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PARTIE 3. Etude 1 Traduction et validation française du Community Integration Questionnaire-

IV. Discussion

L’objectif de cette première étude transversale était de traduire et valider en français la version révisée du questionnaire d’intégration communautaire spécifique aux personnes cérébrolésées développée par Callaway et al., (2016), le Community Integration Questionnaire

Revised (CIQ-R). L’échantillon d’étude était composé de 191 patients âgés de 18 à 88 ans

ayant été victimes d’une LCA de nature traumatique ou non-traumatique.

La structure factorielle a été étudiée à partir d’une analyse factorielle exploratoire conformément aux recommandations de Flora & Flake (2017) dans le cadre d’une validation transculturelle. Une structure à 15 items regroupés en 4 facteurs a été identifiée dans cette version française : le premier facteur se compose des items 1, 2, 3, 5, 6 et 7 qui renvoient tous à des activités instrumentales du quotidien, c’est-à-dire de la participation à la vie domestique (courses, préparation des repas, entretien ménager, gestion des finances). Nous pouvons donc interpréter ce facteur comme correspondant à la dimension d’Intégration au domicile figurant parmi l’un des domaines de l’intégration communautaire tel que définis par Willer et al. (1994). Il est à noter que, dans la version anglophone de Callaway et al. (2016), l’item 7

(« combien de fois par mois sortez-vous pour participer aux courses ? ») appartient au facteur

2. Toutefois, les auteurs rapportent des saturations de cet item de .21 et .35 respectivement par les facteurs 1 et 2. De plus, il n’est pas surprenant que cet item qui fait référence à une activité domestique fasse partie de la dimension Intégration au domicile. Le deuxième facteur se compose des items 9 à 11 qui font tous référence à l’étayage social de la personne (rendre visite à ses proches, participer à des activités de losirs avec ses proches, avoir un ami à qui se confier). Nous pouvons interpréter ce facteur comme correspondant à la dimension

participez à des activités de loisirs comme aller au cinéma, sports, restaurants ect… ? ») ne fait

pas partie de ce facteur. Dans notre étude, cet item 8 appartient au facteur 3 et renvoie avec les items 12 et 13 à la participation à des activités de loisirs, professionnelles ou bénévoles. Dans la version anglophone, cette troisième dimension est réservée aux activités productives. Dans notre étude, elle élargit la participation à toute forme d’activité. Nous pouvons donc interpréter ce facteur comme une dimension d’Intégration dans des activités. Les items 14, 15 et 16 composent le quatrième facteur et renvoient à l’étayage social comme le facteur 2 mais cette fois via l’utilisation des nouvelles technologies (Internet, vidéo en ligne, téléphone). Nous pouvons donc interpréter ce facteur comme correspondant à la dimension d’’intégration

via les réseaux sociaux décrite par Callaway et al. (2016). Ce modèle à 4 facteurs explique 39 %

des variations dans les réponses des patients.

La consistance interne de l’outil CIQ-R a été évaluée à l’aide de l’indice composite Oméga. L’Oméga total, élevé dans notre étude, nous indique que le questionnaire est composé d’un ensemble d’items homogènes et révèle l’existence d’un facteur général d’IC justifiant le calcul d’un score global d’IC. L’Oméga hiérarchique, relativement bas dans notre étude, nous précise que la majorité de la variance obtenue avec le score global d’IC est imputable aux différentes dimensions du questionnaire. Par ailleurs, les coefficients alpha (de .54 à .8) indiquent une consistance interne relativement satisfaisante pour chacune des 4 dimensions.

Dans notre étude, l’évaluation de la validité de construit était initialement basée sur l’approche multi-trait multi-méthode (MTMM) de Campbell & Fiske (1959). Cette méthode, peu retrouvée dans la littérature, s’appuie sur une approche rigoureuse de la validité convergente et de la validité divergente. La nécessité de mesurer plusieurs construits par

plusieurs méthodes, qui en fait une méthode particulièrement coûteuse, pourrait notamment expliquer le problème de non convergence auquel nous avons été confrontés. La constitution d’un échantillon de patients et de proches plus large aurait peut-être pu permettre un ajustement du modèle aux données. La non-convergence, fréquente dans la pratique, est documentée dans la littérature (Brannick & Spector, 1990; Dumenci & Yates, 2012).

Nous avons donc eu recours à une méthode d’analyse plus classique de la validité de construit. La validité convergente a été évaluée en effectuant une analyse de corrélation entre le score à l’échelle de fonctionnement WHODAS 2.0 obtenu par les 191 patients et les différents scores obtenus au CIQ-R. Dans notre étude, les résultats mettent en évidence des corrélations négatives significatives entre le score à l’échelle de fonctionnement et les scores aux 4 dimensions du CIQ-R ainsi qu’avec le score total d’IC. En d’autres termes, comme cela était attendu, plus le score d’altération du fonctionnement diminue, plus le score d’IC augmente. Ce résultat témoigne de la validité convergente du CIQ-R. La validité divergente de l’outil a, quant à elle, été évaluée à l’aide de l’échelle de QDV, le QOLIBRI. Les résultats montrent que la QDV n’est corrélée ni avec l’IC, ni avec l’intégration au domicile ou l’intégration dans les activités. En d’autres termes, les scores d’IC, d’intégration au domicile, d’intégration dans les activités sont indépendants du score de QDV. L’IC mesurée par le CIQ-R est donc bien un construit différent de celui de QDV. Nos résultats mettent en évidence une corrélation significative entre les scores d’intégration sociale et d’intégration via les réseaux sociaux et le score de QDV. Toutefois, ces corrélations s’avèrent relativement faibles (.18 et .22), ce qui tend là encore à montrer que le CIQ-R évalue un construit différent de celui mesuré pas le QOLIBRI. La validité divergente de l’outil semble en grande partie confirmée.

Au regard des statistiques descriptives, les patients de notre échantillon d’étude rapportent des scores au CIQ-R plus bas que ceux obtenus par l’équipe de Callaway (2016) en population générale australienne, que ce soit pour chacune des dimensions de l’IC ou pour le score total. Ces résultats sont cohérents avec la littérature selon laquelle les personnes cérébrolésées présentent des scores d’IC plus bas que ceux de la population générale (Migliorini et al., 2016). Par ailleurs, conformément à l’étude de Callaway (2016) rapportant des données normatives en population générale, ce sont les femmes, les plus jeunes mais également les personnes célibataires qui rapportent les scores d’IC les plus importants dans notre échantillon d’étude. Plus précisément, les plus jeunes (18-50 ans) rapportent des scores d’intégration au domicile plus élevés que les patients âgés de 51 à 88 ans, ce qui reflète une plus grande participation de la part des patients les plus jeunes dans les activités instrumentales de la vie quotidienne. De plus, on remarque un effet tendanciel concernant la différence des scores d’Intégration par les activités entre le groupe âgé de 18 à 36 ans et le groupe âgé de 51 à 62. Cette dimension de l’IC regroupant la participation à des activités notamment de loisirs et professionnelles, la différence observée pourrait donc être liée à une fréquence plus importante des activités de loisirs chez les plus jeunes. Ce résultat concorde également avec les travaux précédents selon lesquels l’âge est associé à une meilleure intégration professionnelle chez les personnes cérébrolésées (Busch et al., 2009; Wozniak et al., 1999). Enfin, les plus jeunes (18-36ans) rapportent des scores d’intégration par les réseaux sociaux plus importants que les groupes plus âgés (37–50 ans, 51-62 ans et 63-88 ans). Un âge plus jeune a déjà été identifié parmi les facteurs déterminant de l’usage d’internet en population générale (Frydel, 2006). Ces résultats témoignent de la capacité discriminante de la version française de l’outil CIQ-R.

L’ensemble des résultats obtenus à travers cette étude transversale témoigne d’une validité de construit, d’une consistance interne et d’une sensibilité du CIQ-R relativement acceptable. Toutefois, ce travail de validation mérite d’être poursuivi afin d’obtenir des informations concernant des données normatives, la fiabilité du CIQ-R dans le temps et à travers différentes méthodes. En effet, des normes « comparatives » de l’IC en population générale française permettraient de situer les patients par rapport à leur groupe de référence c’est-à-dire un groupe d’individus ayant les mêmes caractéristiques notamment sociodémographiques (Amieva, Belin, & Maillet, 2016). De plus, l’étude de la fidélité test- retest permettrait d’apprécier la consistance des résultats dans le temps.

Enfin, comme nous l’avons mentionné, les données des proches, recueillies dans le cadre de l’approche MTMM pour la validation du CIQ-R n’ont pas pu être exploitées. Ces données reflètent l’évaluation par une tierce personne (aidant, famille, amis) de la façon dont le patient est intégré dans divers domaines. Une validation du CIQ-R dans sa version d’hétéro- évaluation pourra être effectuée à partir de ces données en agrandissant l’échantillon d’étude. La réalisation d’une analyse factorielle exploratoire permettra, dans un premier temps, d’identifier les dimensions au sein desquelles les items se regroupent à partir des réponses des proches. Dans un second temps, l’utilisation d’une version d’hétéro-évaluation du CIQ-R permettra d’inclure un des membres de la famille (ou du réseau social) du patient dans le processus d’élaboration de son projet social et professionnel en référence à la CIF (2001), qui intègre les facteurs environnementaux dans sa conception du fonctionnement de la personne. La passation d’une version d’hétéro-évaluation du CIQ-R s’inscrit, par ailleurs, dans les recommandations de l’EBIS-CEISME (2015), selon lesquels la prise en compte du point de vue d’un proche favoriserait une approche neurosystémique. En effet, une version

d’hétéro-évaluation du CIQ-R constituerait un support lors des entretiens familiaux. Par exemple, à travers des items comme « Qui prépare les repas ? Lui seul/ Lui et quelqu’un

d’autre / Quelqu’un d’autre ?», la version d’hétéro-évaluation du CIQ-R pourrait permettre

d’investiguer l’impact des troubles cognitifs et du comportement sur l’intégration au domicile du patient à travers la dynamique des différents systèmes dans lesquels le patient s’inscrit (Beuret-Blanquart, Le Guiet, & Mazaux, 2011). La perception qu’a le proche du fonctionnement de la personne cérébrolésée peut influencer les activités du patient et de façon plus large son intégration communautaire. Le handicap peut conduire à des distorsions de l’organisation familiale, qui a leur tour peuvent faciliter ou freiner l’intégration communautaire du patient. A travers cette approche, il s’agirait d’interroger la place et le rôle de chacun des membres du système dans les différentes étapes du parcours du patient.

Dans l’ensemble, le CIQ-R semble répondre aux recommandations concernant les mesures de résultats dans la recherche sur les LCA (Wilde et al., 2010). Simple et rapide de passation, il s’appuie en effet sur une sélection empirique des items (basés notamment sur l’expérience des patients) et répond à des critères de validité scientifique. Ces éléments représentent une des garantie quant à la fiabilité de la mesure en tant que reflet du construit que l’on cherche à mesurer (Prouteau et al., 2014). La mesure de l’IC des personnes cérébrolésées par le CIQ-R s’inscrit dans une dimension d’accompagnement et d’intégration telle que le préconise la Loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cet outil fournit une description brève des situations de handicap au quotidien en vue d’une orientation thérapeutique et d’une répartition des missions de travail dans le champ médico-social. L’utilisation du CIQ-R pourra permettre aux cliniciens et notamment aux ergothérapeutes, d’accompagner les

patients dans le maintien ou le développement de leur potentiel d’indépendance et d’autonomie personnelle, sociale et professionnelle avant une investigation plus approfondie des situations de handicap.