Une hypoth`ese plausible `a partir des donn´ees pr´esent´ees est donc que la phototoxicit´e ob- serv´ee dans notre cas provient de l’absorption `a deux photons de l’onde excitatrice par des porphyrines telles que les cytochromes, qui conduirait `a la perturbation de la chaˆıne respiratoire mitochondriale et `a la production de ROS.

Cette explication reste une hypoth`ese qui demanderait pour ˆetre valid´ee (notamment en termes de production de ROS, influence de la pr´esence d’oxyg`ene, etc.) des ex- p´eriences compl´ementaires, par exemple utilisant des marqueurs fonctionnels. Cette confirmation sort toutefois du cadre de cette ´etude o`u notre but ´etait de d´efinir la fenˆetre d’utilisation de l’imagerie THG pour le d´eveloppement de l’embryon de dro- sophile, notamment en termes de longueur d’onde, de fr´equence d’exposition et de dur´ee d’impulsion.

17Hopt et al. montrent par exemple qu’autour de 800 nm et pour des puissance d’excitation importantes (20-

50 mW sur l’´echantillon), la d´ependance en puissance des effets obtenus indique un m´elange d’effets `a 2 et 3

photons. Notons cependant que cette gamme de longueur d’onde correspond `a une absorption `a 3 photons vers

250-300 nm, r´egion dans laquelle beaucoup de mol´ecules tr`es abondantes comme l’ADN ou les prot´eines, qui

contiennent de nombreux r´esidus aromatiques, pourront ˆetre excit´ees. La faiblesse des effets `a 3 photons peut

500 520 540 560 580 600 620 0 5 10 15 C oeff icient d' absorption (O D /m M /cm ) Longueur d'onde (nm) Cytochrome c, oxydé Cytochrome c, réduit Cytochrome b, oxydé Cytochrome b, réduit 500 520 540 560 580 600 620 0 10 20 30 40 C oe ff icien t d 'ab so rpti on (O D /m M /cm ) Longueur d'onde (nm) Cytochrome c oxydase, oxidée Cytochrome c oxydase, réduite

(b)

(a) (c)

(d)

Fig. 4.28 – Spectres d’absorption lin´eaire de diff´erents absorbeurs potentiels.

(a), spectres d’excitation `a 1 (traits pleins) et 2 (points) photons du NAD(P)H (tri- angles), de la flavine ad´enine dinucl´eotide (carr´es) et de la lipoamide d´ehydrog´enase (LipDH, ronds). Figure extraite de la r´ef´erence [53]. (b), spectres d’absorption de la FAD et de la flavine mononucl´eotide (FMN). Figure extraite de la r´ef´erence [232]. (c), spectres d’absorption de la cytochrome c oxydase et (d), des cyto- chromes b et c, en fonction de leur ´etat d’oxydation. Donn´ees (c et d) provenant du site : http ://www.medphys.ucl.ac.uk/research/bort/research/NIR−topics/spectra/ spectra.html. Les traits verticaux sur les figures (c) et (d) repr´esentent les longueurs d’onde moiti´e des longueurs d’onde d’excitation (1.18mm et 1.08 mm).

4.3.4

Conclusion

En conclusion, nous avons montr´e que dans des conditions d’imagerie adapt´ees `a l’analyse par PIV du d´eveloppement, les mouvements morphog´en´etiques de l’embryon ne sont pas per- turb´es. Ceci valide l’utilisation de la microscopie THG comme technique d’imagerie pour la caract´erisation des mouvements, par exemple dans des embryons mutants pour certains g`enes

du d´eveloppement dont le ph´enotype n’est actuellement pas caract´eris´e.

L’analyse de l’origine des photodommages a montr´e que ceux-ci ´etaient limit´es au plan focal, permettant d’envisager le d´eveloppement de l’imagerie dynamique de l’embryon en trois dimen- sions, comme l’illustre la figure 4.29. Ainsi, on pourrait obtenir une description compl`ete des mouvements dans des organismes mutants pour diff´erents g`enes du d´eveloppement par exemple, sans marquage des ´echantillons.

(a) (b)

Fig. 4.29 – Visualisation 3D dynamique de la moiti´e d’un embryon pen- dant la gastrulation en imagerie THG.

Temps d’acquisition par image 3D, 57 s. Echantillonnage lat´eral, 0.75mm/pixel et ´

echantillonnage axial, 2mm entre chaque plan. Echantillonnage temporel, 2 min. (a), cel- lularisation (fl`eche rouge, front de cellularisation). (b), gastrulation (30 min plus tard). Les images du haut (vue « de l’ext´erieur ») et du bas (vue « de l’int´erieur ») permettent de bien voir par exemple la formation du sillon c´ephalique (fl`eche verte).

La microscopie THG est donc une technique de choix pour l’´etude de la morphog´en`ese de l’embryon de drosophile, tant dans le cas de perturbations m´ecaniques que g´en´etiques, comme nous allons l’illustrer dans la section suivante.