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Asymmetries of Silence

Dans le document Entendre le pictural (Page 104-111)

2. La peinture accordée

2.6 Asymmetries of Silence

« Ce qui est merveilleux, c’est que la lune se lève encore, même si nous avons changé d’avis sur le fait de pouvoir nous y rendre ou non. Symétrie. Pure symétrie. N’existe pas. (Il travailla pendant des années et, comme il travaillait, sa technique progressa, mais il préféra préserver le manque de justesse, pour révéler quelque chose non de parfait mais qui témoigne qu’il a été vivant en le faisant).»

John Cage80

Asymmetries of Silence est une série de huit gravures (eau-forte, pointe-

sèche et aquatinte) et un texte réalisé à l’impression typographique, imprimé en cinq exemplaires sur papier Hahnemühle. Si au départ la conception de l’ensemble visait à en faire un livre d’artiste, le projet n’a finalement pas été finalisé sous cette forme.

Tout au long de l’année universitaire passée à NYU, la pratique intensive de la gravure en taille douce a joué un rôle important au sein de la démarche personnelle. Au premier semestre, les expériences dans le domaine de la taille douce se sont orientées essentiellement autour des techniques de l'eau-forte, de la pointe-sèche et de l’aquatinte. L’enjeu était celui de maintenir une tension entre la netteté des lignes et l’effet pictural de l’aquatinte. S’ajoute à cela la présence du vide comme élément récurrent : une partie de la plaque est constamment préservée, ce qui représente un défi intéressant au moment de l’essuyage en vue de l’impression.

Au fil des mois, l’intérêt pour l’aquatinte a porté à expérimenter la technique dite du spit biting et celle de l’aquatinte au sucre ou sugar lift. Dans l’aquatinte traditionnelle, la plaque de métal est recouverte d’une trame de résine qui, après avoir été réchauffée, adhère au cuivre ; une fois que la plaque est plongée dans un bain d’acide, ce sont les espaces entre un grain de résine et l’autre qui seront mordus par l’acide, produisant au final une texture homogène dont l’intensité du ton dépend du temps de morsure dans l’acide.

Or, dans la technique du spit biting c’est l’acide qui est directement répandu sur la plaque (il s’agit, pour les plaques en cuivre, d’un mélange de perchlorure de fer et gomme arabique ou salive), appliqué à l’aide d’un pinceau pour produire un effet semblable à celui de l’aquarelle. La profondeur de la morsure est assez faible et aléatoire, et nécessite plusieurs passages.

Dans une aquatinte traditionnelle, le vernis préserve certaines zones de la plaque recouverte de résine – celles qui doivent rester blanches à l’impression – de l’action de l’acide, il s’agit donc d’un travail en négatif. Au contraire, dans la technique au sucre, un mélange sucré (à base de sucre ou de sirop, parfois avec l’addition d’encre et de savon) est utilisé pour peindre sur la plaque en positif, c’est-à-dire pour marquer les parties qui seront effectivement mordues par l’acide afin de recevoir l’encre au cours de l’impression. Par la suite, l’entièreté de la plaque est recouverte de vernis et plongée dans un bain d’eau tiède qui dissout le mélange sucré, laissant ainsi à découvert les zones peintes au sucre qui seront mordues par l’acide.

L'expérimentation autour des techniques du spit biting et de l’aquatinte au sucre caractérise les estampes de John Cage, comme dans la série Stones de 1989.

A partir de la fin des années 1970, il travailla assidûment à la gravure dans l’atelier Crown Point Press de San Francisco, où il réalisa des centaines de planches. Ses gravures, au même titre que ses compositions musicales, sont issues de procédés où le hasard occupe un rôle actif dans la définition de l’œuvre, notamment par le recours au I Ching chinois ou Livre des mutations : « En 1950,

Cage commença à structurer son travail en utilisant des opérations de hasard dérivées du I Ching. Il s’agissait là d’une méthode disciplinée mais non intentionnelle, une méthode incitant l’artiste à concevoir son travail comme une exploration du fonctionnement de la nature, plutôt que comme un moyen de communication de ses idées. »81

Les trois premières estampes de la série Asymmetries of Silence sont des eaux fortes avec des interventions à la pointe sèche et à l’aquatinte : il s’agit en réalité de deux plaques de même format travaillées de manière à produire une impression superposée, qui est celle de la troisième estampe. La quatrième plaque a été réalisée entièrement à la pointe-sèche, avec seulement une touche d'aquatinte.

C’est à partir de la cinquième plaque que les expérimentations avec l’aquatinte au lavis et au sucre ont véritablement commencé ; il s’agit également des quatre plaques sur huit imprimées en couleur et de formats variables, alors que les quatre premières avaient le même format et étaient imprimées exclusivement à l’encre noire. Si le recours à l’aquatinte dans Sans titre #5 est encore timide, il s’agit néanmoins d’une première tentative de travailler la fluidité par les moyens de la gravure.

Les trois dernières planches présentent une interaction plus organique entre la définition des lignes à l’eau-forte et l’effet pictural de l’aquatinte au sucre. La part de silence, l’espace vide de la page blanche tend à s’intégrer progressivement à la matière, de façon à ce que la réserve soit une percée au sein de la surface plutôt qu’un vide inerte. Le vide participe de la mouvance que les formes impriment à la matière.

Cette série de gravures est présentée dans l’ordre chronologique de réalisation, sans qu’il y ait forcément un lien séquentiel pour assurer une lecture

progressive – exception faite pour les trois premières planches. L’ensemble est complété par un texte original composé à la typographie. Paroles et formes sont porteuses d’un silence fécond, elle s’accompagnent mutuellement sans que l’une soit l’illustration ou la description de l’autre. Ainsi, elles sont libérées de tout lien de nécessité, de toute fonction discursive ; elles se font discrètes, pour que le silence y jaillisse.

Still stand in the flow

Silence

through layers of sound a voice

part of the entire A void

is the asymmetry of loss A glance

toward the embrace of enlightened darkness

A word dissolve... to the wholeness. And along the path,

Again Begin Anew82

82 Reste ferme dans l'écoulement. Le silence, à travers l'épaisseur du son ; une voix qui appartient à l'entier. Un vide : l'asymétrie de la perte. Un regard vers l'étreinte des ténèbres lumineuses. Un mot :

Asymmetries of Silence

Dans le document Entendre le pictural (Page 104-111)