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Une question pour trois enjeux de justice.

3. La discrimination par association.

La nécessité que le soutien domestique reste un choix est particulièrement capitale, en particulier pour l’égalité des chances des femmes qui sont plus discriminées à l’embauche et dans leur avancement professionnel. Comme je viens de le montrer, il n’est pas pertinent d’appliquer la notion de préférences individuelles pour refuser de reconnaitre les désavantages constitués par l’aide informelle. Ces inconvénients sont particulièrement prégnants si l’on en juge l’orientation du marché. Cependant, il faut tenir compte de la

226 BUSBY Nicole, A Right to Care ? Unpaid Work in European Employment Law, Oxford, Oxford

University Press, 2011, p.1. « La réconciliation entre le travail rémunéré et non rémunéré est sans doute le problème le plus urgent auquel est actuellement confrontés le droit du travail. La nécessité de développer des stratégies juridiques qui permettent aux individus de combiner les soins informels avec un emploi payé aux individus eux-mêmes, le bénéficiaire de leurs soins, les employeurs et les États. » (notre traduction libre).

fermeté de la sphère du travail rémunéré puisque nous savons que les employeurs ne sont ni très indulgents, ni très conciliants envers ceux de leurs employés qui sont également des travailleurs de la dépendance. En raison de la nature du travail de la dépendance, de sa spécificité puisqu’il s’adresse à des personnes en incapacité, les proches qui les soutiennent vivent des situations qui invitent à considérer la mise en place de mesures d’accès à l’emploi dépendant d’une logique de justice corrective.

Il m’a semblé pertinent de clore ce chapitre avec un cas empirique véridique qui illustre les difficultés vécues par les aidants dans la sphère professionnelle. Cette situation est celle de Sharon Coleman avec son employeur Steve Law du cabinet d’avocat Attridge

Law227. L’affaire Coleman vs Attridge Law and Steve Law, 2008 concerne un recours jurisprudentiel devant la Cour Européenne de Justice. Il s’agit d’un jugement où la défenderesse est une salariée qui a fait l’expérience d’un licenciement déguisé après qu’elle a donné naissance à un enfant handicapé et réclamant des soins constants. L’intérêt de ce cas légal est qu’il constitue une avancée significative pour la reconnaissance de la vulnérabilité spécifique des aidants. Il éclaire un des aspects des soins informels qui réside dans l’idée selon laquelle les institutions publiques et le marché de l’emploi sont les premiers vecteurs de l’oppression qui conduit à ce que cette fonction s’incarne dans une dépendance secondaire. Plus fondamentalement, il met en exergue la nécessité que la reconnaissance des aidants informels s’inscrive dans l’approche sociale du handicap. En effet, les travailleurs de la dépendance subissent les discriminations et formes de rejet et dénigrement dont sont victimes les personnes dont ils ont la charge.

3.1. L’affaire Coleman.

En janvier 2001, Sharon Coleman fut embauchée en tant que secrétaire juridique dans un cabinet d’avocat en Grande Bretagne. Elle démissionna de ce poste en 2004 en raison du harcèlement et de la discrimination dont elle fut la victime par son employeur. Aidante informelle principale de son fils Olivier, né en 2002, soit un an après son embauche, Sharon Coleman tenta de se maintenir à son emploi malgré sa responsabilité familiale bien au-dessus des charges normales. Son fils, Olivier réclamait des soins constants et une assistance de tous les instants en raison d’un sévère handicap lié à une maladie congénitale affectant son larynx et ses bronches et provoquant des attaques apnéiques. En 2002, à la fin de son congé de maternité, la salariée Coleman revint à son emploi. Une première surprise fut que, contrairement à la loi en vigueur, son employeur,

Attridge Law exclut de la réintégrer à son ancien poste. Pareillement, Steve Law qui

représentait ce cabinet juridique refusa de lui accorder un horaire de travail aménagé. Dès lors, Sharon Coleman fut également le sujet de propos malvenus et répétés dans le temps. Steve Law proféra ces commentaires particulièrement offensants tant à son encontre qu’à celui de son fils. Ces remarques réitérées la conduisirent à devoir démissionner de son poste. Considérant avoir été victime d’un licenciement implicite, Sharon Coleman n’en resta pas là. Elle pouvait attester de la véracité des faits, assez nombreux. De ce fait, elle déposa un recours devant the Employement Tribunal de Londres. Le jugement fut rendu en aout 2005.

La notion de justice corrective connaît toujours de nombreuses critiques parce que les demandes peuvent être rendues caduques en raison de leur dimension profondément subjective. Premièrement, on peut se demander qu’elle serait le fondement même de la compensation apportée pour le préjudice, car celui-ci est vécu en relation avec celui d’une tierce partie (dans notre cas, l’enfant de Sharon Coleman). Ensuite, il est toujours possible de mettre en doute le caractère indirect de la cause de la discrimination jugée comme telle parce qu’elle n’est pas liée à la personne qui en est victime. Dans le cas de Sharon

Coleman, le préjudice subi est direct, car Madame Coleman est bien dans une « situation de handicap » du fait de l’aide qu’elle apporte à son fils. Cependant, elle n’est pas elle-même la personne directement affectée par la déficience, ce qui est problématique pour fonder un argumentaire juridique permettant de défendre une discrimination pour handicap. Pour sa défense, Sharon Coleman donna l’argument selon lequel, son patron eut envers elle un traitement moins favorable qu'avec les autres employés qui, eux n’avaient pas à leur charge un enfant handicapé. On voit bien que c’est la présence de son fils qui vit avec une déficience qui est l’élément discriminant. Les faits sont là : Sharon Coleman attesta que, par exemple, lorsqu’elle arrivait en retard en raison d’une difficulté de dernière minute relative à sa vie parentale, elle subissait des remarques désobligeantes de la part de son employeur. Or Steve Law ne faisait jamais des commentaires semblables à ses autres collèges quand ceux-ci étaient retardataires à cause d’une situation reliée à leur parentalité d’un enfant qui lui n’était pas handicapé. Il fut clair, pour Sharon Coleman, que les quolibets et insultes dont elle était la victime directe eurent pour source sa maternité particulière et « hors- norme ». Par exemple, dès qu’elle demandait un temps libre pour s’occuper de son fils, elle était traitée de « paresseuse » tandis que ses collègues parents d’enfants non handicapés pouvaient formuler une demande similaire sans se voir affubler d’un tel adjectif dépréciatif. De même, son employeur refusait ses requêtes pour un aménagement d’horaire en arguant que sa vie parentale se déroulait dans les mêmes conditions que celles des autres salariés parents d’enfants non handicapés. On voit bien que la cause de la discrimination est niée, cette invisibilité est une des manières de procéder de l’oppresseur (qui tourne aussi en ridicule sa victime et l’amène à douter de son vécu). Sharon Coleman prétendit devant les juridictions où son recours fut présenté qu’elle avait été contrainte de démissionner en raison de ces faits constitutifs d’un harcèlement en emploi et d’une discrimination par association.

Lorsque le 4 mars 2005, Sharon Coleman démissionna de son poste, elle tenta de faire reconnaître la discrimination dont elle avait été victime par Steve Law, elle utilisa le