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Partie 2. Molécules et matériaux mécanofluorochromes

III. Différentes familles de mécanofluorochromes

Nous n’avons pas ici la prétention de présenter une liste exhaustive de tous les composés, polymères et matériaux mécanofluorochromes rapportés dans la littérature ; nous souhaitons présenter les exemples les plus pertinents parus au cours de ces dernières années.

III. 1 Échelle macroscopique

III.1.1 Polymères mécanofluorochromes

Les matériaux mécanofluorochromes polymères présentent de nombreux intérêts parmi lesquels une certaine facilité de mise en forme couplée à un large champ d’applications possibles.

III.1.2 Dispersion de fluorophores mécanofluorochromes au sein de matrices polymères

A. Oligo (p-phenylene vinylene) (OPV)

On retrouve parmi les exemples illustrant cette technique, l’article de Löwe et Weder de 2002 cité plus haut ainsi qu’une étude complémentaire réalisée en 2003 par le même groupe 17, 20. Les auteurs dispersent deux dérivés OPV cyanés, 1 et 2, à différentes concentrations en masse allant de 0,01 % à 3,0 %, au sein d’une matrice polymère de LLDPE (de l’anglais Linear Low-Density PolyEthylene) (Figure 9A). Pour des concentrations massiques ≤ 0,02 % les polymères synthétisés montrent une

31 fluorescence similaire à celle observée en solution suggérant une bonne dispersion des molécules. Pour de plus fortes concentrations, un déplacement bathochrome et un élargissement du spectre d’émission sont constatés, caractéristiques de la formation d’excimère. Les auteurs en concluent que passée une certaine concentration seuil les molécules 1 et 2 ont tendance à s’organiser en agrégats facilitant la formation d’excimères à l’état excité. Lorsque ces films fortement dopés sont soumis à des forces de traction suffisantes pour induire une déformation plastique, un déplacement hypsochrome de l’émission est observé (Figure 12A). Les auteurs concluent que les forces de traction viennent déplier les longues chaînes macromoléculaires menant à la rupture des agrégats et entraînent le changement de fluorescence de l’orange/vert vers le vert/bleu caractéristique de l’émission monomère dilué (Figure 12B).

Dans d’autres études réalisées par le groupe de Weder, les auteurs se sont penchés sur l’incorporation des dérivés OPV dans d’autres types de matrices polymères : poly(méthyle méthacrylate) PMMA, poly(bisphénol A carbonate) PC 21, ainsi que dans des polyesters : poly(éthylène téréphtalate) PET et poly(éthylène téréphtalate glycol) PETG 22. Ces études se penchent sur l’utilisation de ces polymères dopés comme détecteurs de contraintes mais surtout comme sondes de température.

Figure 12 : A. Structure des dérivés oligo (p-phenylene vinylene) 1 et 2 accompagnée des clichés en fluorescence des films polymères dopés après application de la force de traction. (λexc=365 nm). B. Représentation du

mécanisme expliquant l’évolution de fluorescence induite par rupture des agrégats avec transition d’une émission excimère monomère. Figure adaptée de la référence 20.

B. Bis(benzoxazolyl)stilbène et pérylènes bismides

Le groupe de Pucci et al. a ainsi rapporté un comportement analogue pour le composé bis(benzoxazolyl)stilbène (3) (Figure 13Aa)23. Les auteurs ont étudié le comportement mécanofluorochrome de ce dérivé après incorporation dans différentes matrices polymères : polypropylène (PP), poly(1,4-butylène succinate) (PBS) et LLDPE. Pour de faibles concentrations en 3 (≤0,02 wt%), les films présentent une émission monomère et à plus fortes concentration (≥ 0,02 wt%) ils présentent une émission excimère bleue/verte due à la formation d’agrégats. L’application de forces de traction entraîne un déplacement hypsochrome de l’émission qui revient vers celle observée à faibles concentrations liée à la perturbation des agrégats (Figure 13Ab). Ces conclusions ont été corroborées par des études de spectroscopie de fluorescence résolue en temps.

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Des dérivés pérylène, 4 et 5, ont également été utilisés pour obtenir de nouveaux films de polymère LLDPE dopés à différents pourcentages massiques allant de 0,01 % à 0,1 % (Figure 13Ba)24. Les auteurs notent un déplacement bathochrome de l’émission avec une fluorescence passant graduellement du vert au rouge à mesure que le dopage augmente (Figure 13Bb). Cet effet est attribué à la formation d’agrégats J ; en effet cette famille de composés est connue pour former facilement des agrégats supramoléculaires de type J, facilités par la présence de nombreuses interactions π. La formation d’agrégats se fait plus difficilement et pour un dopage massique ≥ 0,05 % dans le cas du composé 4 du fait de sa structure plus encombrée. De plus, les agrégats générés par 4 sont résistants à la déformation alors que les agrégats générés par le second composé 5 y répondent très bien. Les auteurs observent alors un considérable déplacement hypsochrome de l’émission (Figure 13Bc). Comme dans les cas précédents, le changement d’émission est lié à la rupture des agrégats et à la

restauration d’une émission monomère.

Figure 13 : A a) Structure du BBS (3). b) Schéma du mécanisme menant au changement de fluorescence induit par traction du fait de la séparation des agrégats avec photographie du polymère dopé étiré (λexc=366 nm). B. a) Structure des dérivés pérylène 4 et 5. b) Photographie de films polymères LLDPE dopés par le composé 5 à différentes concentrations massiques. c) Photographie des polymères LLDPE dopés par le composé 5 à 0,02 % et 0,04 % en masse après étirement mettant en évidence le comportement mécanofluorochrome observé. Figure adaptée des références 23-24

C. Complexe de platine

Il existe de plus rares exemples rapportant la dispersion de complexes organométalliques au sein d’une matrice polymère. Nous citerons ici l’étude, publiée par Kumpfer et al. en 2012 25, d’un complexe de platine (II) plan carré mécanofluorochrome (Figure 14A) dispersé à différents pourcentages massiques, 2,5 %, 10 % et 20 %, dans une matrice de PMMA. Tous les films présentent des propriétés mécanofluorochromes avec une transition du maximum d’émission de λmax=575 nm à λmax=592 nm. Les meilleurs résultats sont obtenus avec les films polymères dopés à 10 % en masse, que le film soit légèrement altéré ou profondément déformé : en éraflant le film avec une lame de rasoir ou en frappant violemment le film à l’aide d’un marteau à tête arrondie (Figure 14B). Pour déterminer l’origine de cette évolution de fluorescence induite par cisaillement ou compression, une

33 étude par diffraction aux rayons X aux grands angles est réalisée sur un film déformé. Cette étude révèle que l’application de contraintes mécaniques entraîne un réarrangement structural local menant à l’augmentation des interactions Pt-Pt courtes.

Figure 14 : A. Structure du composé 6. B. Réponse mécanofluorochrome, observée sous UV (λexc=365 nm)du film de PMMA dopé à 10 % en masse après éraflement à l’aide d’une lame de rasoir (à gauche) et après avoir été frappé à l’aide d’un marteau. Figure adaptée de la référence 25.

III.1.3 Polymères intrinsèquement mécanofluorochromes.

Cette approche consiste à lier de manière covalente l’unité présentant les propriétés mécanofluorochromes, appelée aussi mécanophore, aux chaînes macromoléculaires par copolymérisation. Dans cette approche les comportements mécanofluorochromes peuvent être issus de deux « mécanismes » : modification des interactions intermoléculaires ou rupture de liaisons covalentes. La difficulté principale est d’assurer un transfert efficace des forces subies par le polymère sur le mécanophore ; ce qui dépend essentiellement de la façon dont le composé est lié à la chaîne polymère.

A. Spiropyranes

Davis et al. nous présentent en 2009 un premier exemple de polymère mécanofluorochrome. Pour ce faire les auteurs utilisent un dérivé spiropyrane 7a 26. L’intérêt de ce type de composé repose sur sa capacité à se convertir, par ouverture de cycle réversible, vers un état mérocyanine coloré et fluorescent 7b, lorsque le polymère est soumis à une contrainte mécanique (Figure 15A). Cette conversion permet de détecter et cartographier la répartition des contraintes au sein du polymère. Dans cet article les auteurs choisissent d’incorporer par copolymérisation des unités spiropyranes dans un polymère élastique poly(méthyl acrylate) (PMA) ou en utilisant le spiropyrane comme agent de couplage dans la synthèse de bille rigide de poly(méthyle méthacrylate) (PMMA). L’étirement du polymère PMA ou la compression des billes de PMMA entraînent la rupture de liaison C-O du spiropyrane et, par la même, induisent la réaction d’ouverture de cycle (Figure 15B et C). Les variations optiques observées sont d’autant plus marquées que les unités spiropyranes sont proches de la zone ayant subi le plus fort taux de déformation. Pour assurer un transfert efficace des forces vers ce mécanophore celui-ci est attaché aux chaînes polymères de part et d’autre de la liaison spiro, plus particulièrement au niveau des positions 5’ ou 6’ côté indole et au niveau des positions 7 ou 8 du côté benzopyrane.

Une étude par anisotropie de fluorescence, réalisée en 2012 par Sottos et al. 27, sur le système PMA/spiropyrane introduit précédemment cherche à étudier l’orientation des dérivés sous forme mérocyanine quand le polymère est soumis à une force de traction. Les résultats ont révélé que les spiropyranes orientés spontanément selon l’axe de traction sont les premiers à subir la conversion vers

34 la forme mérocyanine (Figure 15D). Une augmentation de l’orientation globale des mécanophores selon cet axe est à noter à mesure que la force appliquée augmente (Figure 15E). D’autres études reposant sur le même principe ont fait l’objet d’autres publications 28-29.

Figure 15 : A. Equilibre entre forme spiroryane 7a et mérocyanine 7b avec les caractéristiques optiques associées.