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Discussion de la formation de HF dans les parois sous atmosphère humide

Les analyses XPS de la partie précédente ont montré qu’une quantité importante de fluor (31 %) est présente sur l’échantillon d’Y2O3 après le plasma de H2, sous une forme faiblement liée à la surface. De plus, cette quantité de fluor chute à 24 % après une remise à l’air de 16 h de l’échantillon. Ce fluor s’est donc échappé de l’échantillon soit sous la forme de HF déjà formé dans le réacteur, soit sous la forme d’une molécule volatile formée lors de la remise à l’air.

Considérations thermodynamiques

La formation d’une molécule volatile contenant F lors de la remise à l’air résulte nécessairement d’une réaction entre du F faiblement lié à la surface et un des constituants de l’air ambiant. Les fractions molaires des espèces de l’air sec sont listées dans le tableau 4. La vapeur d’eau est quant à elle présente en quantité variable : sa concentration maximale est définie par la pression de saturation. À 21 °C (température de la salle blanche), cette dernière vaut Ps = 2 488 Pa [Crétinon and Blanquart 2007]. Si l’on considère que l’on est en présence d’un mélange parfait de gaz parfaits, la loi s’applique pour chaque gaz. En faisant le rapport de la pression de saturation de l’eau sur la pression atmosphérique (1 013 hPa), on obtient une quantité d’eau maximale de 2,5 %. Le taux d’humidité relative de la salle blanche de 40 % équivaut donc à 1 % de vapeur d’eau.

Afin de déterminer la réaction la plus probable pour le F physisorbé en surface de l’échantillon d’Y2O3, nous envisageons ci-dessous sa réaction avec chacune des molécules de l’air. Ces considérations supposent que l’état d’équilibre thermodynamique est atteint après les 16 h de remise à l’air de l’échantillon.

- Les gaz rares peuvent être exclus, ainsi que N2 qui est pratiquement inerte du fait de sa forte énergie de liaison (cf. tableau 5).

- Les réactions avec les molécules de fractions molaires inférieures à 10-6 peuvent statistiquement être négligées. Il reste donc à analyser les réactions avec les molécules d’O2, H2O et CO2.

- La réaction du fluor avec l’oxygène des molécules O2, H2O et CO2 n’est pas favorable car l’énergie de la liaison O-F est inférieure à celles des liaisons devant être rompues : respectivement O-O, O-H et O-CO.

- La réaction du fluor avec le H de la molécule de H2O pour former HF est très favorable, dégageant 70,5 kJ.mol-1 d’énergie thermique.

- Enfin, la réaction du fluor avec le C de la molécule de CO2 pour former COF puis COF2 est peu favorable et la fraction molaire de CO2 (0,04 %) relativement faible.

La réaction la plus probable est donc la réaction de H2O avec le F physisorbé. Un argument supplémentaire en faveur de cette réaction est le fort moment dipolaire de la molécule d’eau (1,85 D) qui favorise sa physisorption, tandis que O2 et CO2 sont seulement polarisables (davantage CO2 du fait de son nuage électronique plus étendu).

retrouve ailleurs dans la littérature. Elle a notamment été observée par Posseme et al. lors de la remise à l’air de TiN utilisé comme masque dur pour la gravure de diélectriques poreux SiOCH en plasmas fluorocarbonés [Posseme et al. 2011].

Tableau 4 : Composition de l’air sec [Park et al. 2004].

Tableau 5 : Table d’énergies de liaisons à 298 K sous 1 bar [Darwent 1970].

Nous concluons donc de ces considérations thermodynamiques que du HF a pu se former par réaction avec la vapeur d’eau de l’air ambiant. Or, compte tenu de la désoxydation des métaux de parois mise en évidence précédemment, de l’eau est également présente à l’intérieur du réacteur. Cette même réaction a donc pu avoir lieu in situ et nous concluons qu’il est très probable que d’importantes quantités de HF se forment dans les porosités à la surface des parois du réacteur, avec des conséquences significatives

Constituant Fraction molaire

N2 0,781 01 O2 0,209 39 Ar 0,009 17 CO2 0,000 40 Ne 18,2 × 10−6 He 5,2 × 10−6 CH4 1,5 × 10−6 Kr 1,1 × 10−6 H2 0,5 × 10−6 N2O 0,3 × 10−6 CO 0,2 × 10−6 Xe 0,1 × 10−6

Liaison Réaction Énergie de liaison (kJ.mol-1) N-N N2 → N + N 945,42 ± 0,04 O-O O2 → O + O 498,4 ± 0,4 C-O CO → C + O 1076,5 ± 0,4 CO2 → CO + O 532,2 ± 0,4 O-H H2O → OH + H 498,7 ± 0,8 H-F HF → H + F 569.2 ± 4 O-F OF → O + F 159 ± 13 OF2 → OF + F 272 ± 13 C-F CF4 → CF3 + F 523 ± 17

sur la dégradation de ces dernières lorsque le réacteur est utilisé avec des chimies de plasma H2. Nous avons donc essayé de mettre en évidence de manière directe la présence de HF par différentes techniques. Ces analyses n’ont malheureusement pas été totalement concluantes mais sont néanmoins présentées ci-après.

Analyse ATR de l’Y2O3

Figure 51 : Spectre FTIR de l’échantillon d’Y2O3 obtenu par la méthode ATR.

Figure 52 : Spectre FTIR en transmission à 45° dans les régions 4000-3000 et 1400-400 cm-1 d’un échantillon de 56 mmol de Ar:HF (ratio de 400:1), déposé pendant 20 h à 12 ± 1 K, chauffé à 24 K pendant 10 min pour faire apparaitre certaines composantes, puis refroidi à nouveau [Andrews and Johnson 1984].

Afin de vérifier la présence de HF à la surface de l'échantillon d’Y2O3, une analyse a été effectuée en FTIR (cf. figure 51) par la méthode ATR (cf. chapitre II pour la description de l’ATR). Plusieurs méthodes d’analyse sont possibles en FTIR : transmission, MIR (Multiple Internal Reflexions) et ATR (Attenuated Total Reflexion). L’épaisseur importante de l’échantillon aurait rendu impossible l’analyse en transmission ou en MIR du fait de l’absorption du signal. De plus, le fait que le HF soit présent en surface est avantageux pour la détection en ATR : le signal est une onde évanescente réfléchie en surface de l’échantillon, sur une épaisseur allant jusqu’à 50 nm dans le cas d’oxydes de silicium [Rochat et al. 2002].

En revanche, l’ATR est peu adapté du point de vue spectral. La figure 52 présente la transmittance d’un complexe d’Ar:HF (rapport 400:1) refroidi à 12 K, la matrice d’Ar et la faible température ayant pour rôle de piéger le HF, tout en minimisant la perturbation des

Tr a n s m it ta n c e F TI R Nombre d’onde (cm-1)

vibrations de la molécule. Les raies visibles sur ce spectre FTIR sont donc celles susceptibles d’apparaitre dans le cas de notre échantillon, tout en gardant à l’esprit que les effets de matrice peuvent être importants. La température et l’électronégativité des atomes de la matrice modifient la propagation des phonons dans le matériau et donc les bandes d’absorption de la molécule observée : il peut y avoir élargissement, décalage fréquentiel, voire disparition ou apparition de nouvelles bandes [Tolstoy et al. 2003, Darnon 2007]. Néanmoins, on constate sur ce spectre que les raies d’absorption les plus marquées se situent au-dessus de 3000 cm-1 et en-dessous de 750 cm-1. Or le signal obtenu en ATR est bruité et peu fiable en-dessous de 750 cm-1 et il devient faible au-dessus de 2000 cm-1 en raison de l’atténuation importante de l’onde incidente dans les hautes fréquences6 : 37 % du signal est atténué à une profondeur de *2 / (γωµ0µr)+ 1/2 (effet de peau).

Ainsi, sur le spectre du complexe Ar:HF, les raies les plus susceptibles d’être détectées en ATR sont celles situées à 1250 et 850 cm-1. Quant au spectre de l’Y2O3, deux pics pourraient être des raies d’absorption à 1370 et 1210 cm-1, bien que leur intensité soit faible rapport au bruit de fond. L’une de ces deux raies pourrait correspondre à la raie à 1250 cm-1 sur le spectre du complexe Ar:HF. Nous en concluons qu’il est possible que du HF soit présent mais il n’est pas clairement identifiable, étant donné que la gamme spectrale analysée en ATR est mal adaptée au spectre d’absorption de la molécule. Ces observations de spectroscopie FTIR sont donc insuffisantes pour valider ou invalider la présence de HF à la surface de l’échantillon.

Analyse par chromatographie ionique de l’Y2O3

En complément de l’analyse ATR présentée ci-dessus, une analyse par chromatographie ionique a été réalisée afin de détecter la présence de HF piégé dans l’Y2O3. Cette analyse confirme les résultats obtenus par XPS et renforce l’hypothèse de la présence de HF à la surface de l’échantillon7.

L’échantillon a été immergé dans de l’eau désionisée (EDI) afin de dissoudre les espèces physisorbées à la surface de l’échantillon. Il est alors possible d’analyser les différents ions formés par chromatographie ionique. La technique consiste à faire migrer les ions à température ambiante dans une colonne recouverte d’une résine, dite « phase stationnaire », pour laquelle les ions possèdent une certaine affinité. Les ions ont des vitesses de montée différentes qui dépendent de l’éluant, ici la solution d’EDI. Ils sont détectés en haut de colonne, généralement par une mesure de conductivité comme c’est le cas ici. Afin de réaliser une mesure quantitative des concentrations d’ions de la solution analysée, une calibration de l’appareil est nécessaire. Elle consiste à déterminer le temps de migration de l’ion dans l’éluant utilisé – temps d’élution – ainsi que l’intensité du courant intégrée dans le temps correspondant à l’augmentation de la conductivité. [Nguyen 2012, Caudron and Pradeau 2010a, Caudron and Pradeau 2010b]

L’échantillon a été immergé dans 20 mL d’EDI dans un flacon HDPE (high-density

6 Merci à Névine Rochat pour les échanges à propos de la spectroscopie FTIR, en particulier ici concernant les

limites de détection de la méthode ATR et l’interprétation des spectres obtenus.

7

 Merci à Hervé Fontaine et Christelle Ailhas pour leur aide à la mise en place, réalisation et interprétation de la chromatographie ionique présentée.

polyethylene) durant 1 h à température ambiante. 8 mL ont été prélevés à l’aide d’une pipette pour une première analyse de chromatographie ionique. Puis l’échantillon a été placé dans une étuve à 70 °C pendant 1 h. 8 mL ont de nouveau été prélevés et ont refroidi jusqu’à température ambiante pour une deuxième analyse. Au préalable, un « blanc » a été réalisé en reproduisant strictement les mêmes opérations sans échantillon. Ce signal a ensuite été retranché de la mesure avec échantillon afin de corriger les éventuelles contaminations extérieures.

Tableau 6 : Quantités d’ions extraites rapportées à la surface du dépôt d’Y2O3.

Le tableau 6 présente l’ensemble des quantités d’ions extraites rapportées à la surface du dépôt d’Y2O3. Il est important de noter que le socle d’aluminium de l’échantillon est lui aussi susceptible de relâcher des espèces en solution.

Parmi les ions extraits, F- et Cl- sont fortement présents, les autres ions sont dus à une contamination de l’échantillon lors de sa manipulation. Les ions Cl- sont dus à un plasma de Cl2 appliqué à l’échantillon antérieurement au plasma de H2 pour d’autres expérimentations indépendantes. Notre stock d’échantillons d’Y2O3 étant limité, un plasma d’O2 de 2 min avait été réalisé après le plasma de Cl2 afin de retirer le chlore adsorbé : l’analyse XPS indiquait moins de 0,5 % restant. Néanmoins, la profondeur de l’analyse XPS étant limitée à l’extrême surface, nous en déduisons que du chlore a pénétré plus profondément dans les pores de l’échantillon : ce dernier n’a pas été complètement retiré par les plasmas d’O2 et de H2, mais a été dissous lors de l’immersion dans l’EDI.

L’importante quantité de fluor dissous dans l’EDI confirme qu’il est faiblement lié à la surface de l’échantillon comme l’a montré l’analyse XPS : soit sous forme de F physisorbé, soit sous forme de HF. Si l’on examine le rapport de la quantité d’ions extraite à 70 °C sur la quantité totale, on constate que la majorité du fluor a été extraite à 21 °C, contrairement aux autres ions. Le fluor est donc lié plus faiblement à la surface de l’échantillon que les autres espèces. Néanmoins, il est délicat de conclure quant à la forme initiale du fluor sur l’échantillon à partir de ces analyses.

Quantité d’ions (cm-2) F- Cl- Na+ NH4+ K+ Mg2+ Ca2+

Extraite à 21 °C 2,5E+16 6,7E+16 1,1E+15 3,4E+14 7,3E+14 1,6E+16 3,6E+15

Extraite à 70 °C 3,2E+16 1,5E+17 2,2E+15 3,2E+15 1,3E+15 5,9E+16 5,5E+15

Extraite à 70°C /

quantité totale 22% 56% 51% 89% 45% 72% 35%

Conclusion

En conclusion, les analyses de surface poussées que nous avons effectuées sur les matériaux de parois suggèrent qu’une importante quantité de fluor faiblement lié est générée (dans les porosités) lorsqu’un plasma de H2 est utilisé après un plasma fluoré, dans un réacteur fabriqué en alumine ou Y2O3. Compte tenu de nos observations et de considérations thermodynamiques, le plus probable est que ce fluor se trouve piégé dans les porosités de parois sous forme de HF suite à la réaction de F adsorbé en surface avec des radicaux H ou bien avec de la vapeur d’eau. Il s’agit d’une conclusion importante car les plasmas de H2 sont connus pour dégrader les parois des réacteurs industriels. Comme nous l’avons mis en évidence, cela pourrait être dû à la réduction par H des oxydes métalliques qui constituent les parois, couplée à une attaque du métal desoxydé par le HF. Cependant en dépit de nos efforts, nous n’avons pas réussi à mettre en évidence de manière indiscutable la présence de HF.