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Discussion des résultats

1. L ES SLOW POTENTIALS

1.1. Discussion des résultats

Comme cela a déjà été abordé dans la partie discussion du manuscrit, les slow poten-tials représentent un signal électrique spécifique des cellules β et dépendent du couplage in-tercellulaire de celles-ci via les jonctions communicantes. Il s’agit d’un signal multicellulaire assimilable aux potentiels de champs locaux générés par des populations neuronales. Les po-tentiels d’action résultent au contraire de l’activité unitaire des cellules endocrines, et peuvent être générés aussi bien par des cellules β que par les cellules α (ainsi que les δ, cette dernière population de cellule étant néanmoins trop peu représentée dans l’îlot pour être significative-ment enregistrée lors de nos expériences).

Tandis que les potentiels d’action sont des signaux bien connus de l’activité des cel-lules β, les slow potentials sont ici observés et caractérisés pour la première fois. Des oscilla-tions similaires avaient déjà été observées auparavant par Palti et al. (1996) mais n’avaient pas été caractérisées. Nous montrons ici que les slow potentials constituent un signal bien plus ample et robuste que les potentiels d’action, et sont donc détectés plus facilement. Ils sont générés en réponse au glucose et à des secrétagogues connus (tels que les sulfonylurées) pour des concentrations physiologiques de calcium extracellulaire, ce qui peut expliquer pourquoi ces signaux ne sont pas observés dans la plupart des études électrophysiologiques utilisant des concentrations calciques plus élevées. L’inefficacité d’une stimulation KCl à induire des slow potentials, qui sont stimulés par le glybenclamide, indique que la fermeture du canal KATP est nécessaire dans ce signal.

Les slow potentials reflètent le couplage fonctionnel des cellules β par les jonctions communicantes. Il a été montré que la connexine 36, sous-unité des jonctions communicantes

DISCUSSION GÉNÉRALE, PERSPECTIVES ET CONCLUSION

exprimée par la cellule β (Serre-Beinier et al. 2000, Moreno et al. 2005, Serre-Beinier et al.

2009), joue un rôle crucial dans la fonction des îlots de Langerhans, en synchronisant l’activité électrique, les oscillations calciques intracellulaires et les vagues calciques intercel-lulaires entre les cellules β au sein de l’îlot (Calabrese et al. 2001, Bosco et al. 2011, Perez-Armendariz 2013). En effet, plusieurs études ont montré que le couplage par la connexine 36 augmente considérablement la sécrétion d’insuline en synchronisant les cellules β au sein de l’îlot (Charollais et al. 2000, Le Gurun et al. 2003, Speier et al. 2007) et protège la cellule β contre l’apoptose (Klee et al. 2011). D’autre part, il a été montré que le couplage entre cel-lules β impliquant la connexine 36 est altéré chez la souris pré-diabétique (Carvalho et al.

2012), et la perte partielle (Wellershaus et al. 2008) ou totale (Ravier et al. 2005) de l’expression de la connexine 36 diminue fortement la sécrétion d’insuline. De plus, il apparait que l’expression de la connexine 36 change pendant la maturation des cellules β au cours du développement (Carvalho et al. 2009). Tous ces résultats indiquent que les slow potentials, qui dépendent du couplage par les connexines 36, constituent un excellent marqueur non seu-lement de la fonction normale des îlots, mais égaseu-lement de la maturation et de la survie cellu-laire des cellules β.

En outre, la sensibilité au glucose des slow potentials ainsi que leur suppression en présence de la nifédipine, un bloqueur des canaux calciques voltage-dépendants de type L nécessaires au déclenchement de l’exocytose des granules d’insuline, indiquent que les slow potentials sont liés de façon opérationnelle à la sécrétion d’insuline. De plus, les effets obser-vés du glucose ainsi que des hormones GLP-1 et adrénaline sur les fréquences des slow poten-tials au cours de cette étude sont en accord avec l’action connue de ces facteurs sur la sécré-tion d’insuline. Cette étude présente également l’applicasécré-tion de l’approche MEA à l’enregistrement des îlots humains, montrant que ceux-ci présentent des signaux électrophy-siologiques similaires à ceux générés par les îlots de souris, comprenant à la fois des poten-tiels d’action et des slow potentials, et ceci en dépit des différences d’expression des canaux ioniques existant entre les deux espèces. De plus, les signaux électriques générés par les îlots humains ont pu être enregistrés pendant 24 heures en continu, montrant une stabilité des slow potentials pendant toute la durée d’enregistrement.

Nos données montrent que la fréquence des slow potentials est finement corrélée aux concentrations ambiantes de glucose et de GLP-1, celui-ci ayant des effets à des concentra-tions picomolaires similaires aux niveaux circulants de l’hormone mesurés in vivo pendant la

LES SLOW POTENTIALS

période postprandiale. Les fréquences des slow potentials varient de façon instantanée aux changements ambiants de glucose et de GLP-1, démontrant que la fonction des cellules β peut être évaluée en temps réel et ne nécessite pas des durées aussi longues que celles utilisées pour la quantification des FOPP. Des études ont en effet présenté des calculs de FOPP néces-sitant une vingtaine de minutes (Pfeiffer et al. 2011). Cela est d’autant plus vrai dans les îlots humains dans lesquels l’activité en bouffées est moins marquée que chez les rongeurs. La demande en insuline serait donc encodée au niveau de l’îlot par la fréquence globale des slow potentials générés suite à l’intégration des multiples signaux nutritionnels et hormonaux.

Enfin, l’un des résultats les plus intéressants de cette étude est la différence d’effet du glucose sur les slow potentials pendant l’augmentation et la diminution progressives des con-centrations de glucose. Les dose-dépendances des fréquences des slow potentials se présen-tent en effet sous la forme d’une hystérèse, similaire à celle déjà retrouvée pour les taux circu-lants de peptide C mesurés chez l’Homme (Keenan et al. 2012). Cette réponse particulière reflète une grande réactivité des îlots lors d’une augmentation de glucose, et une diminution de la sensibilité des signaux spécifiquement β lors de la diminution du glucose, qui représente très probablement un mécanisme de protection contre l’hypoglycémie en prévenant une libé-ration continue d’insuline. Ce phénomène étant retrouvé dans les îlots isolés, ce mécanisme de protection est encodé au niveau même du micro-organe et fonctionne probablement indé-pendamment de régulations extérieures à l’îlot.

Ce travail a donc identifié les slow potentials comme un nouveau biomarqueur pour l’étude rapide et non-invasive d’îlots isolés. Ces « ondes de couplage » des cellules β consti-tuent un signal robuste qui ne nécessite pas de traitements complexes pour être analysés. Ils pourraient de plus être un marqueur approprié pour le contrôle-qualité d’îlots ou de cellules insulinosécrétrices avant transplantation, ou encore au suivi en temps réel de la différenciation de cellules souches. Les variations instantanées de la fréquence des slow potentials en réponse au glucose pourrait également permettre de grandement améliorer les algorithmes utilisés dans les appareils de suivi continu de la glycémie et ainsi permettre de fermer la boucle de contrôle dans le cadre d’un pancréas artificiel pour l’insulinothérapie.

Nous montrons également que les enregistrements extracellulaires de l’activité des îlots de Langerhans constituent une approche pertinente pour développer un capteur de la de-mande en insuline, puisqu’il est possible grâce aux MEAs de détecter des signaux aussi petits

DISCUSSION GÉNÉRALE, PERSPECTIVES ET CONCLUSION

que les potentiels d’action. Cette détection peut se faire en temps réel à l’aide d’un système microélectronique développé par nos collaborateurs (Bornat et al. 2010, Raoux et al. 2011, Quotb et al. 2012, Raoux et al. 2012, Nguyen et al. 2013). Et nous montrons ici qu’il est pos-sible, à l’aide d’algorithmes dédiés, de déterminer automatiquement à l’aveugle quels sont les niveaux de glucose ambiants à partir des paramètres calculés sur les potentiels d’action. Le fait que cette analyse soit possible avec les seuls potentiels d’action démontre la puissance de notre méthode d’évaluation de l’activité des îlots par MEA. En raison de la robustesse et de la sensibilité au glucose et aux hormones des slow potentials, leur intégration dans ce calcul augmentera encore l’efficacité de l’algorithme, qui sera appliqué dans le développement d’un capteur hybride bioélectronique pour la détermination de la demande en insuline.