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CHAPITRE 2. Cadres conceptuel et théorique

2.1. Cadre conceptuel

Notre cadre conceptuel ne peut faire l’économie des théories sur les normes de genre, telles que développées et réfléchies par les études féministes, les études de genre et les études gaies et lesbiennes. Leurs littératures respectives nous permettront de concevoir les mécanismes contribuant à hiérarchiser les orientations sexuelles, c’est-à-dire à ériger l’hétérosexualité en norme, en référent constant et absolu (hétéronormativité), et à inférioriser les autres orientations sexuelles (hétérosexisme). Ces réflexions nous amèneront à concevoir le genre et l’orientation sexuelle comme deux réalités distinctes, mais étroitement interreliées.

Nous sommes également redevables à la littérature sur la pratique enseignante, telle qu’elle a été développée par des pédagogues, didacticiens et sociologues de l’éducation. Les travaux sur la pratique enseignante nous permettront notamment de questionner les facteurs contraignants et facilitateurs auxquels les enseignants doivent faire face dans l’exercice de leurs fonctions, ainsi que la marge de manœuvre dont ils bénéficient ou pas. Nous terminerons sur notre propre définition de la pratique enseignante.

2.1.1. Hétérosexisme et hétéronormativité

Toute étude portant sur la représentation ou la gestion de la diversité sexuelle1 à l’école ne peut faire l’économie d’une réflexion plus large considérant les normes de genre (soit celles relatives à la masculinité et à la féminité) et leur régulation dans l’environnement scolaire. C’est pourquoi nos cadres théorique et conceptuel reprennent plusieurs éléments d’une approche structurelle de la mise en genre et de la mise en orientation sexuelle telles qu’opérées par l’école.

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1 Par souci de clarté, nous ferons parfois usage de l’expression « diversité sexuelle ». Nous entendons par là la diversité relative aux expressions de genre et aux orientations sexuelles.

Les concepts d’hétérosexisme et d’hétéronormativité nous outillent à penser les liens entre les mécanismes générateurs de normes d’orientation sexuelle et d’expression de genre, de même qu’à problématiser les processus qui en parrainent, tantôt la discrimination, tantôt la validation. Le concept d’hétérosexisme mise sur les aspects structurels, culturels et idéologiques d’un système qui croit en la supériorité de l’hétérosexualité, et qui conséquemment dénie, dénigre et stigmatise toutes les formes non hétérosexuelles de comportement, d’identité, de relation ou de communauté (Herek, 1998). La hiérarchisation des sexualités appuie donc sa légitimité et sa naturalité sur une conception binaire des sexes, et sur le rationalisme de l’existence d’une nécessaire complémentarité entre hommes et femmes (Bastien Charlebois, 2011). Borrillo le décrit en ces termes :

la croyance en la hiérarchie des sexualités, plaçant l’hétérosexualité au rang supérieur. Toutes les autres formes de sexualité apparaissent, dans le meilleur des cas, comme incomplètes, accidentelles et perverses, dans le pire, pathologiques, criminelles, immorales et destructrices de la civilisation. (…) l’hétérosexisme n’a nullement besoin de l’hostilité irrationnelle ou de la haine envers les « pédés », il lui suffit de justifier intellectuellement cette différence qui place l’homosexualité dans un rang inférieur (2000 : 84-85).

L’hétérosexisme peut prendre plusieurs visages. L’absence de représentations évoquant la diversité des orientations sexuelles et des identités de genre, ainsi que les représentations stéréotypées de ces réalités, qu’elles soient dans les manuels scolaires, à la télévision ou ailleurs, en constituent deux dimensions courantes. La présomption d’hétérosexualité, soit le fait de prendre pour acquise l’hétérosexualité de son interlocuteur (que ce soit lors de conversations quotidiennes ou dans les rapports avec des institutions), en est peut-être toutefois l’exemple le plus évocateur. En « [articulant] la promotion exclusive de l’hétérosexualité à l’exclusion quasi promue de l’homosexualité » (Tin, 2003: 208), il institue un principe de vision du monde social, lequel permet d’étendre sa portée à ses expressions personnelles, institutionnelles, matérielles et idéologiques. Les manifestations de discrédit, de discrimination ou de violence ciblant les personnes de minorités sexuelles sont dès lors à comprendre comme résultant de structures et de rapports sociaux dérogeant à ces principes organisateurs du monde social.

Né sous l’impulsion du poststructuralisme féministe et des théories queer (Warner, 1991), le concept d’hétéronormativité renvoie aux modalités de promotion de l’hétérosexualité comme modèle normatif de référence en matière de sexualité et de modes de vie. Selon le

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29 poststructuralisme, « le langage, la subjectivité, les institutions et les processus sociaux [permettent] de comprendre les relations de pouvoir existantes » (Weedon, 1987 : 40-41). Les tenants de cette approche considèrent que le langage est l’un des principaux outils par lesquels les personnes viennent à se constituer socialement. Ces dernières sont tout particulièrement sollicitées par les discours normatifs dominants, qui participent à la production et à la reproduction des relations de pouvoir.

Alimentée par les théories discursives lacaniennes et la matrice sexe-genre-désir de Butler (2005), l’hétéronormativité tire donc son origine de la nécessaire construction binaire du discours, selon laquelle les identités humaines doivent nécessairement se limiter aux binômes homme/femme, masculin/féminin, hétérosexuel/homosexuel. Le modèle hétéronormatif présuppose de l’existence d’une conception rigide des rapports entre sexe, genre et désir. Par exemple, comme l’illustre la figure suivante, on s’attend à ce que les personnes nées de sexe biologique féminin adoptent une expression de genre et des rôles sociaux traditionnellement accolés au féminin, et développent un désir amoureux ou sexuel hétérosexuel, orienté vers les hommes. On associe dans ce contexte la normalité (ou la « naturalité ») à une correspondance étroite entre ces dimensions, et les expressions du genre et de la sexualité qui s’en écartent sont tantôt ignorées2, tantôt considérées comme anormales et conséquemment stigmatisées – à différents degrés.

Figure 2.1. Conception hétéronormative des rapports entre sexe, genre, désir et conjugalité/parentalité

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2 C’est particulièrement le cas pour les personnes intersexuées, travesties, transgenres, transsexuelles ou encore s’identifiant comme « queer ».

L’intérêt du concept d’hétéronormativité réside dans sa suggestion que les attitudes et les comportements hostiles à l’homosexualité ne prennent pas tant forme sur la base d’une peur de l’homosexualité (comme le suggèrent plusieurs détracteurs du concept d’homophobie3), mais plutôt sur celle d’un constat de bris de l’ordre social hétéronormatif. Selon ces hétéronormes, le développement identitaire et social « normal » d’une personne doit s’élaborer de manière binomiale, complémentaire, par le biais de phases attendues, successives et irréversibles (mariage, grossesse, etc.) (Bourdieu, 1998 ; Eribon, 1999). En d’autres termes, la notion peut être comprise comme la manière dont les gestes, les discours et les interactions du quotidien concourent à construire des normes de cisgenrisme4 et d’hétérosexualité. En ce qu’elle pose comme central et naturel le rapport à la norme hétérosexuelle, l’hétéronormativité est à la fois omniprésente et « en grande partie invisible et insaisissable à la plupart des gens » (Walton, 2006 : 19).

Les concepts d’hétéronormativité et d’hétérosexisme sont complémentaires, puisqu’ils incarnent les deux faces d’une même réalité. Là où l’hétéronormativité réfère au processus d’imposition et de réitération constante de l’hétérosexualité comme norme sociale et culturelle, l’hétérosexisme assure la mise en marge des individus dont la sexualité ou l’expression de genre s’écartent de cette norme. Dans le contexte scolaire qui nous préoccupe, ce choix conceptuel nous permet d’appréhender le rapport entre individus présentant différentes orientations sexuelles (réelles ou présumées) ou expressions de genre, non comme l’unique fait d’interactions dyadiques ou de petits groupes, mais bien comme le résultat d’un système idéologique en soi, ce qui le positionne dans un registre plus collectif et sociologique que la notion d’homophobie5.

Également, ce cadre conceptuel nous permet de dépasser la seule considération homosexuelle. En effet, l’hétéronormativité et l’hétérosexisme prennent leurs assises sur des prémisses idéologiques de complétion de l’homme et de la femme et se déploient sur « une double

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3 Les limites du concept d’homophobie ont été amplement documentées (voir Adams, 1998). Le terme appelle à une interprétation erronée (« peur du semblable », issu de homo- pour « semblable » et –phobia pour « peur ») et sous- entend une crainte maladive (phobique) des personnes homosexuelles et de l’homosexualité. Selon Adams, le concept d’homophobie endosse une analyse pratiquement pathologique : “it locates the problem as one of fear, attitude, or prejudice, and points towards a person’s mental state as the core issue” (Adams, 1998: 388).

4 Le préfixe cis peut être accolé aux termes de sexe ou de genre « pour désigner les personnes qui décident de ne pas faire de transition de sexe ou de genre » (Baril, 2009 : 283-284). Nous interprétons ici cisgenrisme au sens où l’entend Enke (2012), comme référence aux personnes ne transgressant pas certaines conventions de genre.

5 Malgré les nombreuses critiques à l’effet que le concept d’homophobie limiterait l’appréhension de l’homonégativité à ses manifestations interindividuelles, voire directes, il convient de préciser que certains auteurs en préconisent un usage à portée plus sociologique. C’est notamment le cas de Welzer-Lang (2011), qui voit dans le concept une référence aux structures et aux manifestations d’hostilité visant à décourager l’adoption de comportements opposés aux rôles de genre socialement établis.

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31 injonction à la conjugalité et à la parentalité » (Tin, 2003 : 209). En ce qu’elles constituent une véritable police des genres, ces prémisses permettent de justifier idéologiquement la discrimination des gais et lesbiennes, certes, mais également celle de toutes les personnes qui ne ratifient pas le « contrat social hétérosexuel » (Wittig, 2001 : 78).

2.1.2. Regards sur la pratique enseignante

Les travaux de didactique et de sociologie de l’éducation analysant les pratiques enseignantes peuvent être appréhendés dans leur globalité en termes d’orientation sur des questions clés. De quel poids pèsent différentes contraintes sur l’exercice de la profession enseignante? Quelle marge de manœuvre possèdent les enseignants dans leur travail quotidien? Comment rendre compte des régularités et des variabilités dans les pratiques d’enseignants? Selon Robert et Rogalski (2002), les recherches sur les pratiques enseignantes s’inscrivent dans trois types d’épistémologies, selon les processus qu’elles cherchent à mettre en lumière.

D’une part, on cherche à comprendre les contraintes exercées par différents facteurs sur les enseignants, et ayant un impact sur ce qu’ils peuvent (ou ne peuvent pas) faire ou dire en salle de classe. Ces facteurs contraignants peuvent être de nature institutionnelle (par exemple, la nécessité d’arrimer leurs enseignements aux contenus prescrits par les programmes scolaires, la disponibilité de différents matériels et ressources, le type d’évaluation recommandé), sociale (par exemple, les normes sociales, les attentes entretenues par les élèves ou les parents d’élèves quant à l’enseignant) ou spécifique (c’est-à-dire en lien avec les personnalités propres aux enseignants et à leurs élèves, ou encore au contexte d’une situation d’enseignement donnée). Les exemples de ce type de travaux sont à foison. Les réflexions de Schön (1987) sur les habitudes liées à une profession, les études sur les obstacles à la professionnalisation du métier d’enseignant (Donahoe, 1993) ou encore sur le degré d’adhésion des enseignants aux finalités visées par le système éducatif (Durand, 1996; Carpentier-Roy & Pharand, 1992), pour ne nommer que ceux-ci, s’inscrivent tous à différents degrés dans cette discussion des aspects codifiés et formalisés de la profession enseignante.

La seconde de ces tendances questionne la marge de manœuvre dans leur action dont peuvent bénéficier les enseignants, ou que certains enseignants réussissent à se négocier. Plusieurs de ces études relèvent de la microsociologie, et vont tantôt interroger le rôle de l’intuition (Van Manen, 1990), tantôt celui de l’affectivité (Abraham, 1984) dans la modélisation de la profession enseignante. Sont documentés ici les aspects indéfinis et fluides de l’enseignement, qui ne font

pas l’objet de prescriptions et qui sont susceptibles de différer grandement d’un praticien à l’autre. Des recherches sur la part d’improvisation dans l’activité enseignante (Perrenoud, 1996), sur l’influence des caractéristiques personnelles de l’enseignant et de son vécu sur la manière dont il conçoit son rôle (Carter & Doyle, 1996) ou sur la marge de manœuvre dont il bénéficie dans l’interprétation ou l’implantation d’un nouveau curriculum scolaire (Lenoir, 2006) sont autant d’incarnations de cette seconde épistémè.

Une troisième orientation estime quant à elle que le mariage des tendances précédentes permet l’élaboration d’un regard plus complet, non seulement sur la nature de la pratique enseignante, mais également sur les conditions l’affectant. Il est bien ici question d’étudier les marges de manœuvre avec lesquelles travaillent les enseignants, mais surtout de contextualiser ce regard en le mettant en constant dialogue avec les limites et les contraintes imposées, mais également les affranchissements permis. Les travaux de Robert et Rogalski (2002) s’inscrivent notamment dans cette tendance qui conçoit les enseignants comme des professionnels, voire des artistes, dans l’exercice de leur métier, et permet de dégager la variabilité et les régularités des diverses pratiques enseignantes. Nous sommes d’avis qu’il s’agit là d’une approche particulièrement porteuse, dans la mesure où elle reconnaît l’expertise des professionnels de l’enseignement, tout en admettant qu’une certaine dimension de leur pratique échappe à leur compréhension immédiate – comme cela nous semble être le cas pour les professionnels de tout acabit.

2.1.3. La pratique enseignante : définir pour mieux comprendre

Nombre de travaux sur l’analyse et l’évaluation des pratiques effectives des enseignants et des dispositifs d’apprentissage accordent une grande importance aux limites méthodologiques inhérentes à l’évaluation de ces pratiques (Larose, Grenon, Bédard & Bourque, 2009), dissertent sur les nécessités d’en faire la minutieuse contextualisation interne et externe (Bru, 2002) ou de considérer les diverses composantes de l’activité enseignante (Robert & Rogalski, 2002). Pour pertinentes qu’elles soient, ces préoccupations relèguent au second plan l’exercice de définition de la « pratique enseignante », si bien qu’il ne semble pas en exister de définition univoque, mais plutôt une diversité de définitions empruntant à des champs théoriques distincts, et poursuivant des visées singulières.

Dans le compte-rendu d’un séminaire donné à l’Université Paris X Nanterre en 2002, Marguerite Altet entreprend le périlleux exercice de répertorier les postures épistémologiques informant les différentes conceptions des pratiques enseignantes. Trois points se dégagent de ce panorama

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33 de la recherche. D’abord, si les pratiques enseignantes désignent d’emblée et de façon évidente ce que font les enseignants dans la salle de classe, elles ne s’y limitent en aucun cas. La sphère d’action des enseignants dépasse de beaucoup le carcan immédiat de la classe, pour investir des domaines en amont et en aval de l’animation d’un cours : préparation du contenu du cours et des dispositifs d’enseignement, gestion de classe, évaluation, collaboration avec d’autres membres du corps enseignant ou du personnel scolaire, etc.

Ensuite, la majorité des définitions retiennent le paradoxe d’une pratique enseignante référant à la fois à sa singularité, c’est-à-dire aux compétences et aux manières de faire qui sont propres à un enseignant, et à son caractère collectif, référant aux dimensions partagées de ces pratiques, que ce soit entre membres d’une communauté de pratique ou d’une tradition pédagogique, ou encore entre acteurs d’un même contexte social. Selon Beillerot (1998) : « C’est la double dimension de la notion de pratique qui la rend précieuse : d’un côté, les gestes, les conduites, les langages ; de l’autre, à travers les règles, ce sont les objectifs, les stratégies, les idéologies qui sont invoqués » (non paginé).

Finalement, les travaux sur la pratique enseignante reconnaissent d’une même voix le caractère multidimensionnel de cette dernière, bien qu’ils n’évoquent pas toujours les mêmes dimensions. La recension d’Altet fait état d’au moins six dimensions :

• instrumentale (référant aux finalités poursuivies par la pratique),

• technique (en lien avec les compétences et le savoir-faire lié à la tâche), • relationnelle (évoquant les interactions inhérentes au métier),

• affective (sur les dynamiques en jeu relatives aux émotions et à la personnalité), • contextualisée (à propos des facteurs structuraux et organisationnels),

• temporelle (référant aux processus évolutifs en scène).

Nous retiendrons pour notre part les cinq composantes de la pratique enseignante proposées par Robert et Rogalski (2002), et développées dans le cadre de leurs travaux en didactique des mathématiques : institutionnelle, sociale, personnelle, médiative et cognitive. La composante

institutionnelle évoque les contraintes liées à la profession (par exemple les programmes et le

curriculum scolaires, les horaires et les périodes de temps allouées aux différents sujets, ou encore les ressources disponibles). Ainsi, pour citer un exemple simple en lien avec le cas qui nous occupe, le retrait des cours d’éducation à la sexualité du programme de formation de l’école secondaire québécoise n’est certainement pas étranger au fait que les informations sur la

diversité sexuelle soient évacuées de la majorité des enseignements formels qui y prennent place.

La composante sociale réfère à la grégarité de l’activité d’enseignement. L’enseignant doit interagir au quotidien avec ses élèves, avec ses collègues, avec des administrateurs et membres du personnel scolaire, et avec des parents d’élèves. À ce titre, il est appelé à gérer les attentes et les exigences d’autrui à son égard (et vice versa), ce qui peut être compliqué par la diversité des appartenances sociales de chacun. D’emblée, il semble que cette composante puisse se jouer de différentes manières auprès des enseignants, en lien avec la diversité sexuelle. En effet, nombre des appréhensions des enseignants à aborder des sujets relatifs à la diversité des orientations sexuelles et des expressions de genre, telles que les documentent des études antérieures dont nous ferons mention en revue de littérature, semblent mobilisées par cette composante sociale. Ainsi, questionnés quant aux raisons pour lesquelles ils n’évoquent pas la diversité sexuelle en classe, ou hésitent à le faire, les enseignants rapportent être freinés dans leurs élans par l’anticipation des réactions négatives, provenant tantôt de parents d’élèves, tantôt d’élèves voyant ces séances d’un mauvais œil, voire d’élèves eux-mêmes homosexuels ou bisexuels, mais mécontents du traitement réservé par leur enseignant à ce sujet. Par ailleurs, les enseignants sont également nombreux à souligner la primordialité du soutien que peuvent leur apporter des collègues et des membres de l’administration lorsqu’ils prennent de telles initiatives, convaincus de la nécessité que tous les membres du personnel scolaire parlent d’une même voix. Bref, il semble qu’à bien des égards, les pratiques enseignantes à l’égard de la diversité sexuelle sont influencées par la lecture que font les enseignants des diverses attentes véhiculées à leur égard.

La troisième composante de la pratique enseignante, telle que le soulignent Robert et Rogalski, est d’ordre personnel et correspond aux représentations sociales que l’enseignant entretient à l’égard de la tâche à accomplir. Par exemple, la manière dont plusieurs enseignants de français, par ailleurs soumis à des contraintes institutionnelles et sociales similaires, peuvent se représenter distinctement la littérature française est susceptible d’informer différemment leurs pratiques respectives. Dans le cas qui nous intéresse, la composante personnelle nous permet de saisir les représentations que se font les enseignants de la diversité sexuelle per se, de la légitimité de ce sujet en tant qu’apprentissage, mais également, plus globalement, de ce qui devrait ou ne devrait pas être enseigné à l’école secondaire.

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35 La composante médiative relève de l’organisation interpersonnelle du travail d’enseignement, c’est-à-dire aux modes d’interaction entre enseignant et élèves, ou uniquement entre élèves, qui sont prévus par l’enseignant avant la séance et conséquemment sollicités par ce dernier en classe. Les dimensions à considérer concernent à la fois le niveau de participation des élèves ou le type de rétroactions sollicitées, le type d’interaction le mieux adapté à différents contextes d’apprentissage (travail individuel, séances en petit groupe, présentations magistrales, etc.). Ces choix sont pondérés par les enseignants en fonction du temps alloué à un apprentissage donné, des dispositifs pédagogiques mis en place, ou encore de la composition de chacune de ses classes. Quant à la composante cognitive, elle réfère aux dispositifs pédagogiques sélectionnés par l’enseignant pour une séance donnée, afin de viser la meilleure adéquation possible entre les objectifs d’apprentissage de cette séance et les moyens pédagogiques mis de l’avant pour les atteindre. Ces moyens pédagogiques peuvent inclure des composantes médiatives (par exemple, le choix d’une présentation magistrale suivie d’une période de questions), mais ne s’y limitent pas, puisque l’enseignant peut également mobiliser une variété de ressources de soutien à l’enseignement et à l’apprentissage (par ex., guides pédagogiques, formations thématiques, coffrets d’intervention, manuels scolaires).

Parce qu’ils marient la didactique et l’ergonomie cognitive, les travaux de Robert et Rogalski voient une plus-value dans la distinction des composantes médiative et cognitive de la pratique enseignante. La nécessité d’une telle différenciation est toutefois moins évidente pour notre approche de la pratique enseignante en lien avec la diversité sexuelle. En effet, si la littérature suggère que la nature des pratiques des enseignants et des savoirs transmis à propos de la