• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 5. Article 1

6.5. Discussion

Les pratiques pédagogiques des enseignants LGB, c’est-à-dire : « ce qui se rapporte à ce que l’enseignant pense, dit ou ne dit pas, fait ou ne fait pas » (Masselot et Robert, 2007 : 70), eu égard à la diversité sexuelle paraissent étroitement tributaires de leurs choix en matière de gestion identitaire. En effet, s’ils sont plus susceptibles que les enseignants hétérosexuels de rapporter avoir des pratiques d’enseignement et d’intervention inclusives de la diversité sexuelle, ils sont également plus prompts qu’eux à identifier la crainte d’être intimidé par les élèves et celle d’être étiqueté comme LGB comme des entraves à la mise en branle de ces pratiques.

L’analyse de nos données laisse entendre qu’il puisse exister une marge entre la perception que rapportent avoir les enseignants LGB de leur rôle d’enseignant dans l’assurance d’un milieu scolaire sécuritaire et inclusif pour les jeunes de minorités sexuelles et les pratiques qu’ils disent être réellement en mesure d’implanter en classe. Ils semblent en effet au fait des attentes spécifiques dont ils font l’objet en raison de leur orientation sexuelle – probablement en partie parce qu’ils les partagent. Ils disent considérer la diversité sexuelle et l’homophobie comme des enjeux importants dans leur environnement scolaire et voir le rôle de l’enseignant comme central dans la démystification de ces questions, rôle qu’ils ne voient pas devoir être assumé par d’autres professionnels, voire par les parents d’élèves.

!

Les enseignants LGB paraissent donc partagés entre la responsabilité de contribuer à garantir un climat scolaire exempt d’homophobie et tolérant à l’égard de la diversité sexuelle pour les jeunes LGBQ et les pratiques qu’ils se sentent en sécurité et à l’aise d’entreprendre à cet effet. La ligne départageant ces pratiques désirées d’effectives n’est pas à la même place pour tous les enseignants et sa localisation semble tributaire non seulement de leurs expériences passées – plusieurs rapportant avoir vécu de la discrimination à l’école – mais aussi de leur sentiment d’aise dans le milieu présent. Pour certains, cette équation se départage aisément, et ils mobilisent même leur propre orientation sexuelle dans leurs interventions contre l’homophobie. D’autres préfèrent se tenir à l’écart de certaines pratiques par crainte des répercussions que pourrait avoir sur leur carrière la divulgation de leur homosexualité. Il s’agit en soi d’une contribution à la littérature, dans la mesure où les écrits scientifiques se sont surtout intéressés aux dimensions psychologiques des décisions d’enseignants liées à la visibilité de leur orientation sexuelle et à leurs impacts sur les élèves.

Quant aux discours des enseignants hétérosexuels sur la divulgation de l’orientation sexuelle de leurs collègues LGB, ils mobilisent deux arguments types : celui de la fausse équivalence et celui de l’auto-marginalisation (Peel, 2001). Les enseignants hétérosexuels adoptant l’argument de la fausse équivalence rapportent qu’ils ne mentionnent pas leur orientation sexuelle en classe et qu’entretenir des attentes différentes à l’égard d’un enseignant LGB convient à établir un double standard, voire à faire preuve de discrimination à son égard. Dans ce cas de figure, l’enseignant hétérosexuel présume de la similarité entre les expériences d’évocation de la vie privée des enseignants hétérosexuels et LGB. Plusieurs questionnent ainsi jusqu’à la nécessité pour un enseignant LGB de mentionner son orientation sexuelle alors que, sans spécifier dans les faits leur orientation sexuelle, ils réfèrent tous à leur conjoint ou à leur situation familiale. Un enseignant LGB désirant évoquer des réalités similaires ne le ferait pas sans d’emblée en soupeser attentivement les implications.

Les enseignants qui mettent de l’avant un argument de type auto-marginalisation partent plutôt de la prémisse selon laquelle les enseignants LGB qui désirent dévoiler leur orientation sexuelle accordent dans les faits trop d’importance à une caractéristique personnelle qui n’en a pas, ou qui relève uniquement du domaine privé parce qu’évoquant la sexualité. Selon eux, les enseignants LGB devraient aller de l’avant en évoquant leur partenaire de même sexe par son prénom, ou encore s’abstenir entièrement de faire référence à leur vie personnelle.

!

!

153

Les tenants de cet argument semblent considérer que la divulgation d’une orientation sexuelle minoritaire puisse se faire autrement que par le passage à un état d’hypervisibilité, qui selon Atkinson et DePalma (2006), suit nécessairement celui d’invisibilité. De même, aucun des enseignants hétérosexuels n’évoque, en quelques termes que ce soit, l’hétérosexisme ou la présomption d’hétérosexualité, qui oblige tout enseignant LGB à se positionner explicitement, soit en brisant le statu quo hétérosexiste par le dévoilement de son orientation sexuelle, soit en optant pour une dissimulation complexe et épuisante à maintenir. En ce que l’hétérosexualité constitue la norme par défaut, le bris de la présomption d’hétérosexualité passe nécessairement par le coming out, un état d’hypervisibilité par défaut associé à la sexualité et au militantisme, autant de choses inconciliables avec la neutralité attendue des enseignants (Balderrama, 2008). Le « juste milieu » que les enseignants hétérosexuels estiment mobiliser en matière d’évocation de la vie privée devant les élèves et pour lequel ils plaident pour les enseignants LGB n’est justement pas une option disponible pour ces derniers, en raison de l’existence même de cette présomption d’hétérosexualité. La gestion par les enseignants hétérosexuels de leur vie privée s’orchestre sur un registre majoritaire, selon lequel l’évocation de la vie privée ne constitue ni une menace potentielle, ni ne s’insère dans une réflexion particulière, en ce qu’elle représente un privilège attendu.

Au-delà de la question de l’orientation sexuelle, l’amalgame des subjectivités professionnelle et personnelle peut poser problème aux enseignants qui ne se conforment pas aux attentes à leur égard, qu’elles prennent pour cibles le genre (Haywood et Mac an Ghaill, 2013), l’adhésion aux normes de genre (Ferfolja, 2010) ou l’origine ethnoculturelle (Balderrama, 2008). Parce que les enseignants sont construits comme des pourvoyeurs de moralité, il est attendu d’eux qu’ils soient neutres et qu’ils se calquent autant que possible au modèle de l’enseignant type : femme, blanche, hétérosexuelle (Ferfolja, 2010). Les enseignants minoritaires, qui dérogent à ce modèle, doivent être vigilants quant à la manière dont ils peuvent être perçus, vigilance qui dilapide leurs énergies et empiète sur le temps accordé à la pédagogie ou à l’enseignement.

L’exemple des enseignants LGB est évocateur à cet égard. En effet, si l’orientation sexuelle est une donnée a priori aisément dissimulable, la moindre référence par un enseignant LGB à sa vie privée constitue autant un terrain miné qu’une manifestation de bravoure. Les enseignants qui optent pour la dissimulation font tout autant preuve d’agentivité (Ferfolja, 2010), dans la mesure où même cette absence d’action requiert la mise en place d’un système stratégique de non-dits, de mensonges et d’évaluation du danger. Ils sont ainsi appelés à négocier âprement jusqu’aux

!

détails de leur invisibilité, puisque l’exercice « adéquat » de la profession enseignante ne peut que difficilement être réconcilié avec la divulgation d’une orientation sexuelle minoritaire.