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CHAPITRE 4. Démarche méthodologique de la recherche

4.1 Considérations méthodologiques liminaires

Les sciences de l’éducation, et à plusieurs égards l’ergonomie et la didactique, ont documenté les défis méthodologiques inhérents à la documentation et à l’analyse des pratiques professionnelles enseignantes, des activités par définition singulières et ancrées dans le temps. Les partis pris méthodologiques variés concernent la part de subjectivité inscrite dans la pratique enseignante et peuvent être résumés par cette question : l’étude des pratiques enseignantes est-elle mieux servie par l’observation in situ de ces pratiques ou par l’interrogation directe des enseignants concernés ? En d’autres termes, la logique d’action d’un enseignant échappe-t-elle à toute fin utile à la compréhension que ce dernier peut en avoir (ce qui argumenterait en faveur d’une observation de l’extérieur) ou, au contraire, l’enseignant est-il le seul capable d’identifier et d’expliciter les choix motivant son agir professionnel ?

La singularité du cas qui nous concerne nous aide ici à trancher. Puisqu’il n’existe plus de séances formalisées d’éducation sexuelle, temporellement marquées et communes à toutes les écoles secondaires du Québec, il nous est impossible (ou à tout le moins, fort complexe) d’en faire de l’observation en classe pour saisir le mode de traitement par les enseignants. En effet, s’il était même possible de déterminer le cours où il prévaudrait d’en faire l’observation, nous ne parviendrions au final qu’à une étude de cas sélectif qui, bien que potentiellement informatrice,

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1 Le concept d’hétéronormativité réfère aux pratiques sociales, culturelles et institutionnelles contribuant à faire de l’hétérosexualité la norme, tant pour les hommes que pour les femmes. Le modèle hétéronormatif présuppose une conception rigide des rapports entre sexe, genre et désir et parraine à une mise en genre et à une mise en orientation sexuelle des individus. Ainsi, l’on attend des personnes dont le sexe biologique à la naissance est féminin qu’ils adoptent une expression de genre féminine, soient attirées vers des rôles sociaux traditionnellement réservés aux femmes, et développent un désir sexuel hétérosexuel, orienté vers les hommes. Dans ce contexte, la « normalité » est associée à une correspondance étroite entre ces trois dimensions, et les expressions du genre et de la sexualité qui s’en écartent sont tantôt ignorées, tantôt vues comme anormales et conséquemment stigmatisées – à différents degrés.

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89 ne nous éclairerait guère quant à la nature des enseignements en dépassant les limites immédiates. Nous avons ainsi opté pour une méthodologie double, conjuguant entrevues semi- structurées et enquête par questionnaire, toutes deux auprès d’enseignants du secondaire. Trois considérations méritent d’être nommées d’emblée.

D’abord, pour importants qu’ils soient, les discours des enseignants ne peuvent être considérés comme des représentations verbales rendant fidèlement compte de leurs pratiques. Il importe de garder en tête que ces discours n’incarnent au mieux que les pratiques professionnelles déclarées, au même titre que nous en remettre uniquement à l’examen des pratiques en classe ne nous permettrait que constater des pratiques observées dans certaines circonstances. Il s’agit tout au plus d’une performance ou d’une présentation de soi (l’entrevue ou le questionnaire d’enquête) portant sur une seconde performance ou présentation de soi (la pratique enseignante). Qui plus est, nous estimons à l’instar de Good et Brophy (1991) que les interactions au centre desquelles figure l’enseignant sont à ce point riches et complexes qu’elles ne permettent pas à ce dernier d’en prendre suffisamment conscience pour étudier ses propres attitudes et comportements. Selon le chercheur en sciences de l’éducation Marc Bru, tous ces constats « incline[nt] à la modestie du chercheur qui doit admettre un écart irréductible entre les pratiques enseignantes et l’intelligibilité ou la connaissance qu’il peut en avoir » (2002 : 67). Ensuite, limiter notre recherche à l’analyse des seules pratiques enseignantes ne signifie pas pour autant que nous croyons que l’entière relation d’apprentissage puisse s’appréhender par l’entremise du seul pôle que serait l’enseignant. Si nous investissons ce seul pôle, c’est que nous cherchons à mettre en évidence la multiplicité des pratiques professionnelles liées au sujet sensible de la diversité sexuelle, de même qu’à comprendre les défis, les tensions et les contradictions inhérentes à ces pratiques.

Troisièmement, la collecte de données auprès d’enseignants, de surcroît sur un sujet de nature sensible comme celui de la diversité sexuelle, prête le flanc à un travail de reconstruction des pratiques qui est susceptible de voir transparaître quelques biais et difficultés spécifiques. En effet, parce que le sujet mobilise les valeurs d’un individu (McKay, 1998), la recherche sur la diversité sexuelle revêt un caractère sensible susceptible d’affecter le processus de recherche dans son entièreté, depuis la formulation de la question de recherche jusqu’à la diffusion des résultats (Dean et al., 2000). Dans le cas qui nous intéresse, il faut s’attendre à ce que des biais

de représentation et de désirabilité sociale se soient fait sentir dans les deux volets de notre recherche.

Nous attendons d’abord un certain biais de représentation, lequel peut se manifester par une surreprésentation des enseignants particulièrement ouverts ou tolérants à l’égard de la diversité sexuelle – et donc plus susceptibles d’aborder le sujet en classe, et par conséquent, une sous- représentation des répondants qui présentent le profil inverse. On peut en effet présumer que la thématique de la diversité sexuelle ait pu contribuer à freiner la participation de certains enseignants, que ce soit en raison d’un désintérêt pour la question, de perceptions et d’attitudes négatives à l’égard de la diversité sexuelle, ou encore parce qu’ils estiment ne pas avoir d’expertise ou d’expérience spécifique sur le sujet. À l’inverse, les enseignants s’étant manifesté à nous sont plus susceptibles d’être déjà sensibilisés aux enjeux relatifs à la diversité sexuelle, en raison d’expériences professionnelles ou personnelles spécifiques, d’avoir reçu des formations sur ces réalités, d’avoir un certain niveau d’aise à l’endroit de la sexualité en général, ainsi que de s’identifier eux-mêmes comme non-hétérosexuels ou comme alliés. Or, tous ces facteurs sont susceptibles d’avoir un impact sur les attitudes et perceptions qu’ils entretiennent à l’égard de la diversité sexuelle (Herek et Glunt, 1993; Schwanberg, 1993) et donc, nécessairement, sur les observations qu’ils peuvent faire à ce sujet, de même que sur les pratiques pédagogiques qu’ils adoptent.

Un biais de désirabilité sociale est également à prendre en compte. Il n’est en effet pas improbable que les répondants aient façonné leurs réponses selon ce qu’ils croient que le chercheur souhaite entendre, selon leur perception de la rectitude politique ou des attentes liées à leur fonction ou à leur statut social. Également, questionnés sur les manières dont ils appréhendent différents sujets ou réalités en salle de classe, les participants ont pu sentir que la recherche visait à évaluer leur expertise, à questionner le bien-fondé de leurs pratiques, voire à les prendre en défaut. Cela est d’autant plus probable en entrevue, alors que nous demandions aux participants d’expliciter leurs propos, ou de les illustrer à partir d’exemples concrets.

Il est possible que ces limites se donnent à voir tant dans le cadre d’entrevues que lors de la complétion du questionnaire. Nous avons par conséquent développé notre méthodologie en accordant une grande importance à ces biais. Les sections suivantes font état des précautions mises en place pour minimiser leurs impacts, ainsi que maximiser leurs retombées.

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