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La Compagnie des Hauts-Fourneaux de Chasse et ses filiales face à un nouvel environnement

I) Chasse année zéro : u ne entreprise à l’arrêt

1) La Compagnie des Hauts-Fourneaux de Chasse et ses filiales face à un nouvel environnement

En 1945, la Compagnie a près de trois-quarts de siècle d’existence. Elle a été constituée le 10 janvier 1873 par un acte déposé aux minutes de maître Messimy, notaire à Lyon2. Elle reprend l’usine sidérurgique de Chasse-sur-Rhône et les mines d’El M’Kimen près de Bône en Algérie venant de la liquidation Girerd-Nicolas et Compagnie, « banquier local » stéphanois emporté par la crise de 18703. Dès son

1 BONFILS-GUILLAUD Cyril, Le personnel des Hauts-Fourneaux de Chasse-sur-Rhône de 1956 à 1963, op. cit. BONFILS-GUILLAUD Cyril, Le personnel immigré de la Compagnie des Hauts-Fourneaux de Chasse-sur-Rhône de 1960 à la fermeture de l’entreprise, op. cit. KINOSSIAN Laurence,

Le personnel des Hauts-Fourneaux de Chasse-sur-Rhône, 1856-1940, op. cit. 2 ADI, 56J.

3 VANT André, « Évolution bancaire et espace urbain stéphanois », Revue de géographie de Lyon, vol. 52 n° 4, 1977, p. 367-394, p. 374.

31 origine donc, la Compagnie des Hauts-Fourneaux de Chasse possède une usine et des mines.

Par la suite, elle a aussi acquis ou créé des filiales et succursales. En 1945, il y en a quatre mais il existe également d’autres participations, si bien que les entreprises contrôlées sont plus nombreuses. Parmi ces filiales et succursales, on a tout d’abord la Société des mines de la Têt qui exploite du minerai de fer dans les Pyrénées créée en 19091. Cette filiale de Chasse est aussi à l’origine de la création de la Société Auxiliaire des Mines des Pyrénées Orientales (SAMPO) en 19232. La SAMPO est à la fois une entreprise de transport et de traitement du minerai. Ensuite, après l’épuisement des mines de El M’Kimen en Algérie au lendemain de la Première Guerre mondiale, la Compagnie investit dans d’autres mines. Il y a notamment celles du djebel Bou Amrane proches de Bougie qui sont encore en exploitation au lendemain du second conflit mondial. Elles sont la propriété de Chasse depuis 1918, mais constituent une simple succursale3. Enfin, la Compagnie a une ancienne filiale commune avec la Compagnie des fonderies, forges et aciéries de Saint-Étienne dans laquelle elle détient toujours des participations : il s’agit de la Société des forces motrices Bonne et Drac fondée en décembre 19204. Un programme de construction sur plusieurs années a permis la réalisation de trois usines productrices d’électricité : celle de la Bonne inférieure à Ponsonnas en 1926, celle du Sautet en 1935 et enfin celle de Cordéac qui s’appuie elle aussi sur le barrage du Sautet. Cette dernière usine, encore en chantier pendant la guerre, n’a été achevée qu’après, en 1947 ou 19485. La Seconde Guerre mondiale a eu un effet important sur les filiales de Chasse, de même que l’immédiat après guerre. Mais si le contexte général est commun, leur situation est toutefois variable.

1 ADI, 56J1, dossier adressé à « Monsieur Couturie » ingénieur en chef de l’artillerie navale au Ministère de la marine. 56J7, conseil d’administration du 14 septembre 1909 pour le projet de constitution de la société. 56J8, conseil d’administration du 21 mars 1911 pour sa création. Les archives de la Société des mines de la Têt sont également conservées à Grenoble. La sous-série 56J71 comprend les documents de constitution de la société.

2 ADI, 56J1, dossier adressé à Monsieur Couturie déjà cité. Les archives de la SAMPO sont également conservées à Grenoble où elles ont été versées en même temps que celle des mines de la Têt. La sous-série 56J113 comprend les documents fixant les statuts de l’entreprise au moment de sa création.

3 ADI, 56J51, dossier adressé à « Monsieur Couturie » déjà cité. Les archives des mines du djebel Bou Amrane se trouvent aussi à Grenoble et ont été versées avec celles des HFC, sous-séries 56J51 à 56J56. 4 ADI, 56J22, rapport du CA à l’AG ordinaire du 28 juin 1946 et rapport de messieurs les commissaires des comptes pour l’exercice 1944-1945.

16Anne Dalmasso donne l’année 1947, mais sans citer sa source, in DALMASSO Anne, « Barrages et développement dans les Alpes françaises de l’entre-deux-guerres », Revue de Géographie Alpine, 96-1, 2008, p. 45-54. Une fiche EDF indique l’année 1948, in EDF unité de Production Alpes, document [pdf] , « fiche barrage du Sautet », [mis en lligne septembre 2013],

http://energie.edf.com/fichiers/fckeditor/Commun/En_Direct_Centrales/Hydraulique/Centres/Les_Alpes/ publications/document/fiche_sautet/.

32 Les HFC ont également investi par le passé dans plusieurs domaines et terrains où ils espéraient trouver du charbon ou du minerai de fer. Des activités ont pu être développées par le passé, mais elles ne leur rapportent désormais plus rien et sont au mieux louées1. Ils possèdent aussi une participation majoritaire dans la Société des chaux et ciments de Chazay-Bons2 qui fournit la chaux servant de fondant à ses hauts-fourneaux, ainsi qu’une autre participation dans une société comparable à Amby : Jean Demoule – le directeur des usines – en a la responsabilité pour la Compagnie des Hauts-Fourneaux de Chasse3. Ils collaborent donc avec ces entreprises, mais elles ne sont pas considérées comme des filiales, même si leurs participations peuvent être importantes : la preuve en est que la direction de ces entreprises est indépendantes, que la gestion des relations est confiée à la direction de l’usine, ce qui n’est bien sûr pas le cas des filiales. Il est également vrai que leurs liens avec elles ne concernent que la cimenterie, une activité marginale de l’usine de Chasse.

Pour les sociétés minières pendant la guerre, leur position géographique a été déterminante. Ainsi, les entreprises des Pyrénées sont restées en contact avec Chasse pendant toute la période : elles deviennent sa principale source en minerai de fer, même si un système de répartition l’oblige à partager avec les autres entreprises sidérurgiques4. Mais après le débarquement en Afrique du Nord le 8 novembre 1942, la ligne de démarcation disparaît et les logiques d’exploitation économique allemande s’imposent sur tout le territoire français. Par exemple, dans un rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale ordinaire du 10 juin 1943, il est indiqué une volonté de développer l’extraction qui se heurte déjà au manque de main d’œuvre : les travailleurs polonais ont été renvoyés vers les mines de fer de Lorraine5. Les minerais circulent encore par la batellerie du Rhône, comme au XIXe siècle, ainsi que cela est précisé dans le même rapport. Par la suite, se sont les combats de la Libération qui constituent de nouvelles contraintes et la situation ne fait que s’aggraver jusqu’à la fin de l’année 1944 : c’est seulement en décembre que les mines pyrénéennes reprennent leurs livraisons, après six mois d’interruption. Néanmoins, pendant cette période de

1 ADI, 56J34, propriétés de Fauches et Grandchamp en Saône-et-Loire, Masseguin en Lozère, Montredon dans le Tarn, Bourg Saint-Maurice en Savoie.

2 ADI, 56J12, conseil d’administration du 28 décembre 1955.

3 ADI, 56J22, rapport du CA à l’AG du 29 mai 1951. Sur les liens économiques : BLANCHARD Raoul, « L'industrie des chaux et ciments dans le Sud-Est de la France », Revue de géographie alpine, tome 16, n° 2, 1928, p. 255-376, p. 351-353.

4 ADI, 56J24, rapport du CA à l’AG ordinaire du 10 juin 1943. 5 ADI, 56J24, ibidem.

33 suspension des transports, elles ont tout de même pu poursuivre leur extraction, mais à un rythme ralenti. Les stocks constitués sont alors importants, ils posent un problème de coût, mais en même temps leur vente – et donc leur transport – ne peut se faire que si les prix sont relevés à un niveau suffisamment rémunérateur1.

Les mines algériennes produisent pour Chasse, mais aussi pour d’autres clients comme des sidérurgistes anglais avant 19392. A partir de l’été 1940, le minerai n’est plus envoyé en métropole suite à l’invasion par le Reich ; le personnel s’occupe alors d’entretenir la mine en vue de sa reprise d’activité. Puis, les livraisons reprennent pour la France en 1942, mais elles sont interrompues à nouveau en novembre après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord3. D’après les documents du rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale, l’ « occupation de l’Afrique française nous a séparé […] de votre exploitation algérienne, dont les comptes demeurent bloqués depuis lors »4. Ce document donne l’impression, comme l’a écrit Jacques Marseille, que la Libération de l’Afrique du nord par les Alliés a pu être vécue comme « une seconde défaite française »5. Après cet évènement, les hauts-fourneaux britanniques vont se faire livrer les minerais de haute qualité des mines de Bou Amrane jusqu’en avril 1946. Ensuite, les livraisons pour la France et donc également pour Chasse reprennent en partie6.

Par conséquent, si les mines algériennes et pyrénéennes ont traversé la même époque chaotique, leur existence n’a pas été la même. En 1945, Bou Amrane fait état d’une « trésorerie large », quand les mines de la Têt et la SAMPO ont en revanche « particulièrement souffert »7. Les premières ont repris leurs activités dès 1943 ; alors que les secondes sont paralysées et ont des problèmes de main d’œuvre comme d’expédition, pendant et après la Libération. Enfin, on relèvera un dernier paradoxe : si les mines algériennes ont produit pour les Alliés, celles des Pyrénées ont travaillé pour l’industrie au service du Reich.

1 ADI, 56J22, rapport du CA à l’AG ordinaire du 26 juin 1945. 2 ADI, 56J22, rapport du CA à l’AG ordinaire du 28 juin 1946.

3 ADI, 56J24, rapport de messieurs les commissaires aux comptes (non daté) et rapport du CA à l’AG ordinaire du 10 juin 1943.

4 ADI, 56J24, rapport du CA à l’AG ordinaire du 9 juin 1944, p. 1-2.

5 MARSEILLE Jacques, « L’Empire », in AZÉMA Jean Pierre et BÉDARIDA François (dir.), La France des années noires, tome 1, Points Histoire, Éditions du Seuil, 2000, 580 p., p. 297.

6 ADI, 56J22, rapport du CA à l’AG ordinaire du 28 juin 1946.

34 En ce qui concerne la Société des forces motrices Bonne et Drac, celle-ci n’a distribué aucun dividende à ses actionnaires depuis 19311. Les bénéfices ont été consacrés à des amortissements et à des paiements de primes en raison de l’ampleur de la construction : avec une hauteur de 126 mètres, le barrage poids voûte du Sautet est le plus grand du monde2. De plus, la guerre a entrainé la destruction de plusieurs infrastructures de transport d’électricité ainsi que des retards dans le chantier de l’usine de Cordéac3. Le prix de ce dernier chantier est multiplié par deux et demi entre 1941 et 1945 – soit de 180 millions à 450 millions de francs entre ces deux dates4 , alors que les retards dans la mise en fonctionnement de l’usine ne permettent pas de réaliser d’amortissement pour cette infrastructure, ni même simplement de commencer à compenser les coûts qui croissent. Toutefois, la Société a fourni de l’électricité à Chasse ainsi qu’aux Aciéries de Saint-Étienne avec lesquelles elle a un contrat. Cela a d’ailleurs été le seul résultat tangible pour les HFC jusqu’en 1945, car ensuite « la société […] tombe sous les effets de la loi de nationalisation des entreprises productrices d’énergie électrique »5.

Cette dernière filiale de Chasse ne lui a donc pas causé autant de souci que les autres, mais elle ne lui a rien rapporté, alors que la diversification des activités et la création de ressources nouvelles ont été les buts des investissements réalisés après 1918 grâce aux bénéfices conséquents engrangés pendant le premier conflit mondial. Ajoutons que la Société des ciments Pelloux – dont Chasse avait pris le contrôle avec Bonne et Drac après la Première Guerre mondiale dans le but de participer à la construction des barrages – a fait faillite dès 19386. Avec la nationalisation de 1945, c’est bien tout une aventure industrielle dans les Alpes qui s’achève ; même si les conséquences de ces investissements s’étendent, comme on le verra, jusqu’aux années 1960.

1 Ibidem.

2 DALMASSO Anne, « Barrages et… », op. cit., p. 9. 3 ADI, 56J12, conseil d’administration du 12 janvier 1945. 4 ADI, 56J12, conseil d’administration du 30 mars 1944.

5 ADI, 56J22, rapport de messieurs les commissaires aux comptes pour l’exercice 1944-1945.

6 ADI, sous-série 23J, Fonds de la Société des Ciments Pelloux de Valbonnais. Pour la liquidation, voir séance de l’AG extraordinaire des actionnaires du 28 octobre 1938, 23J122.

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