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Devoirs scolaires : un révélateur des conceptions de la pédagogie et des

CHAPITRE IV PRÉSENTATION ET INTERPRÉTATION DES

5.5. Devoirs scolaires : un révélateur des conceptions de la pédagogie et des

Houssaye (2015) souligne que « changer de pédagogie revient à changer de relation de base, soit de processus » (p.12). Les différentes postures pédagogiques et les différentes conceptions des dimensions et des processus en jeu dans les conceptions de la pédagogie telles que relevées en référence à notre outil d’intelligibilité d’une situation éducative viennent conforter la référence des enseignants à une pédagogie de l’enseignement-apprentissage, autrement dit l’adoption d’une pédagogie centrée sur le processus enseigner du côté de l’apprendre. Les enseignants, par leurs dires (Tableau 16) deux sur dix adoptent quatre types de pédagogies, quatre sur dix se revendiquent de trois types de pédagogies et quatre sur dix d’entre eux font référence à deux types de pédagogies. Majoritairement, c’est le processus enseignerdu côté de l’apprendre qui est mis en avant pour caractériser la pédagogie pensée et mise en œuvre dans la classe. Les enseignants assument être dans leur grande majorité des transmetteurs de savoir. Ils conçoivent, structurent, organisent et transmettent magistralement le savoir à l’élève qui l’applique (Houssaye, 2013, 2014). Mais cette magistralité de l’acte d’enseigner est interrompue par des activités de questionnement et des exercices ayant pour finalités principales le contrôle de la soumission aux consignes et aux règles et la vérification des acquis. Dans cette perspective, les devoirs scolaires constituent un prolongement des activités d’enseignement-apprentissage et un moyen de contrôler les acquis.

Le processus enseignerdu côtéformerconstitue aussi la référence de la pédagogie telle qu’elle est conçue et réalisée en classe. Les enseignants se perçoivent comme des modèles à suivre et à écouter, des organisateurs, la plupart considèrent qu’ils sont des médiateurs entre le savoir et l’élève. Par des questions, ils estiment qu’ils stimulent le développement des capacités métacognitives des élèves. Ces enseignants cherchent ainsi à ce que l’élève soit en mesure de construire ses savoirs qu’il doit ensuite restituer dans le cadre d’évaluations sommatives (Houssaye, 2013, 2015). Les devoirs permettent à l’enseignant de prolonger cet objectif de vérifier que les savoirs sont acquis, voire

compris. Si les devoirs soulèvent chez l’élève des difficultés, l’enseignant se réclamant de ce processus enseigner du côté former fera appel à nouveau à des interactions avec l’élève considérant que l’intensité de ces interactions, notamment à propos des devoirs à réaliser, leur permettra d’acquérir les savoirs en jeu dans l’activité proposée.

Le processus apprendredu côtéenseignerest adopté par quelques enseignants. Il s’agit de proposer des activités en situation authentique dont on parie qu’elles seront porteuses d’apprentissages. L’enseignant se perçoit ici comme un référent, mais aussi comme un superviseur. Chaque élève doit réaliser une activité et expérimenter des stratégies de réponse à la problématique contenue dans l’activité en situation. Chaque élève procède ainsi par essai et erreur. L’enseignant est un référent pour l’élève, en quelque sorte une personne-ressource. Mais il est aussi un superviseur attentif au bon déroulement du processus d’apprentissage.

Le processus apprendredu côtéformerexprime le souhait des enseignants de créer chez l’élève les conditions de son apprentissage autonome. L’enseignant valorisera chez l’élève tout ce qu’il considère comme des facilitateurs d’apprentissage : identification des besoins des élèves, de leurs caractéristiques d’apprentissage ou profils d’apprentissage, de leurs forces, de leurs compétences ou qualités. L’enseignant se perçoit comme un accompagnateur non pas des apprentissages, mais de l’élève dans son propre processus d’apprentissage. Parfois des enseignants évoqueront à cet égard le recours à la pédagogie différenciée (Perrenoud, 2014) ou à la pédagogie coopérative.

Le processus formerdu côté de l’apprendreest invoqué par quelques enseignants qui se réclament d’une pédagogie active, mais non directive. Ils se déclarent être des formateurs-émancipateurs de l’autonomie de l’élève. Ce qui compte ici, c’est un climat de classe favorable au respect des projets individuels de chaque élève. Les devoirs scolaires constituent une occasion pour ces enseignants de favoriser chez l’élève l’autoformation et l’autoapprentissage.

Tableau 16 : Conceptions des pratiques enseignantes des enseignants du

secondaire au Québec

Type de

pédagogie Caractéristiques de la pédagogie Sujets Rapport  Quelle activité principale pour l’enseignant ?

Quel profil d’enseignant ?  Quelle finalité ?

 Quelle configuration pédagogique ?  Quelle posture attendue chez l’élève ?  Le sens des activités ?

 Le sens des devoirs scolaires ? ENSEIGNER

du côté FORMER

 Organiser la rencontre entre l’élève et le savoir  Un enseignant-médiateur

 Aider l’élève à construire un savoir, à se l’approprier  Une pédagogie de la formation-apprentissage reposant sur

les interactions enseignant-élève  Un élève qui observe et écoute

Des activités de formation-apprentissage Un outil-relai supervisé des autres activités

L2, L4, B1, C2 F1, L1 6/10 ENSEIGNER du côté APPRENDRE

 Structurer et transmettre le savoir à l’élève  Un enseignant-transmetteur

 Transmettre à l’élève le savoir et vérifier qu’il le “sait”  Une pédagogie de l’enseignement reposant sur la

magistralité et l’exercisation

 Un élève qui reçoit et obéit aux prescriptions et aux règles  Des activités d’enseignement-apprentissage

 Un outil de prolongement-contrôle des autres activités

C1 M1 G1 L4 B1 F1 C2 L1 8/10 FORMER du côté

 Favoriser une gestion de classe propice à créer les conditions de l’enseignement

L3, C2

ENSEIGNER  Un formateur-préparateur

 Échanger, discuter, négocier avec l’élève  Une pédagogie de la gestion-négociation

 Un élève qui discute et qui contractualise avec l’enseignant

Des activités socialisatrices et centrées sur la compréhension du contrat didactique

Un outil de collaboration, voire de coéducation avec les parents

FORMER du

côté APPRENDRE

 Favoriser les conditions de l’autoapprentissage  Un formateur-émancipateur de l’autonomie d’autrui  Poser des questions, vérifier le climat de classe et le

respect des projets individuels

 Une pédagogie active, mais non directive du “ penser-à- l’autre ” favorisant l’acquisition des moyens d’apprendre  Un élève qui s’affranchit des prescriptions et des règles de

l’institution scolaire

Des activités porteuses d’apprentissages

Un outil d’autoformation et d’autoapprentissage

G1 L3 L4 3/10 APPRENDRE du côté ENSEIGNER

 Construire des situations prenant appui sur des activités porteuses d’apprentissages

 Un enseignant-référent et superviseur

 Fournir la planification des activités, le calendrier de production et les indicateurs d’évaluation

Une pédagogie structurée par le triangle situations- activité-apprentissage

Un élève qui procède par le suivi et l’auto-évaluation d’un guide d’activités

Des activités pensées comme des situations d’enseignement-apprentissage F1 G1 C1 M1 4/10

 Un outil de cosupervision et de co-contrôle des apprentissages

APPRENDRE

du côté FORMER

Créer les conditions de l’apprentissage autonome en aidant à identifier les besoins, les forces et qualités et les projets

 Un enseignant-compagnon

 Tout faire pour que l’autre fasse, intervenir sans intervenir (aider à identifier chez chacun les attentes, les besoins, les forces et qualités, les prérequis, les préacquis et les projets d’éducation, de vie… professionnels)

 Une pédagogie de l’autonomie et de l’émancipation  Un élève qui apprend sur lui-même

 Des activités d’autoapprentissage

 Un outil d’accompagnement des apprentissages

L1 L2 L3 C2, L4 5/10

Cette recherche en vient à interroger, tout comme Houssaye (2015, p.19), « la cohérence de l’ensemble éducatif » (p. 19) dans un système où l’élève est au centre des apprentissages et l’enseignement-apprentissage l’alpha et l’oméga de toute situation éducative (Québec, 2004, 2005, 2006), dans Virage Express (Québec, 1999, 2007, 2010). Nous considérons que cette norme de l’enseignement-apprentissage imprime les conceptions de la pédagogie, ce qui explique pourquoi la majorité des enseignants rencontrés exprime une conception de la pédagogie centrée sur le processus enseigner. Même si l’apprendre est évoqué comme finalité de ce processus enseigner, il ressort de nos analyses que cet apprentissage est considéré comme constitutif des activités prescrites, que celles-ci se réfèrent ou non explicitement à des situations authentiques. Que dire enfin des conceptions de l’apprentissage ? Develay (1992) considère qu’il s’agit d’un processus complexe dont on ne connaît pas toujours le but. Dans cette perspective, apprentissage, acquisition et compréhension semblent des concepts qui résistent avec difficulté à la tentation fusionnelle, comme d’ailleurs le couple activité-apprentissage.

L’étude a mis au jour les conceptions de la pédagogie. Elle s’est proposé aussi de mettre en évidence les conceptions des pratiques enseignantes en insérant un pôle supplémentaire au triangle pédagogique, le pôle que nous avons nommé “ tiers intervenant éducatif ”. En effet, la figure du triangle pédagogique se centre sur la situation éducative impliquant l’enseignant. En convoquant les textes officiels et en ayant mis à jour l’une des injonctions à savoir la collaboration École-famille-communauté, nous introduisons délibérément un protagoniste supplémentaire, partie prenante de la situation éducative : le parent.

Or, le parent est considéré par les enseignants rencontrés, quel que soit le type de pédagogie retenue, comme un double de l’enseignant, particulièrement lorsque la pédagogie revendiquée relève du processus enseigner. Là où le parent est attendu dans une pédagogie n’épousant pas complètement celle de l’enseignant, c’est lorsque celle-ci s’oriente vers l’apprendre. Les enseignants semblent attendre des parents qu’ils démultiplient deux objectifs constitutifs du processus enseigner du côté de l’apprendre : 1. Un contrôle des devoirs faits et une vérification de la bonne acquisition des savoirs, 2. Une participation à des devoirs pensés par l’enseignant comme des activités

d’entraînement, reposant sur la mémorisation des savoirs et la répétition de démarches, de techniques ou de procédures. Le parent aurait ici un rôle d’entraîneur et de répétiteur au sens de la pédagogie traditionnelle.

Les parents sont aussi “présents” chez les enseignants lorsqu’ils évoquent une pédagogie centrée sur le processus apprendre. Dans ce cas, les parents ont le mandat de vérifier non pas les acquis, mais davantage les apprentissages, ce qui suppose sans doute de leur part une maîtrise du contenu des devoirs voire des théories de l’apprentissage. Certains enseignants rencontrés espèrent que les devoirs, au secondaire, favorisent la mise en place, chez leurs élèves, de postures et de pratiques d’autoapprentissage. Dans ce cas, les parents auraient principalement un rôle de supervision, ce qui pourrait s’expliquer par le fait que certains parents déclarent, aux dires des enseignants et dans certaines études, leur incompétence (Belot, 2011) dans la maîtrise de telle ou telle partie du

programme. Quant à une pédagogie, en ce qui a trait au rôle des parents dans un tel contexte, les enseignants rencontrés admettent que les caractéristiques de l’élève du secondaire, en pleine adolescence, laissent peu de place à un renforcement des liens parents-enfants, en particulier dans le contexte sensible des devoirs scolaires.