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I) Les enjeux de la modernisation

1) Les choix techniques

Peu de constructions nouvelles ont été réalisées dans l’usine immédiatement après la Libération, sauf quelques réalisations pour parer au plus pressé. Elles ne constituent en aucune façon un programme de modernisation. Ce dernier a été élaboré puis adopté en même temps que ces constructions qui ne sont que de simples prémices de la relance. Il va alors se déployer sur plusieurs années. On ne sait pas grand-chose des détails du programme initial de modernisation de l’usine de juin 1946. Il est

1 MIOCHE Philippe, La sidérurgie et l’État en France des années 1940…, op. cit., p. 31-32.

2 BERGER Françoise, La France, l’Allemagne et l’acier, op. cit., p. 681.

3 BERGER Françoise, La France, l’Allemagne et l’acier, op. cit., p. 718. Elle cite BIARD Roger, La sidérurgie française, Paris, 1958, p. 180.

4 ADI, 56J22 et 56J24. 5 ADI, 56J12.

117 présenté au conseil d’administration du 7 octobre 19471 par François Tavernier, alors ingénieur principal. On sait cependant qu’il s’agissait de reconstruire le haut-fourneau n° 3 pour le porter à une capacité de consommation de 200 tonnes de coke par jour. Les administrateurs ajoutent un projet d’adjonction d’une machine à couler et d’appareils de manutention. Jean Demoule, le directeur de l’usine, présente également un projet à l’étude sur le transbordement des grands wagons vers les estacades des hauts-fourneaux. On notera que l’ensemble des transformations projetées concerne les hauts-fourneaux, même si la réalisation du programme a touché également d’autres ateliers.

Les informations concernant le coût précis des installations sont difficiles à réunir. Divers éléments peuvent en effet faire penser que la gestion est perfectible, voir qu’elle manque de rigueur : par exemple, le coût total de ce programme de modernisation est d’abord évalué de « 150 à 300 millions de francs » lors du conseil d’administration du 27 avril 19482. On relèvera le fort écart entre ces deux chiffres, du simple au double. Ensuite, des écarts importants sont observables entre l’estimation, la commande et le coût final. Par exemple, entre le prix commande et celui payé après l’installation de la machine à couler, on constate un écart d’au moins 23,180 millions de francs, soit une différence de prix supérieure ou égale à 31,3 % par rapport à celui de départ. D’ailleurs, à propos de la gestion de l’entreprise sœur des HFC, Henri Malcor disait que la comptabilité des Aciéries de Saint-Étienne était « archaïque »3. Or on sait qu’un certain nombre de dirigeants de l’entreprise stéphanoise sont aussi administrateurs des HFC.

Mais on peut relativiser ces constats pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que dans le même livre où Henri Malcor émet des critiques à propos des méthodes comptables de certains dirigeants de Chasse, Philippe Mioche et Jacques Roux évoquent la difficulté à déchiffrer, en général, les comptes d’entreprises4. Ces derniers étant réservés principalement aux dirigeants, les imprécisions comptables ne seraient donc pas le fruit de négligences, mais pourraient être plutôt celui d’imprécisions ou d’oublis volontaires afin de réserver la compréhension des informations clefs à ceux qui sont « initiés ». Ensuite, on peut ajouter que l’évaluation d’investissements de grande ampleur est un exercice difficile, alors que prix de commande ou prix final sont eux

1 ADI, 56J12. 2 ADI, 56J12.

3 MIOCHE Philippe et ROUX jacques, Henri Malcor : un héritier des maîtres de forges, op. cit., p. 102. 4 MIOCHE Philippe et ROUX jacques, Henri Malcor : un héritier des maîtres de forges, op. cit., p. 15-16. Les auteurs citent BOUVIER Jean, Initiation aux mécanismes économiques contemporains, 1977, p. 219.

118 connus. Dans ce cas, l’utilisation d’une fourchette large pour estimer un prix futur peut alors relever de méthodes prudentes de gestion afin d’anticiper des surcoûts imprévus. Enfin, la forte inflation de la période1 entraine nécessairement des différences, sur dix ans, entre la valeur des investissements prévus et le coût des équipements réalisés. Ainsi, l’indice du coût de la vie indiquant une augmentation de 26,6 % de 1949 à 1951 ou celui des prix de gros augmentant de 38,3 % sur la même période2 ; cela relativise le surcoût d’au moins 31,3 % occasionné par la construction de la machine à couler.

En se référant aux documents de l’entreprise, on peut évaluer le coût de cet ambitieux programme de modernisation à plus de 500 millions de francs. Or en plus des gros équipements évoqués ci-dessus, il compte différents aménagements de plus petite dimension dont le cumul est coûteux : on a un magasin à modèle ainsi qu’une étuve pour la fonderie et des estacades à ferraille (1947), des estacades de déchargement des wagons ; mais aussi un pont à laitier sec pour la cimenterie, une bascule pour peser la fonte et un rallongement de la fonderie (1951-1952), et diverses constructions de bureaux dans plusieurs services (entre 1947 et 1956)3. Le coût de l’allongement du bâtiment de la fonderie est à lui seul de dix millions de francs. Ensuite, un nouvel atelier consacré au broyage des tournures est achevé en 1950. Il s’agit d’acheter de la ferraille et de récupérer les déchets métalliques de l’usine, pour les recycler en matière première et les réutiliser pour le haut-fourneau. Il est équipé d’une presse Lindeman acquise en 1950. Il y a encore la participation à la réfection de l’embranchement de la SNCF reliant l’usine à la gare que l’on évalue à 3,3 millions de francs en 1950. Du matériel tombant en panne doit être changé comme cette chaudière de la marque l’Alsacienne dont l’arbre d’un des moteurs se casse après trente-huit ans de service « pour une cause inconnue », indication qui paraît être sérieusement notée dans les comptes-rendus du conseil d’administration4. Enfin, hors matériel ou construction dans l’usine, de lourds investissements sont encore effectués dans le logement des personnels.

Le montant total des actifs immobilisés pour l’usine de Chasse est de 713 285 250 francs à la fin de l’exercice 1955-1956, amortissements déduits ;

1 L’inflation est évaluée à + 60 % par an de 1946 à 1948, pour tomber cependant à moins de 5 % par an de 1953 à 1956 : dans TAVERNIER Jean-Luc (dir.), Trente ans de vie économique et sociale, INSEE, Paris, 2014, 160 p., p. 122-123.

2Annuaire statistique de la France, résumé rétrospectif, INSEE, Paris, 1966, 752 p., p. 377 et 388. 3 ADI : 56J12, 56J22, 56J24, 56J59.

119 1 333 678 795 francs si on ne compte pas les amortissements1. Le montant des actifs immobilisés ne s’élevaient qu’à 2 965 426, 64 francs lors de l’exercice 1945-1946 : on mesure le chemin parcouru. Mais les sources étant insuffisamment précises, il est difficile d’aller plus loin dans l’étude des coûts du programme de modernisation. On aurait pu, par exemple, comparer les investissements au chiffre d’affaire cumulé ou aux bénéfices cumulés sur la période. Mais ces dernières données concernent l’entreprise : il faudrait alors pouvoir distinguer l’usine de Chasse des filiales. De plus, bien des chiffres provenant des archives sont des arrondis, en particulier en ce qui concerne les chiffres d’affaire annuels. On n’indiquera donc ces données comparées que pour estimer l’importance des investissements : on a 16,5 milliards de francs pour le chiffre d’affaire cumulé et 369 353 784,34 de francs pour les bénéfices2. Par conséquent, les investissements de matériels parmi les plus lourds accomplis dans l’usine – machines à couler, haut-fourneau, etc. – représentent plus de 4,3 % du chiffre d’affaire de l’entreprise sur la période juin 1947-juin 1956 ; mais si on prend les actifs immobilisés hors amortissements, on est au dessus des 8 %. Ensuite, si on fait la comparaison avec les bénéfices cumulés, les principaux investissements représentent plus de 193 % dans le premier cas, quand les actifs immobilisés hors amortissement sont à 361 % : malgré l’imprécision de ces calculs, on peut voir là que pendant près de dix ans le programme de modernisation a été supérieur à la recherche des profits.

1 ADI : 56J30. 2 ADI : 56J12, 56J22.

Document 2 : La machine à couler des hauts-fourneaux n° 2 et n° 3.

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Document 3 : Coulée de fonte au Haut-fourneau n° 31.