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Partie 2. Molécules et matériaux mécanofluorochromes

B. a) Structure du dérivé organométallique 10. b) Clichés de fluorescence d’un cristal isolé du dérivé 10 avec mise

III.2 Échelle nanométrique

Il n’existe dans la littérature que deux véritables exemples de comportement mécanofluorochrome mis en évidence à l’échelle nanométrique.

Le premier article a été publié en 2013 par Kobayashi et al.95. Il porte sur l’étude de nanoparticules de polymère conjugué d’en moyenne 13 nm de diamètre. Les nanoparticules sont étudiées par microscopie de fluorescence et AFM. L’AFM est utilisé pour la caractérisation des nanoparticules en taille et en forme ainsi que pour appliquer une déformation locale sur les nanoparticules pendant que la réponse en émission est suivie par spectroscopie de fluorescence stationnaire (Figure 60A). Spontanément les nano-objets émettent dans le rouge avec un maximum d’émission centré autour de 590 nm. L’application de pression via la pointe AFM entraîne un déplacement hypsochrome de l’émission allant jusqu’à 70 nm (Figure 60B). Ce déplacement de l’émission s’accompagne d’une exaltation ou d’une extinction aléatoire de la fluorescence. Les auteurs expliquent que les nanoparticules sont constituées de chaînes polymères conjuguées polydisperses en taille. Plus le système conjugué est étendu plus le niveau énergétique S1 est bas en énergie. Ainsi l’énergie absorbée va être transférée aux chaînes les plus longues qui vont ensuite émettre la fluorescence initialement observée. L’application de la force de pression par la pointe AFM, comprise entre 5 nN et 20 nN, va venir rompre la conjugaison de ces longues chaînes polymères. L’état excité S1

des espèces émissives est donc plus haut en énergie, d’où le déplacement hypsochrome mis en évidence. C’est au total une trentaine de nanoparticules qui ont été testées avec un retour à l’état émissif initial observé dans toutes les occurrences dès la rétraction de la pointe AFM.

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Figure 60 : A. Schéma des nanoparticules de polymère, fluorescentes, avant et pendant contraintes appliquées par la pointe AFM. B. Evolution des spectres de fluorescence pendant la contrainte. Figure adaptée de la référence95.

Un second article de Sagara et al., publié en 201496, présente l’étude de micelles fluorescentes greffées sur différents substrats et l’évolution de l’émission de ces mêmes micelles par passage au vortex. Les micelles, d’en moyenne 6 nm de diamètre, sont issues de l’autoassemblage, en milieu aqueux, d’un dérivé pyrène amphiphile. Le greffage des micelles sur les substrats est assuré grâce à une petite molécule possédant 2 groupements réactifs ester N-hydroxysulfosuccinimide à chaque extrémité (Figure 61A et B).

Les micelles ou la poudre issue de synthèse montrent spontanément une fluorescence jaune (λmax = 554 nm). Après broyage l’émission passe du jaune au vert (λmax = 524 nm). La phase obtenue est bistable, et même après redissolution en milieu aqueux les micelles obtenues conservent cette fluorescence verte (λmax = 542 nm).

Les micelles jaunes fluorescentes ont été greffées sur bille de verre et de polymère PLA ainsi que sur des cellules hépatiques HeLa et HL-60. Les micelles greffées présentent une fluorescence jaune et sont soumises au vortex pendant 15 min à 60 min à 2000 tr/min. Seule la fluorescence des micelles greffées sur bille de verre est modifiée montrant qu’une force seuil doit être appliquée pour induire la modification des interactions intermoléculaires et par la même, le changement de fluorescence (Figure 61 C).

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Figure 61 : A. Dérivé pyrène amphiphile accompagné d’un schéma simplifié de la structure. B. Mise en évidence des interactions permettant l’autoassemblage du dérivé sous forme de micelles. C. Evolution de l’émission et de la géométrie des micelles greffées sur billes de verres après passage au vortex pendant 15 min. Figure adaptée de la référence96.

Il n’existe que de rares exemples dans lesquels des composés connus pour être mécanofluorochromes à l’échelle macroscopique ont également été étudiés à l’échelle nanométrique. De plus, des investigations visant à vérifier la conservation ou non des propriétés MFC à cette échelle restent minimes.

Dans un article d’Anthony et al., publié en 2015, les auteurs présentent l’étude d’un composé mécanofluorochrome dérivé de triphénylamine 92 97 (Figure 62A). Ce composé présente une fluorescence bleue à l’état solide cristallin, l’émission évolue vers le vert lorsque ce dérivé est soumis à des contraintes mécaniques. Le dérivé revient en 8 minutes à son état cristallin originel (Figure 62B). Les auteurs ont synthétisé des nanoparticules de ce dérivé, par la méthode de reprécipitation avec un mélange acétonitrile/eau. Les nanoparticules affichent tout d’abord une fluorescence, semblable à celle de l’état amorphe, et aucune morphologie particulière n’a pu être distinguée. Au bout de 5 jours, les nanoparticules s’auto-assemblent sous forme de sphères ce qui s’accompagne d’un déplacement hypsochrome de l’émission, rappelant la fluorescence du dérivé triphénylamine dans son état cristallin (Figure 62C).

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Figure 62 : A. Dérivés triphénylamine 92. B. Clichés de la poudre de synthèse avant et après broyage. C. Image FE-SEM des nanoparticules accompagnées des photos des nanoparticules en solution, après synthèse (à gauche) et après 5 jours (à droite). Figure adaptée de la référence 97.

De nombreuses études portant sur l’analyse photophysique de nanoparticules de complexes de difluorure de bore à ligands dicétones ont été réalisées, se focalisant essentiellement sur leurs possibles applications pour l’imagerie médicale et la mesure du taux d’oxygène dans les tissus biologiques liées à leurs propriétés de fluorescence et phosphorescence respectivement. Aucune étude visant à tester leurs réponses mécanofluorochromes n’a été réalisée.

Le groupe de Fraser a largement contribué aux études portant sur ce thème. Leurs nanoparticules ont été obtenues par la méthode de reprécipitation à partir de chaînes polymères. Différents types de polymères, polylactide (PLA)98-100, poly-(ε-caprolactone) (PLC)101, et copolymère, Polylactide-poly(ethylèneglycol) (PLA-PEG)102-103, ont été testés. Les complexes de bore dicétone sont soit introduits lors de la polymérisation, en jouant le rôle d’initiateur (Figure 63A), soit en post fonctionnalisation (Figure 63B), par greffage aux polymères via la réaction de Mitsunobu. Une large gamme de monomères a été examinée, visant à obtenir une large gamme de couleur de fluorescence et phosphorescence (Figure 63C). Des tests en milieu biologique révèlent la biocompatibilité de ces nanosystèmes.

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Figure 63 : A. Polymères PLA et PLC synthétisés avec le complexe bore dicétone introduit lors de l’amorçage de la polymérisation et mise en forme de nanoparticules avec clichés de fluorescence et phosphorescence. B. Molécules utilisées pour post-fonctionnaliser le copolymères PEG-PLA avec C. clichés de fluorescence et phosphorescence des nanoparticules obtenues. Adaptée à partir de différents articles de Fraser et al 98-99, 102-103.

Le groupe de F. Fagès s’est également penché sur l’étude de ce type de nanoparticules obtenues par la méthode de reprécipitation à partir de dérivés curcuminoïdes chélatés par le groupement BF2 99 et 100 (Figure 64)104. Les auteurs ont plus particulièrement examiné les propriétés d’absorption et fluorescence de ces nano-objets par excitation à un et deux photons notamment pour contourner le problème de perméabilité de la peau rencontré lors de l’excitation de ces fluorophores in vivo.

Figure 64 : Molécules étudiées par le groupe de Frédéric Fagès. Figure adaptée de la référence 104.

Enfin, dans leur article de 2014, Zhang et al., ont cherché à combiner dérivés de difluorure de bore et rhodamine dans le but d’induire un transfert d’énergie du complexe de bore dicétone 93 vers différents analogues de la rhodamine (Figure 65A) 105. Les auteurs ont obtenu des nanoparticules par la méthode de reprécipitation à partir d’un mélange de chaînes polymères poly-(ε-caprolactone) (PLC) dont la polymérisation a été initiée soit par les complexes de bore (BF2PLC) ou par la rhodamine (RhPLC) (Figure 65B). Des nanoparticules issues d’un mélange entre un polymère (BF2PLC) et une molécule de rhodamine possédant une longue chaîne alkyle ont aussi été étudiées. Selon les systèmes, différents types de nanoparticules possédant différentes propriétés émissives ont été obtenues (Figure 65C). Les nanoparticules NP3 ont montré une bonne biocompatibilité.

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Figure 65 : A. Molécule (RhB-C11) et polymères ciblés. B. Méthode de préparation des nanoparticules. C. Clichés des nanoparticules obtenues en suspension dans l’eau : NP1 (BF2dbmOMePLLA-RhB), NP2 (BF2 dbmOMePLLA-RhB-PLLA), NP3 (BF2dbmOMePLLA-RhB-C12). Figure adaptée de la référence105.