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CHAPITRE I PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE

1.4. Aide aux devoirs : un marqueur d’une imputation de la réussite scolaire

Si l’on traite des devoirs à l’école et des différents dispositifs et démarches mobilisés pour superviser, accompagner, soutenir et aider les élèves dans la réalisation de leurs devoirs, les formes de cette aide à la réalisation des devoirs semblent se soumettre à deux logiques distinctes (Epstein, 2012). Nous renvoyons le lecteur au Tableau 1. Une première logique consiste à affecter des moyens supplémentaires en direction d’une population particulière d’élèves censée devoir prioritairement bénéficier d’un soutien scolaire (Bressoux, 2006 ; Perrenoud, 1991a) ou d’un accompagnement individualisé (Clerc, 2011 ; Maubant, 2009 ;Meirieu, 1995, 2012).

Une seconde logique vise à apporter cette aide aux élèves uniquement par l’intermédiaire de changements dans les pratiques éducatives et dans les relations enseignants-élèves (Houssaye, 2000, 2011 ; Maubant, 2007, 2009). La conception et la mise en œuvre de ces deux formes d’aide aux devoirs interrogent donc la conception de l’imputation de la responsabilité de l’aide aux devoirs. Ces dispositifs d’aide aux devoirs doivent-ils relever de dispositifs spécifiques pris en charge par des acteurs, publics ou privés, en partie externes à l’école ? Ou doivent-ils être pensés et mis en œuvre par l’enseignant, soit à l’intérieur des espaces-temps scolaires, soit en prolongement de ceux- ci sous la forme d’études dirigées par exemple ? Si l’on retient la seconde conception, alors, on interroge aussi la conception des pratiques enseignantes. Quelles que soient les deux conceptions à l’origine des dispositifs d’aide aux devoirs, on questionne aussi la

problématique de la collaboration École-famille-communauté (Bressoux, 2009 ; Larivée, Terisse et Kalubi, 2006).Quelles formes cette aide ou cet accompagnement prennent-ils ? Comment ces démarches et dispositifs reconfigurent-ils les relations École-famille- communauté ?

En effet, l’attribution de moyens supplémentaires est souvent associée à une réorganisation des dispositifs d’aide aux élèves, que ceux-ci soient pensés dans ou à l’extérieur de l’établissement ou de la classe (Paquay, Perrenoud, Altet, Étienne et Desjardins, 2014). Le tableau suivant (Tableau 1) présente une schématisation de l’articulation de ces deux logiques qui nous apparaissent complémentaires dans l’accompagnement de la réalisation des devoirs. Il souligne aussi l’importance des liens École-famille-communauté dans la conduite et sans doute dans la réalisation de cet accompagnement (Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse, 2009).

Tableau 1 : Les différentes formes d’aide aux devoirs (Epstein, 2012) et

les liens École-famille-communauté

Première logique Deuxième logique Pour les élèves en appui : des

ressources additionnelles en heures ou en enseignants (Epstein, 2004)

Faire des changements dans les pratiques et les relations pédagogiques (Epstein, 2004)

Privilégier l’axe École-famille-communauté dans l’accompagnement de l’élève, pour former une communauté éducative (CCA, 2007 ; Kalubi, 2008 ; Larivée, Kalubi et Terrisse, 2006 ; Python, Asdih et Larivée, 2008 ; Gouvernement du Québec, 2009)

Les deux logiques soulignent différentes conceptions des pratiques enseignantes si l’on considère celles-ci comme des pratiques visant à créer les conditions favorables aux apprentissages des élèves. Il semble qu’une pratique enseignante recourant à différentes formes et modalités de collaboration externe et interne avec d’autres acteurs, comme les

parents par exemple, se nourrit aussi des conceptions des dispositifs et démarches d’aide à la réalisation des devoirs. Dès lors, s’exprimer sur l’aide aux devoirs, c’est exprimer et expliciter aussi ses conceptions des pratiques enseignantes selon deux perspectives : l’une accordant à l’enseignant une place centrale dans la conduite de ces dispositifs et démarches. Une seconde conception qui situe l’enseignant aux côtés d’autres acteurs, notamment les parents et qui inscrit la pratique enseignante dans le paradigme de la communauté éducative (voir Figure 1). Il s’agit ici d’un modèle reposant sur la concertation entre les partenaires sociaux et sur la recherche du consensus (Larivée, Kalubi et Terrisse, 2006 ; Python, Asdih et Larivée, 2008). Selon ces auteurs, le modèle de la communauté éducative2 n’affecte pas l’école sur le plan de son efficience. Il inscrit

les pratiques enseignantes comme pensées et mises en oeuvre au sein d’une collaboration École-famille-communauté.

Figure 1 : Axe des liens École-famille-communauté

L’école est donc appelée à renforcer, voire à créer des rapports étroits et finalisés avec les parents pour instituer une communauté éducative (Québec, 2007, 2009 ; Python, Asdih et Larivée, 2008) sur laquelle on gage qu’elle contribuera à la réussite scolaire. Le paradigme de la communauté éducative confère aux dispositifs et aux démarches d’aide

2Tout en étant conscient qu’il n’existe pas de formule magique pour remédier aux difficultés de l’école secondaire, le Conseil Suérieur de l’Éducation (CSE) propose au milieu de s’engager dans une démarche de transformation de l’école en “ communauté éducative ”, soit : une école qui mobilise tous ses acteurs, autant à l’interne que dans la communauté environnante, et qui mise sur le partage et la qualité de leurs relations pour réaliser sa mission de formation (CSE, 2017).

aux devoirs l’occasion d’éclairer l’analyse des conceptions des pratiques enseignantes, que celle-ci soit envisagée dans ou hors la classe (Grau et Zakhartchouk, 2010, 2011 ; Paquay, Perrenoud, Altet, Étienne et Desjardins, 2014).

Ces auteurs mentionnent qu’ils se développent parfois différents dispositifs individualisés d’aide aux devoirs, au sein même de l’établissement scolaire, comme la supervision par des élèves plus âgés par exemple, le recours à des parents bénévoles, la mobilisation d’un enseignant dédié à l’aide aux devoirs, l’usage de plates-formes numériques développant des activités d’autoapprentissage supervisées à distance par un tuteur. Les dispositifs d’aide aux devoirs, comme activité éducative pensée et mise en oeuvre sur le temps scolaire, soulignent aussi les différentes interprétations d’une pratique enseignante copartagée ou non entre les enseignants et les parents (Cooper, 2007 ; Hallam, 2009).

1.5. Devoirs scolaires : un engagement de l’État, de la société et

des familles

Il nous semble aussi que les devoirs constituent, certes, un enjeu éducatif et pédagogique, mais aussi un enjeu politique, dans la mesure où le fait de donner des devoirs est, semble-t-il, une pratique très répandue dans les établissements scolaires du Québec. 99% des directions scolaires interrogées déclarent en effet que leurs enseignants y font parfois, voire souvent recours (Deslandes et al, 2008). 80 % des enseignants québécois déclarent qu’ils donnent des devoirs à faire 3 à 4 jours par semaine. 13% d’entre eux affirment en donner 5 jours par semaine (Statistique Canada, 2009). Au Canada, 94% des enseignants québécois déclarent donner toujours ou quotidiennement des devoirs, contre seulement 55% des enseignants dans l’ensemble du Canada.

Parallèlement, les dispositifs de soutien scolaire réalisés en dehors de l’établissement scolaire, à l’initiative des familles, prennent une importance grandissante (Béliveau, 2013, 2009 ; Duclos, 2006). Mais la présence croissante de tels dispositifs en

dehors de l’établissement scolaire peut aussi souligner un vaste mouvement de rejet de l’institution éducative (Lafontaine, 1999), cette réalité a tendance à se développer aussi en Europe. Elle est parfois associée aux mouvements de l’école alternative ou à la pédagogie active3 (Ferrière, 1922) et souvent la conséquence de mouvements

idéologiques et politiques s’opposant à la mainmise de l’état sur ce qui relève de la sphère privée et tout particulièrement de la famille. Il demeure que l’essor des dispositifs d’école à la maison soulève différentes problématiques : respect des programmes de l’école publique, compétences pédagogiques des parents. Or, on ne s’improvise pas enseignant (Paul, 2009 ; Soëtard, 2011). Le paradigme de la communauté éducative (Maubant et Roger, 2010) n’épouse pas de tels mouvements. La réussite éducative intègre la réussite scolaire réalisée dans l’espace-temps de l’école et aussi un ensemble d’activités éducatives hors l’école et hors la classe pensées comme complémentaires aux activités d’enseignement-apprentissage. Qu’il s’agisse de l’aide aux devoirs pensée et mise en œuvre dans l’établissement scolaire ou de l’aide aux devoirs dont l’initiative revient aux parents pouvant faire appel à des entreprises spécialisées (Clément, 2011; Kerviel, 2012), la mise en place de dispositifs d’aide aux devoirs interroge la problématique de l’école hors l’école, celle de la collaboration enseignants-parents, celle du bien-fondé du paradigme de la communauté éducative, celle enfin du temps scolaire versus les temps de vie ou les temps privés. Mais le développement croissant de dispositifs d’aide aux devoirs donne aussi à réfléchir sur des conceptions des pratiques enseignantes du point de vue de l’enseignant bien sûr, mais aussi du point de vue des co-acteurs de la situation éducative : les élèves et leurs parents.

3La pédagogie active se réfère historiquement à Ferrière (1879-1960) qui, au début du XXe siècle, a été parmi les premiers à utiliser l’appellation école active dans ses publications. Elle est une des bases du courant d’Éducation nouvelle.

1.6. Devoirs scolaires : des enjeux de réussite scolaire aux enjeux