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2.3. L’îlot de Langerhans : un micro-organe à part entière

2.3.3. Innervation

Parmi les multiples mécanismes régulant la libération hormonale des îlots, le cerveau, en tant qu’organe de contrôle central, intervient également en recrutant le système nerveux autonome. Cependant, les îlots ne sont pas pour autant entièrement contrôlés par le système nerveux autonome : ils sont considérés comme indépendants étant donné qu’ils sont équipés de la machinerie cellulaire nécessaire pour détecter les variations de la glycémie et y répondre de façon adéquate. Le système nerveux autonome exerce plutôt sur les îlots un contrôle adap-tatif, permettant d’ajuster leur réponse aux situations aigües de prise alimentaire ou de stress (Rodriguez-Diaz & Caicedo 2014).

La présence de fibres nerveuses non myélinisées fut observée en premier lieu par Paul Langerhans lui-même dans les pancréas de chat et de lapin lorsqu’il décrit les îlots en 1869. Il nota que ces fibres étaient connectées aux ganglions nerveux pancréatiques et formaient un réseau nerveux dense jointif aux îlots. Ces observations furent par la suite confirmées au dé-but des années 1900 par de nombreuses études de microscopie optique dans les îlots de plu-sieurs espèces, dont l’Homme (Ahrén 2000). La plupart des études ayant été conduites sur une espèce en particulier, et les méthodes variant entre les différentes études, il est difficile d’établir une comparaison de l’innervation insulaire entre les différentes espèces. Cependant, étant donné les différences inter-espèces existant dans l’anatomie des îlots, il est normal que leur innervation varie également (Rodriguez-Diaz & Caicedo 2014).

De récentes études ont apporté de nouvelles données sur les patrons d’innervation au sein des îlots chez la souris et chez l’Homme. Ainsi, Rodriguez-Diaz et al. (2011a) ont montré

LE PANCRÉAS ENDOCRINE

que chez la souris, les îlots sont densément innervés et les fibres nerveuses autonomes pénè-trent très clairement le parenchyme endocrine des îlots pour aller connecter les cellules endo-crines. Les axones parasympathiques connectent à la fois les cellules α et β, et les fibres sym-pathiques innervent plutôt les cellules α (Figure 6). En revanche, dans les îlots humains, il y a peu voire aucune innervation directe sur les cellules endocrines : les fibres sympathiques lon-gent les vaisseaux sanguins et y contactent les cellules musculaires lisses. Les axones para-sympathiques cholinergiques sont quant à eux très rares dans les îlots humains. Les auteurs en ont conclu que la régulation des îlots par le système nerveux autonome se fait donc probable-ment par des mécanismes différents chez la souris et chez l’Homme (Rodriguez-Diaz et al.

2011a, Rodriguez-Diaz & Caicedo 2014).

Cependant, une autre étude, utilisant la microscopie tridimensionnelle pour étudier l’innervation des îlots dans les préparations pancréatiques de souris rendues transparentes à l’aide de solutions spéciales, a remis en cause les précédentes observations de Rodriguez-Diaz et al. (2011a) en montrant que les fibres sympathiques dans les îlots de souris contactaient aussi bien les cellules α périphériques que les artérioles à l’intérieur de l’îlot, suggérant une action directe sur la sécrétion de glucagon tandis que les neurotransmetteurs seraient achemi-nés dans le cœur de cellules β des îlots par les vaisseaux sanguins innervés (Ahrén 2012, Chiu et al. 2012). Cela remet également en cause les différences inter-espèce avancées par l’étude de Rodriguez-Diaz et al. (2011a), qui restent donc à définir précisément en utilisant la même technique de microscopie confocale tridimensionnelle.

Malgré ces divergences de résultats concernant les études anatomiques, les études fonctionnelles s’accordent sur les rôles de chacune des branches du système nerveux auto-nome dans la régulation des îlots. L’activation du système parasympathique stimule la sécré-tion d’insuline et de glucagon, mais également de la somatostatine et du polypeptide pancréa-tique (la sécrétion de ce dernier étant souvent utilisée comme marqueur de l’activation para-sympathique des îlots). Le système parapara-sympathique joue un rôle durant la phase céphalique de la sécrétion d’insuline, qui a été déjà été abordée au cours du chapitre 1. Le système para-sympathique agit également comme un synchronisateur de l’activité des îlots au sein du pan-créas, afin d’assurer une sécrétion d’insuline pulsatile dans la circulation portale. Ce méca-nisme est assuré par les ganglions intrapancréatiques qui ont une activité oscillatoire.

INTRODUCTION

Figure 6 : Schéma de l’innervation de l’îlot par le système nerveux autonome.

Les nerfs sympathiques (en violet) partant du cerveau innervent le ganglion cœliaque (ou paravertébral);

les nerfs sympathiques post-ganglionnaires vont ensuite connecter les îlots et y innerver les cellules α mais pas les cellules β. Les nerfs parasympathiques (en bleu) passent du cerveau jusqu’aux ganglions intrapancréatiques par le nerf vague principalement; les nerfs parasympathiques postganglionnaires passent ensuite dans les îlots, où ils innervent les vaisseaux sanguins et les cellules α et β. Enfin les nerfs sensoriels (en noir) partent des îlots, passent par la racine dorsale de la moelle épinière pour connecter les neurones post-ganglionnaires qui rejoignent le système nerveux central; certains nerfs sensoriels pas-sent également par le nerf vague, ce qui n’est pas illustré sur ce schéma. Plusieurs centres cérébraux con-trôlent les nerfs autonomes dans un schéma complexe : l’aire ventro-médiane (AVM) de l’hypothalamus est importante pour le système sympathique, tandis que l’aire ventro-latérale (AVL) et le noyau paraven-triculaire (NPV) de l’hypothalamus, le noyau du tractus solitaire (NTS) et le noyau moteur dorsal (NMD) du nerf vague sont importants pour les nerfs parasympathiques. Les connections des nerfs sensoriels aussi bien au niveau central qu’au niveau insulaire restent à définir. D’après Ahrén (2012).

LE PANCRÉAS ENDOCRINE

L’activation du système sympathique a au contraire un effet inhibiteur sur la sécrétion d’insuline, et serait quant à elle impliquée dans l’adaptation de la réponse des îlots dans les situations de stress, que ce soit des stress métaboliques (hypoglycémie, neuroglucopénie) afin de ré-augmenter la glycémie, durant l’exercice et les situations de danger (réponse « fight-or-flight ») pour assurer le meilleur apport possible en glucose aux muscles alors sollicités, ou encore en cas d’hypovolémie, pour compenser la perte de liquide sanguin en augmentant sa pression osmotique par une hausse de sa concentration en glucose. Les îlots reçoivent égale-ment des afférences de nerfs sensoriels dont le rôle est loin d’être compris, mais qui régule-raient la libération des hormones pancréatiques et ainsi l’homéostasie glucidique (Ahrén 2000, Rodriguez-Diaz & Caicedo 2014).

Les afférences de chaque branche du système nerveux autonome agissent sur les îlots en relargant des neurotransmetteurs et des neuropeptides spécifiques à proximité des cellules endocrines. Ainsi, l’action du système nerveux parasympathique est médiée par son neuro-transmetteur principal qui est l’acétylcholine (ACh), ainsi que par le vasoactive intestinal po-lypeptide (VIP), le gastrin releasing peptide (GRP), le pituitary adelylate cyclase activating polypeptide (PACAP) et le cocaïn- amphetamine-regulated transcript (CART). Les effets de l’activation du système sympathique passent quant à eux par le relargage de noradrénaline (NA), de neuropeptide Y (NPY) et de galanine. Enfin, les neuropeptides sensoriels sont le calcitonin gene-related peptide (CGRP) et la substance P (Ahrén 2000, Ahrén 2006). Les îlots sont donc équipés de récepteurs spécifiques afin d’intégrer les informations transmises par le système nerveux. Cependant, certains de ces neurotransmetteurs et neuropeptides sont égale-ment produits par les cellules endocrines et utilisés comme des vecteurs de signalisation auto-crine ou paraauto-crine au sein de l’îlot, et peuvent donc interférer avec le mode nerveux de régula-tion, comme c’est le cas notamment de l’acétylcholine qui est sécrétée par les cellules α et agit sur les cellules β dans les îlots humains (Rodriguez-Diaz et al. 2011b) (cf. chapitre 5).

INTRODUCTION