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Diptyque In/Audible

Dans le document Entendre le pictural (Page 194-199)

4. A l'épreuve de l'écoulement :

4.6 Diptyque In/Audible

Le diptyque In/Audible se compose de deux toiles réalisées à la peinture à l'huile, toutes deux mesurant 180 x 120 cm.

Cet ensemble a été présenté à la Galerie Michel Journiac en juin 2014, à l’occasion de l’exposition Entre-Deux – exposition commune des doctorants du groupe de François Jeune (Université Paris 8 St Denis) et de Gisèle Grammare (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), exposition qui a suivi la journée d'étude du 21 mai 2014 organisée à l'initiative de François Jeune à l'INHA de Paris171.

La configuration de la Galerie Journiac, située au rez-de-chaussée du Centre Saint Charles de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, présente un espace d'entrée longitudinal clôturé à gauche par une vitrine donnant sur la rue des Bergers dans le 15ème arrondissement de Paris, tandis que sur la droite se dégage un accès à la pièce principale de la galerie en passant sous un rabaissement du plafond qui abrite un couloir situé à l'étage supérieur. Le pan de mur entre la vitrine et le rabaissement du plafond consiste en un espace d'exposition qui se développe en hauteur et offre ainsi des perspectives d'accrochage tout à fait intéressantes, bien qu'il n'y ait que très peu de recul pour apprécier les œuvres présentées à cet emplacement.

Dans l'intention de relever le défi et de proposer un diptyque qui puisse occuper cet espace de la galerie, le choix fut celui de disposer les deux toiles selon une séquence verticale.

L’accrochage mis en place à cet effet a contribué à pousser un peu plus loin la réflexion autour de la réversibilité de la surface : ce qui est mis en question ici est la séquence comme suite ordonnée dans la relation entre différentes unités picturales. En effet, la façon de présenter le diptyque en superposant les deux peintures à la verticale – plutôt qu’en les plaçant l’une à côté de l’autre, de sorte

171 Lors de la journée d'étude à l'INHA de Paris autour du thème de l'Entre-Deux, l'expérience plastique personnelle au cours du séjour new-yorkais ainsi que mes recherches concernant l'écoute du pictural ont

que le bord inférieur de celle qui est placée au-dessus recouvre la partie supérieure de celle qui est accrochée en dessous – a été un moyen d’observer la façon dont l’interruption et la continuité agissent de concert pour renouveler l'entente donnée à la séquence.

Le commencement et la fin existent en relation à la surface picturale comme des possibilités extérieures à l’étendue donnée : leur résonance intervient comme une dynamique qui prolonge ce mouvement de chute dans un espace qui n’est plus seulement visuel, circonscrit aux marges d’une surface mesurable, mais qui convoque également la présence active d’un corps dans la conscience du temps et de l’espace.

Le principe de réversibilité qui a influencé l'exécution de cet ensemble se réfère également à la nature matérielle des deux pièces, dont le support a été renversé en cours de réalisation, pour que le bas et le haut de la toile deviennent interchangeables. Bien que seulement l’une des deux orientations données au support maintienne un rythme plus stable et défini en ce qui concerne la direction de l’écoulement, par endroit les coulures suivent un double parcours le long de l'axe vertical.

Dans In/Audible #1, la matière plus sombre se concentre dans la partie supérieure de la surface en formant une étendue homogène, alors qu'elle se disperse dans la moitié inférieure en coulées subtiles ; à son tour, le fond clair semble s’écouler par endroit en sens inverse et remonter ainsi l'ordre du flux défini au préalable, notamment par l'arrivée de coulures semi-transparentes sur l'effervescence plus lumineuse de couleur rouge dans la partie centrale gauche.

L’acte de retourner le support en cours de réalisation est motivé par une nécessité bien précise : déjouer la tendance à la « bonne » composition, à la hiérarchisation des structures au sein de la surface picturale. Ici, tout s’écoule d’un même élan, en un flux qui non seulement suggère un rythme continu au-delà des limites du support, mais qui de plus apparaît comme étant réversible.

In/Audible #1

Accrochage de l'exposition Entre Deux, juin 2014, Galerie Michel Journiac, Paris. Sculptures de Pascale Lefebvre.

La conquête progressive de l’écoulement comme donnée plastique unifiante dans la pratique personnelle est donc à l'origine de l'ensemble des travaux réalisés entre l'automne 2013 et le printemps 2014.

L'écoulement généralisé et étendu à l'ensemble de la surface fait partie de ces intuitions que l'exécution du diptyque Obliques avait mis au jour, intuitions qui se voient ici réinterrogées dans un souci d'analyse à l'égard de la démarche personnelle : cette transition au sein du processus a favorisé une plus ample conscience des tensions et des enjeux plastiques qui habitent le travail.

Le diptyque In/Audible a mené à une réflexion autour d’une continuité génératrice de directions entre différentes pièces du même ensemble, où la coupure intervient en tant qu'élément agissant plutôt qu'en tant que limite. La persistance rythmique est suggérée par une unité de l'écoulement pictural dont le début et la fin restent hors cadre et en suspens.

En effet, l'attaque du mouvement n'est pas décelable, ni - du reste - sa conclusion. Le flux uniforme est perçu comme une chute de matière qui devance la structure formelle. L’insistance sur l’écoulement comme unité rythmique est un moyen de déjouer la construction de la forme.

Par la suite, la question de la forme sera à nouveau énoncée comme cet

hors forme qui détermine la qualité musicale de l'ensemble, dont chaque

réalisation – cette fois sur papier - assumera le statut de fragment aléatoire, c'est à dire fondamentalement délié de toute séquence ou cadence imposées à priori. Ce sera à l’accrochage de déterminer le lieu de la forme, dans une dynamique picturale qui relève à la fois d’une qualité théâtrale.

Dans le document Entendre le pictural (Page 194-199)