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IV) 1945-1946 : reconstruire et relancer l’entreprise

1) Des dirigeants qui restent en place

Les dirigeants de la Compagnie des Hauts-Fourneaux de Chasse-sur-Rhône et ceux de leur usine principale restent tous en place à la Libération. Il s’agit du président – Pierre Cholat –, de son frère Lucien et des autres administrateurs, Guillaume Martouret, Robert Tremeau et Léon Marrel. De même, les dirigeants de l’usine

1 BERGER Françoise, La France, l’Allemagne et l’acier, op. cit., page 516. LUIRARD Monique, La région stéphanoise …, op. cit., p. 585, p. 597

2 LACROIX-RIZ Annie, Industriels et banquiers…, op. cit., p. 147-148.

3 MIOCHE Philippe, « Aux origines du Plan Monnet : les discours et les contenus dans les premiers plans français (1941-1947) », Revue historique, n° 538, avril-juin 1981, p. 405-438, p. 418.

4 MARGAIRAZ Michel, L’État, les finances et l’économie, op. cit., p. 769-806.

5 FREYSSENET Michel et de OMNES Catherine, La crise de la sidérurgie française, Paris, Hatier, coll. Profil, 1982, 84 p., p. 25 sqq.

6 BERGER Françoise, La France, l’Allemagne et l’acier, op. cit., p. 720-722.

67 demeurent à leurs postes : ce sont le directeur Jean Demoule, l’ingénieur principal François Tavernier et le secrétaire général Paul Goisset. Tous ces dirigeants sont encore là au début de l’année 19481. Donc aux HFC, on peut conclure avec Hervé Joly que la guerre n’a pas été l’occasion d’un renouvellement du patronat, ni même des dirigeants de l’usine2.

Or on peut dire aussi que l’épuration économique aurait pu concerner les HFC et provoquer un renouvellement de leurs dirigeants. L’usine a en effet fourni des matières premières stratégiques pour la sidérurgie, et même des pièces aux aciéries de la région qui fabriquaient du matériel de guerre pour les Allemands : les dirigeants de Chasse ont collaboré à l’effort de guerre de l’Occupant3. Ils ont même cherché à relancer leur production dès l’été 1942 en allumant un second haut-fourneau, avant même que la zone libre ne soit occupée : ils ne peuvent donc pas invoquer comme d’autres dirigeants des contraintes exercées par les Allemands4. Ils n’ont cependant pas été inquiétés pour cela à la fin de la guerre : aucune trace de poursuite concernant les Cholat ou les autres dirigeants des HFC n’a été découverte aux archives départementales de l’Isère5, ni non plus dans les documents de l’usine6. Dans ce cas précis, la thèse d’un patronat épargné par l’épuration semble donc confortée.

Néanmoins, en élargissant les recherches vers les Aciéries de Saint-Étienne dont la famille Cholat fournit une partie des dirigeants, un tout autre constat peut être fait : en effet, « le choix de l’échelle n’est [pas] neutre » et « la nature même des réalités dégagées par l’analyse en dépend »7. Ainsi, même si les recherches menées sont

1 ADI, 56J12.

2 JOLY Hervé, « Un grand patronat français peu renouvelé à la Libération », op. cit..

3 Les Aciéries Marrel ont fabriqué des tôles de blindage pour char ou du matériel blindé pour casemates côtières. Or les Hauts-fourneaux de Chasse les ont notamment fournis en pièces de lingotière comme le prouve une déclaration de transport en date du 18 février 1944 : ADR, 394W721, dossiers des affaires closes par une ordonnance de non-lieu.

4 Les contraintes liées à l’Occupant sont indiquées dans les conclusions du comité de confiscation des profits illicites dans sa lettre du 6 décembre 1945 concernant l’affaire Marrel : ADR, 394W721. Ce sont les conclusions plus générales de Françoise Berger à propos de l’attitude des dirigeants français de la sidérurgie qui ne pouvaient faire autrement selon elle : dans BERGER Françoise, La France, l’Allemagne et l’acier, op. cit., p. 665.

5 Les sources consultées sont 20U : cour de justice de Grenoble. 21U : chambres civiques de l’Isère, de la Drôme et des Hautes-Alpes.

6 ADI, 56J12.

7 DELACROIX Christian, « Échelle », dans DELACROIX Christian, DOSSE François, GARCIA Patrick, OFFENSTADT Nicolas (dir.), Historiographie, concepts et débats, tome 2, op. cit., p. 727.

68 nécessairement limitées1, il est possible de dire que grâce à d’autres sources liées à l’histoire des Aciéries de Saint-Étienne : « une Épuration patronale a bien provisoirement existée »2. Les archives de l’entreprise indiquent lors d’un conseil d’administration du 8 décembre 1944 qu’elle est citée à comparaître devant le comité départemental de confiscation des profits illicites depuis le 1er septembre 1939, en même temps que « diverses sociétés sidérurgiques et minières » de la région3. Toutefois, en janvier 1945, la loi ne demande plus que le dépôt d’un mémoire4, avant qu’à l’automne 1945 la commission n’indique s’intéresser aux prix pratiqués qu’à partir de janvier 19445. Mais si la commission semble abaisser ses exigences, en février 1945, la cour de justice de Saint-Étienne enquête sur les commandes allemandes de différentes entreprises sidérurgiques de la région, dont les aciéries dirigées par Pierre Cholat6. Un expert comptable est ensuite nommé par le « tribunal sur les commandes allemandes », tandis que la « commission des prix de Paris » mène son enquête7 : ce sont donc au moins deux institutions différentes qui vérifient les activités des dirigeants de l’entreprise pendant la guerre : le comité départemental des profits illicites avec une commission parisienne d’une part et la cour de justice de Saint-Étienne dépendant de la cour d’appel de Lyon d’autre part. Une lettre du procureur général de la cour de Lyon en date du 2 juillet confirme l’existence des poursuites indiquées dans les documents de l’entreprise, Saunier étant l’expert chargé des Aciéries de Saint-Étienne8. Plusieurs mois s’écoulent ensuite avant qu’un mémoire additionnel concernant les litiges ne soit remis en mars 19469. Les affaires vont alors trainer plusieurs années : la chambre économique de Saint-Étienne prononce un acquittement le 19 décembre 1946 qui est confirmé par un jugement en appel le 27 juin 194710. Ensuite, la chambre économique prononce le 31 juillet 1947 une mainlevée de la saisie de 10 000 000 de francs effectuée au moment de

1 On peut néanmoins citer aux ADR, 3942W : comité de confiscation des profits illicites (1944-1946). 394W : juridictions d’exception à la Libération dans le ressort de la cour d’appel de Lyon. Rhône, Ain, Loire. 1944-années 1970. 668W : cabinet du préfet du Rhône. 283W : archives du Commissariat général de la République à la Libération. Aux ADL : 2W340, comité départemental de confiscation des profits illicites et 85W 137-140, entreprises mises sous séquestre de leurs biens pour collaboration ou profits illicites (1944-1947).

2 JOLY Hervé, « L'Épuration patronale a bien (provisoirement) existé … », op. cit. 3 ADL, 117J8, conseil d’administration du 8 décembre 1944.

4 Ibidem, conseil d’administration du 11 janvier 1945. 5 Ibidem, conseil d’administration du 5 septembre 1945.

6 ADR, 394W611, lettre adressée au Commissaire du gouvernement Faivre en date du 17 février. 7 ADL, 117J8, conseil d’administration du 15 juin 1945.

8 ADR, 394W611, lettre du Procureur général Damour. 9 ADL, 117J8, conseil d’administration du 29 mars 1947. 10 ADL, 117J8, conseil d’administration du 8 septembre 1947.

69 la Libération, mais prononce aussi une amende de 500 000 francs : les dirigeants des Aciéries décident alors de faire appel1. Le comité de confiscation des profits illicites fait de son côté une demande d’hypothèque et un pourvoi est déposé devant la commission supérieure de confiscation des profits illicite le 15 avril 19482. Cette commission rejette le pourvoi et renvoi le dossier au comité local, ce dernier reconnaissant que la question posée peut être modifiée par décision de la cour d’appel : il est alors décidé de payer 1 000 000 de francs pour éviter une menace de saisie3. Même si ce n’est pas négligeable, on est certes loin des mesures prises par exemple contre Berliet en 1945 : les profits illicites de ce dernier étant estimés à plus de 106 753 000 francs, l’amende à payer est de 37 000 000, si bien que le total des confiscations s’élève à 143 753 000 francs4.

Nous perdons ensuite la trace des litiges qui concernent les Aciéries de Saint-Étienne. Néanmoins, quelques qu’en soient leurs résultats, les Aciéries ont du verser à plusieurs reprises des sommes d’argent pour profits illicites, mais sans que leurs dirigeants ne soient condamnés : on voit bien avec cet exemple que nombre de patrons ont été impliqués « d’une manière ou d’une autre dans l’épuration »5. On voit aussi que l’importance relative des sanctions financières prononcées contraste avec l’absence des poursuites visant les dirigeants : faut-il alors conclure à l’indulgence des juges vis-à-vis des « gros » ?

Hervé Joly aborde la difficulté qu’il y a eu à juger le patronat à l’issue de la guerre. La faiblesse de l’accusation peut être responsable, de même que l’importance des moyens mobilisés par la défense6. Bien souvent, les dirigeants se cachent aussi derrière les injonctions de Vichy ou de l’Occupant sans qu’il soit toujours facile de démêler le vrai du faux7. Ainsi si la collaboration économique a été « la collaboration la plus importante et la plus répandue »8 ; l’épuration économique a été « polymorphe » :

1 Ibidem.

2 ADL, 117J8, conseil d’administration du 25 mai 1948. 3 ADL, 117J8, conseil d’administration du 14 janvier 1949.

4 ADR, 3942W342, transmission au trésorier payeur des sommes à recouvrer.

5 JOLY Hervé, « L'Épuration patronale a bien (provisoirement) existé… », op. cit. , p. 312. 6 Ibidem ; p. 325-326.

7 JOLY Hervé, « L'Épuration patronale a bien (provisoirement) existé… », op. cit. , p. 325-326. LUIRARD Monique, La région stéphanoise …, op. cit., p. 591.

8 ROUSSO Henry, « L’Épuration en France, une histoire inachevée », XXe siècle, revue d’histoire, n° 33, janvier-mars 1992, pages 78-105, p.99.

70 il y eut « des épurations économiques »1. Les Cholat se sont relativement bien sortis de cette épreuve si on les compare à un Berliet ou à un Renault, mais cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas été inquiétés pour autant.

Mais si juger les patrons n’a pas été simple, cela ne vient-il pas aussi de la difficulté de juger leur comportement ? C’est ce que pense Françoise Berger : elle souligne le problème des sources insuffisantes pour définir l’attitude du patronat français de la sidérurgie2. Définir ici cette attitude est certes impossible, car cela va très au-delà de notre sujet ; en revanche, on peut esquisser un certain nombre de caractères à partir de l’exemple des dirigeants des Hauts-Fourneaux de Chasse pendant la guerre et en particulier sur Pierre Cholat.

Tout d’abord, la Libération est particulièrement appréhendée par eux. Elle les inquiète. Elle est un moment révélateur, comme on peut le voir dans les mesures prises lors d’un conseil d’administration des Aciéries de Saint-Étienne en date du 9 juin, trois jours seulement après le débarquement et dont le texte mérite d’être cité3 :

« Monsieur le président fait connaître au Conseil que Monsieur L[ucien] Cholat, Ingénieur en chef, lui a exprimé le désir de connaître la situation qui lui serait faite dans le cas où il serait amené à cesser ses fonctions d’ingénieur en chef, pour quelque cause que ce soit. Monsieur le président demande au Conseil d’examiner quelles assurances pourront lui être données à ce sujet.

Après examen de la situation, le Conseil décide de garantir à Monsieur L. Cholat, Ingénieur en chef, l’application d’un régime correspondant à celui qui avait été admis en faveur de Monsieur Henri Harmet [prédécesseur de Lucien Cholat ] au moment où celui-ci avait quitté ses fonctions d’ingénieur en chef et éventuellement avec réversibilité en faveur de sa veuve.

Monsieur de Castelnau [administrateur des Aciéries] fait remarquer que la même question peut se poser en ce qui concerne Monsieur P[ierre] Cholat, Directeur général et Monsieur Grellet de la Deyte [administrateur des Aciéries et beau-frère de Pierre et Lucien], adjoint à la Direction générale.

Le Conseil considère que la longue carrière de ces directeurs au service de la Compagnie confère à chacun d’eux des droits analogues à ceux qui viennent d’être fixés pour ceux de Monsieur l’ingénieur en chef ».

1 BERGÈRE Marc, « Introduction pour une épuration économique a géométrie variable », dans BERGÈRE Marc (dir.), L’épuration économique en France à la Libération, Presses Universitaires de

Rennes, 2008, 344 p., p., 11-16.

2 BERGER Françoise, La France, l’Allemagne et l’acier, op. cit., p. 665.

71 Le conseil d’administration est levé à la suite de cette décision qui est censée protéger financièrement, à vie, certains dirigeants des Aciéries, pour « quelque cause que ce soit » de leur départ. Le contexte – trois jours après le débarquement – , la soudaineté de la demande, son côté théâtral donnant l’impression d’une mise en scène, la non limitation des « causes » ; beaucoup d’éléments rendent suspecte cette décision qui révèle de la crainte face à l’avenir, voire de la culpabilité. On peut d’ailleurs se demander pourquoi une décision semblable n’a pas été prise aux HFC : cela ne correspond-il pas alors à une juste évaluation des risques qui concernent davantage l’entreprise stéphanoise – qui fabrique du matériel – que l’entreprise de l’Isère qui ne produit principalement que des matières premières ? Il y a aussi les fonctions que la famille occupe dans les institutions patronales de la Loire et non dans celles de l’Isère. D’ailleurs, Pierre Cholat démissionne de celles de vice-président de l’ASMPL le 22 septembre 19441, il avait été élu à ce poste le 8 février 19392 : la région vient juste d’être libérée. Or il est également le président du Comité des Forges de la Loire lors de l’entrée en guerre et il demeure président lorsque cette institution devient la chambre syndicale des Aciéries et Hauts-Fourneaux du bassin de la Loire en mai 19413. Cette démission rompt, elle aussi, abruptement, avec la période précédente d’engagement constant dans des institutions patronales ; elle s’effectue également dans le contexte particulier de la Libération et alors que d’autres dirigeants démissionnent, donnant l’impression d’une fuite4.

Toutefois, un comportement peut-être davantage révélateur d’états d’âmes que d’actes réellement commis : les craintes des Cholat n’impliquent pas forcément leur culpabilité, mais elles peuvent plutôt s’expliquer par la peur de représailles. En effet, la démission apparemment calculée de Pierre comme la tentative de protection de leurs revenus provenant des Aciéries anticipent des changements politiques évidents, mais dont ils ne connaissent pas encore la nature. De plus, tout dans l’histoire de la famille signale leurs sentiments et engagements nationalistes5, ce qui est en contradiction

1 ADR, 34J222, conseil de direction de l’ASMPL du 22 septembre 1944. 2 Ibidem, ASMPL, réunion du 8 février 1939.

3 Ibidem, Comité des Forges de la Loire, réunion du 30 mai 1941.

4 Xavier Vigna parle de « fuite » dans VIGNA Xavier, Histoire des ouvriers en France au XXe siècle, Perrin, Paris, 2012, 405 p., p. 161. Philippe Mioche minimise ce sentiment de panique qui a selon lui été « trop amplifié » dans MIOCHE Philippe, La sidérurgie et l’État en France des années 1940…, op. cit.,

p. 551.

5 Ces sentiments sont d’ailleurs assez largement partagés par les autres sidérurgistes sans que cela ne fasse de la plupart d’entre eux des résistants ou des collaborateurs d’après MIOCHE Philippe, La

72 apparente avec une quelconque collaboration économique pour des raisons politiques : Pierre et Lucien Cholat sont détenteurs de la Légion d’honneur1, leur père est officier de la légion d’honneur2, leurs entreprises contribuent à fabriquer des armements pour la France : des blindages pour croiseurs et cuirassés (dont par exemple le Dunkerque et le Jean Bart), des canons, des obus ; et cela pour la Première comme pour la Seconde guerre mondiale3. D’ailleurs, l’une de leur première décision à la Libération est de produire des armes pour l’armée française4. À cela, des actes réels de résistance5 peuvent peut-être s’ajouter : ils auraient permis à Pierre Cholat de recevoir la médaille de la « France debout » pour « services rendus dans la clandestinité »6. Malheureusement, le document n’est pas plus précis sur la nature des « services », mais une telle médaille semble bien avoir été fabriquée pour le bijoutier lyonnais Augis7 afin de récompenser ceux qui ont participé au camouflage du matériel.

Les Cholat ont-ils alors collaboré et résisté ? Faut-il les classer dans la catégorie des « vichysto-résistants » au sens où l’emploie Johanna Barasz, c’est-à-dire « des hommes dont l’expérience vichyste marque, d’un point de vue idéologique, organisationnel, stratégique et/ou relationnel, les formes de leur résistance »8 ? On peut sans doute l’affirmer en partie si on considère notamment l’engagement de la famille dans les institutions patronales pendant la période. Mais ne peut-on pas dire aussi qu’il faut chercher ailleurs que dans des calculs politiques pour saisir toute l’attitude des Cholat pendant la guerre ? Monique Luirard9 a dit combien certains patrons pouvaient rechercher les commandes allemandes et les profits : leur motivation est donc financière. Il est donc intéressant de creuser cette piste pour saisir d’autres sources de motivation, elles plus économiques et/ou rémunératrices. Par exemple, on sait que l’argument utilisé pour justifier la marche à deux hauts-fourneaux était que la marche à

1 Source pour Pierre Cholat, Journal officiel du 22 septembre 1921, p. 10 877 ; et pour Lucien, Journal officiel du 21 octobre 1933, p. 10 788.

2 Base Léonore http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/leonore_fr. 3 ADL, 117J6, 117J7, 117J8.

4 ADL, 117J8, conseil d’administration du 26 octobre 1944.

5 On rappellera également le parcours de Paul Laurent-Devalors évoqué plus haut, à la fois maire nommé par Vichy, cadre des HFC et détenu incarcéré à Montluc par les autorités nazies à la fin de l’Occupation pour ses activités « anti-allemandes ».

6 ADL, 117J8, conseil d’administration du 4 juin 1946.

7 MERLIN Jacques, « Le service secret du camouflage du matériel (CDM) », bulletin de l’association

Symboles et Traditions, 132, p. 7-11, http://www.symboles-et-traditions.fr/articlesmembres/merlin/cdm/pagecamouflage.htm, [dernière consultation le 8 décembre 2017].

8 BARASZ Johanna, « De Vichy à la Résistance : les vichysto-résistants 1940-1944», Guerres mondiales et conflits contemporains, 2011/2, n° 242, p. 27-50.

73 un seul haut-fourneau « conduisait à un équilibre industriel insuffisant »1. Or d’autres décisions importantes ont eu comme origine la recherche ou le maintien des profits et/ou la stratégie de développement de l’entreprise en tenant compte de la concurrence : à Chasse on installe un atelier de compression de gaz des fours à coke en 1941 dont les ventes pour les transports se développent dès l’année suivante2. De plus, à propos de la Compagnie des Fonderies, Forges et Aciéries de Saint-Étienne, Philippe Mioche indique l’installation d’un nouveau four électrique de dix tonnes au lendemain de l’armistice : « il [Pierre Cholat] a fait activer les travaux afin – de son propre aveu – de mettre la Direction de l’armement "devant le fait accompli" »3. On peut d’autant plus comprendre les dirigeants des Aciéries de Saint-Étienne que la décision de construire ce four a été prise en 1938, que le coût total aurait du être environ de quinze millions pour le ministère de la guerre, plus deux à trois millions à charge pour la Compagnie, que le contrat est passé au printemps 1939 et les travaux ne sont pas achevés au moment de la défaite 4. Or le contrat a été résilié par lettre du 24 juillet 1940 par la direction de la sidérurgie, la « commission Daum » avait donné un avis défavorable5 – il faut rappeler que Léon Daum est alors aussi administrateur des hauts-fourneaux de Givors, directeur général de la Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine, vice-président du Comité d’organisation de la sidérurgie – et que ce n’est que par un accord du dix mai 1942 que l’installation pourra reprendre, les Aciéries empruntant pour compenser la perte des investissement de l’État et les Hauts-Fourneaux de Chasse devant se porter caution6

. Or en 1937, les dirigeants des Aciéries notaient qu’ils étaient « presque seuls dans la Loire à ne pas en posséder un », alors que seul ce type de four permettait de réaliser des blindages d’acier moulé pour chars, offrant ainsi « un débouché intéressant »7.

La concurrence entre industriels, quand bien même ces derniers seraient parfois des alliés, a donc été aussi un important facteur permettant de comprendre l’attitude des dirigeants de la sidérurgie pendant la guerre. Par conséquent, c’est en croisant les différents aspects de la personnalité de Pierre Cholat que l’on peut essayer d’en saisir

1 56J24, Rapport du CA à l’AG ordinaire du 10 juin 1943.

2 ADI : 56J12, conseils d’administration des 6 février et 23 décembre 1941, 24 juin 1942. 3 MIOCHE Philippe, La sidérurgie et l’État en France des années 1940…, op. cit., p. 531.

4 ADL, 117J8, conseils d’administration des 1er octobre 1938, 13 février 1939 6 mai 1939, 1er juillet