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Nathalie Berth est diététicienne, membre de l’AFDN (Association française des diététiciens-nutritionnistes) 6 Patrice Gross est médecin endocrinologue Les trois auteurs exerçaient au centre hospitalier de Roubaix au

Résultats de l’expérimentation auprès des soignants et des malades

5. Nathalie Berth est diététicienne, membre de l’AFDN (Association française des diététiciens-nutritionnistes) 6 Patrice Gross est médecin endocrinologue Les trois auteurs exerçaient au centre hospitalier de Roubaix au

L’émergence du concept d’éducation thérapeutique a permis de comprendre d’une autre façon le problème de ce type de patient. L’approche centrée uniquement sur la diététique apporte certes du savoir et du savoir-faire, mais en revanche, elle occulte tout ce qui touche au savoir-être et au savoir-devenir. Elle ne permet donc pas de rejoindre le patient dans la grande détresse person- nelle où il se trouve, du fait des échecs successifs de ses tentatives d’amaigrisse- ment. Il s’agit donc de passer d’un modèle biomédical, prescriptif à un modèle biopsychosocial, éducationnel [36]. Le paradigme « d’approche centrée sur le patient » évoqué dans le consensus de Toronto [91] et inspiré du « coun-

seling* » de Carl Rogers [27] apparaît dès lors très séduisant à explorer. Mais

ce genre d’approche (essentiellement humaniste) demande un lâcher prise immédiat du patient sur son but premier (perdre du poids) et risque de ne pas emporter son adhésion. Pour pouvoir concilier les aspects humaniste et prag- matique de la problématique présentée par ce type de patient, les thérapies comportementales et cognitives, notamment par le processus spécifi que qu’est l’analyse fonctionnelle, apparaissent comme un outil potentiellement prometteur. Ici, nous tenterons néanmoins d’en pointer les principaux atouts ainsi que les limites.

Fondements théoriques des thérapies comportementales et cognitives

Les thérapies comportementales et cognitives prennent appui sur des travaux scientifi ques issus, pour la plupart, du champ de la psychologie.

Le sentiment d’effi cacité personnelle

Au cours de l’intervention éducative, l’équipe renforce tout ce qui peut favo- riser l’acquisition de comportements effi caces dans l’objectif d’augmenter le sentiment d’effi cacité personnelle [15]. Des précisions peuvent être deman- dées à chaque personne afi n de l’amener à approfondir sa réfl exion. Des hypo- thèses peuvent également être posées, notamment quand des comportements récurrents sont repérés.

La démarche de résolution de problème

L’hypothèse de départ est que certains comportements dysfonctionnels sont pérennisés à cause de l’inadéquation de la solution adoptée face à un problème donné, ce qui peut générer des émotions négatives. La résolution de problème est un processus comportemental qui rend disponible une variété d’alternatives de réponses, potentiellement effi caces pour résoudre une situa- tion problématique. Ainsi, chaque participant doit identifi er les circonstances problématiques qui le conduisent à manger (après une journée de travail par exemple). Un brainstorming permet à chacun d’exprimer spontanément toutes les solutions, sans tenir compte de leur faisabilité. Chaque solution est ensuite évaluée en termes d’avantages et d’inconvénients. La solution qui présente le plus d’avantages et le moins d’inconvénients est conservée, puis testée sur un laps de temps donné. Après ce laps de temps, le résultat est évalué. Si la solu- tion fonctionne, elle est renforcée. Si, au contraire, elle ne fonctionne pas (ou

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pas à chaque fois), le problème est redéfi ni et le processus de résolution de problème réitéré.

La restructuration cognitive

Elle concerne, d’une part les diffi cultés relatées et d’autre part, les préoccupa- tions excessives concernant le poids et les formes corporelles. Le principe de base est que nous pensons sans cesse et avons des pensées qui surgissent spon- tanément, sans le vouloir. Ces pensées peuvent être un frein à la réalisation de nos objectifs (« si je mange du chocolat, c’est fi chu pour la journée » ; « si je veux perdre du poids, il va falloir que j’arrête les sorties au restaurant »). Elles engendrent des émotions négatives et peuvent alors renforcer des habitudes problématiques. En parvenant à mieux analyser l’impact des pensées auto- matiques, intrusives et perturbantes du quotidien, chacun peut prendre de la distance et réagir. Ainsi, chaque participant est amené à repérer les moments de forte émotion négative pour en décrire le contexte, la situation et les pensées qui en découlent (interprétation de la situation). Les erreurs de raisonnement à la base des interprétations erronées des faits sont remises en question. La personne apprend à donner un sens différent à l’événement. Cette réinter- prétation agit en retour sur les émotions qui deviennent plus appropriées, permettant la mise en place de comportements plus adéquats, plus effi caces et donc plus satisfaisants pour la personne. Elle défi nit ensuite son schéma cognitif, c’est-à-dire le postulat de base sous-jacent à toutes les cognitions. Elle est capable de reconnaître le lien entre certains jugements erronés, des émotions et des comportements inadaptés. Le temps et l’entraînement sont nécessaires à chacun pour changer sa façon de penser, ainsi que ses habitudes. La restructuration cognitive est la technique la plus développée pour le travail combiné sur les actes, les pensées et les émotions. Utilisée à chaque séance, elle permet également d’aborder le travail sur l’image corporelle avec des personnes qui ont souvent un discours d’autodévalorisation sur leur corps [7]. La restructuration cognitive permet d’élaborer des discours intérieurs diffé- rents et de favoriser la prise de conscience de la pression sociale. Ce travail se réalise notamment à travers la presse féminine et les catalogues de jouets qui refl ètent un idéal de bonne ménagère et de bonne maman, ainsi qu’un idéal corporel (poupée Barbie) [5]. La technologie moderne telle qu’Internet permet de trouver des sites présentant les transformations de certains modèles : les yeux s’agrandissent, le nez s’affi ne, les joues se creusent, les lèvres deviennent pulpeuses, le cou s’allonge…

Le contrôle des réactions émotionnelles

Il s’agit d’obtenir une diminution de la tension que la séance éducative a pu générer. Par l’apprentissage de la relaxation, les patientes apprennent à améliorer le contrôle de leurs réactions émotionnelles négatives (face au stress par exemple) et à éviter ainsi des prises alimentaires impulsives. Différentes techniques de relaxation sont proposées (training autogène de Schultz, relaxation musculaire de Jacobson) [29]. Cet apprentissage nécessite un entraînement régulier.

L’entraînement à la communication et à l’affi rmation de soi

L’objectif est d’apprendre à la personne à développer des comportements affi rmés. Cela permet de ne pas mettre en éveil le système émotionnel négatif lors de relations sociales potentiellement confl ictuelles qui peuvent générer des prises alimentaires. Il s’agit d’améliorer l’estime de soi en apprenant à éviter les comportements agressifs ou passifs généralement inefficaces, n’apportant pas de solutions. S’affi rmer permet ainsi de retrouver son senti- ment de liberté personnelle tout en faisant face aux pressions environnemen- tales. Les axes de travail sont nombreux : travail sur le comportement ouvert (quoi dire et comment le dire), travail sur les émotions (gérer les émotions inadaptées qui entravent les capacités d’expression), travail sur les cognitions (assouplir les croyances rigides sur la politesse ou sur les risques de jugement par exemple).

La gestion des dilemmes

Les personnes ont de nombreuses connaissances nutritionnelles, mais elles ont aussi leur propre vision de « La diététique » et de ses règles. Les médias, les personnels de santé, les nombreuses tentatives d’amaigrissement ont parti- cipé à cette vision souvent dichotomique de l’alimentation. D’un côté, il y a les aliments « permis », « diététiquement corrects », de l’autre, les aliments « interdits », ceux qui dérogent à la règle de la bonne santé, ou bien encore, ceux qui « font grossir » tels que les frites, les sauces, les bananes. Quant aux « permis », ils auraient le pouvoir inverse : celui de « faire maigrir » (le pample- mousse, les légumes, les produits à 0 % de matière grasse). Cette vision de l’alimentation mène à un dilemme psychologique du type « attirance/évite- ment » [67]. Ainsi, lorsque la personne approche « les interdits » – elle mange par exemple du chocolat –, le bénéfi ce à court terme est le plaisir procuré. Mais à long terme, la personne risque de culpabiliser et de se dire qu’elle ne maigrira pas. Si elle évite les « interdits » – par exemple, si elle ne mange pas de chocolat –, le bénéfi ce à long terme sera la possibilité de maigrir, mais à court terme, la personne risque de se sentir frustrée. Aucune des deux solu- tions ne semble donc entièrement satisfaisante. Ce dilemme renforce un état de culpabilité permanente vis-à-vis de la nourriture et accentue la restriction cognitive. L’enjeu est donc de réussir à « dédiaboliser » l’interdit (assouplisse- ment de la restriction cognitive) et de sensibiliser au goût des aliments [22].

La prise en charge par une équipe pluridisciplinaire

La prise en charge éducative, qui allie les dimensions cognitive et compor- tementale des patients obèses, se déroule en plusieurs temps et nécessite la participation active d’une équipe pluridisciplinaire.

Le médecin endocrinologue

Dans un premier temps, la personne rencontre le médecin. En général, elle imagine cette consultation comme la voie de « la dernière chance ». Elle se dit prête à se soumettre, sans limites, à l’autorité médicale et demande au soignant d’être son gendarme. Le rôle du médecin apparaît capital à ce

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moment puisqu’il s’agit de montrer à la patiente qu’elle est dans un cercle vicieux dont elle doit sortir. Un travail d’explication, délicat et parfois long, est nécessaire. Les qualités d’authenticité et de bienveillance empathique et le regard positif inconditionnel sont indispensables pour maintenir la confi ance, soutenir la personne et l’aider au recadrage cognitif de sa vision d’elle-même et des comportements qui en découlent [86]. Souvent, la personne est déçue, mais surtout troublée par ce nouveau discours : il s’agit de remettre le projet d’amaigrissement dans le cadre général du fonctionnement global de la personne, c’est-à-dire d’améliorer sa gestion de soi avant même d’entamer toute approche diététique. Le médecin va alors orienter la personne vers la psychologue, formée aux thérapies comportementales et cognitives.

La psychologue cognitivo-comportementaliste

Chaque patiente est rencontrée individuellement par la psychologue avant de commencer le travail thérapeutique en groupe. C’est le point de départ de l’ana- lyse fonctionnelle [43]. L’analyse est constante puisqu’elle s’enrichit et évolue au fur et à mesure des séances. La perspective générale est de travailler de manière synchronique et diachronique les inter relations subtiles entre compor- tement, émotion et cognition [33]. L’analyse fonctionnelle est fondamentale car elle va permettre de réfl échir aux comportements qui posent problème et de poser des hypothèses. En parallèle, les entretiens motivationnels commencent pour préparer la personne à l’approche éducative. Le but est d’aider la patiente à bien clarifi er son problème alimentaire et les répercussions sur sa vie, tout en préservant et en renforçant son sentiment de liberté personnelle de choix et d’action [67]. Lors du travail thérapeutique de groupe, le thérapeute va aider la patiente à solliciter elle-même ses ressources pour faire face à ses problèmes, sans jamais lui « plaquer » de solutions toutes faites.

La diététicienne

Initiée aux thérapies cognitives et comportementales, la diététicienne a consi- dérablement fait évoluer son approche7. Elle reçoit les patientes envoyées par le

médecin nutritionniste en consultation individuelle, soit pour une éducation nutritionnelle, soit pour amorcer l’approche motivationnelle en cas de réti- cence au suivi psychologique. Suite aux entretiens motivationnels, la patiente peut se rendre compte de la nécessité d’une aide psychologique : elle est alors orientée vers la psychologue. L’attitude développée par la diététicienne se base sur une relation de type collaboratif et non autoritaire [36]. Aucune relation de dominance n’est instaurée. En attente d’un énième régime miracle, les patientes sont souvent surprises par cette approche peu commune. Certaines se disent sceptiques, tandis que d’autres sont soulagées.

La diététicienne co-anime toutes les séances de groupe avec la psychologue. Son rôle est multiple : prise de notes (discours et réactions des patientes), participation aux expérimentations et aux jeux de rôle.

7. En l’état actuel, la formation professionnelle des diététiciennes apparaît largement insuffi sante pour prendre en

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