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CHAPITRE II – CADRE CONCEPTUEL ET THÉORIQUE

2.9. Des conceptions de la pédagogie aux conceptions des pratiques

Pour Houssaye (1988, 2000), la situation éducative peut être analysée à partir d’une figure : le triangle pédagogique (Figure 7). Ce triangle est composé de trois éléments : l’enseignant, l’élève et le savoir (Houssaye, Ibid.). Lire et analyser les

conceptions de la pédagogie chez l’enseignant à partir de ce triangle permet de mettre à jour ses conceptions des interrelations entre trois pôles fondamentaux: l’élève, l’enseignant et le savoir. Cela permet aussi de révéler vers lequel des trois processus enseigner, former ou apprendre se pense, s’organise et se structure la pensée pédagogique de l’enseignant. Le triangle pédagogique est donc en quelque sorte un modèle de lecture, de compréhension et d’intelligibilité des conceptions pédagogiques et plus généralement des pratiques enseignantes, considérant que la pédagogie donne à lire des conceptions des pratiques enseignantes. Dans cette perspective, la figure du triangle pédagogique révèle aussi la conception de l’action éducative, qu’elle soit pensée à partir de l’enseignant, de l’élève ou du savoir.

La convocation de la figure du triangle pédagogique permet de situer les conceptions de la pédagogie à partir de deux principales entrées : celle du pôle (enseignant-élève-savoir) et celle du processus (enseigner, former, apprendre) privilégié par l’enseignant. Dans le cadre de cette recherche, nous intégrons un autre pôle, sans ajouter un quatrième processus. Ce nouveau pôle est imposé par cette activité scolaire que sont les devoirs. Il concerne d’autres intervenants, qu’ils soient parents, autres professionnels ou non professionnels de l’éducation ou de l’enseignement.

Le choix d’utiliser les devoirs scolaires comme analyseur-révélateur des conceptions des pratiques enseignantes nous conduit à enrichir la figure du triangle pédagogique tout en considérant que ce triangle demeure une grille d’analyse et d’intelligibilité appropriée (Houssaye, 1988, 2000). Nous conservons les deux entrées : les pôles et les processus. Mais nous ajoutons un quatrième pôle : celui de « tiers éducateurs ». Autour de ce triangle, nous proposons aussi d’identifier le cercle de la situation éducative, celle-ci intégrant l’environnement social et familial (Figure 7).

Nous proposons une adaptation de cette figure du triangle en remplaçant la notion de savoir par le construit devoirs scolaires (Figure 7). Nous considérons que le savoir est constitutif d’une activité scolaire. En situant les devoirs scolaires comme une activité porteuse de savoir, nous posons comme postulat qu’il n’y a pas de savoir en tant que tel,

mais des activités porteuses de savoirs. Si nous suivons Charlot (2005) nous indiquant qu’il n’y a pas de savoir, mais qu’il y a des rapports au savoir, alors, nous pourrions considérer que les devoirs scolaires contiennent en eux des savoirs, mais aussi des rapports au savoir.

Figure 7 : Rapports Devoirs scolaires-Enseignant-Élève selon le

modèle du triangle pédagogique de Houssaye (

1988,

2000)

En interrogeant les enseignants sur leurs conceptions de la pédagogie et in fine sur leurs conceptions des pratiques enseignantes, nous nous situons à la fois dans et hors la classe. Le choix de prendre en compte ces deux situations éducatives nous est imposé par la spécificité de l’activité des devoirs scolaires et par le fait que celle-ci ne mobilise pas que l’enseignant. Si les conceptions de la pédagogie nous donnent à lire les conceptions des pratiques enseignantes, c’est parce que nous considérons que ces pratiques ne se réduisent pas à la seule situation de classe, mais qu’elles prennent en compte d’autres situations éducatives et d’autres situations d’enseignement-apprentissage dans lesquelles et par lesquelles l’enseignant n’agit pas seul. Afin de mettre au jour les conceptions de la pédagogie, nous souhaitons proposer au lecteur les principales caractéristiques des trois processus en jeu et mis en évidence par la figure du triangle pédagogique.

2.9.1. Le premier processus : ENSEIGNER

Première caractéristique : l’enseignant identifie, au sein d’une activité scolaire prescrite, des savoirs à enseigner. Dans ce processus enseigner, l’action de l’enseignant est d’abord et avant tout un dialogue avec le savoir, puis une interrogation sur l’activité la plus à même d’atteindre son objectif d’enseignement. L’enseignant “instruit” le savoir avant d’instruire l’élève. Ce processus enseigner sert l’objectif d’instruction. Ce double dialogue nous semble présent dans la prescription des devoirs scolaires. Seconde caractéristique : dans le processus enseigner, l’objectif d’enseignement est contenu dans une forme particulière, dénommée la leçon ou le cours magistral. Troisième caractéristique : cette forme caractérisant le processus enseigner est au service d’une relation de transmission du savoir de l’enseignant vers l’élève. Quatrième caractéristique : dans le processus enseigner, l’élève n’agit pas. Il reçoit ou feint de recevoir le savoir. Il fait le mort ou simule sa disparition. Cinquième caractéristique : cette forme relationnelle qualifiée de transmissive est emblématique nous dit Houssaye (2014) de la pédagogie traditionnelle.

2.9.2. Le second processus : FORMER

Première caractéristique, dans ce processus, c’est la relation enseignant-élève qui est privilégiée. Ce processus sert l’objectif de socialisation, l’une des trois missions de l’école québécoise9. Il s’agit de privilégier une relation enseignant-élève qui crée les

conditions chez l’élève d’optimiser son potentiel de devenir “ homme ”. Seconde caractéristique du processus former, la relation enseignant-élève est déterminante pour penser la situation éducative et la pédagogie. Cette visée relationnelle est contenue dans la forme proposée à l’élève. On le questionnera. On sera vigilant quant à la prise en compte de ses caractéristiques, de ses besoins et de ses projets. On favorisera son écoute et des dialogues avec lui. L’enseignant veillera à ce que cet élève soit bien.

Il agira avec lui avec bienveillance, au sens de bien veiller à se montrer attentionné envers l’élève. Troisième caractéristique : cette forme privilégiant la bonne relation entre l’enseignant et l’élève cherchera à contenir le savoir. Il s’agit ici de mettre à distance ce qui pourrait interférer entre l’enseignant et l’élève. Nous faisons l’hypothèse que dans le cadre du processus former, centrer la situation éducative sur l’activité permet à l’enseignant de mettre à distance le savoir et donc de favoriser la qualité de la relation avec l’élève. Quatrième caractéristique, le savoir est mis à l’écart. Il est absent de la situation. Il “ fait le mort ”. Cinquième caractéristique du processus former, la relation enseignant-élève favorise une pédagogie de la mise en confiance, une pédagogie prenant appui sur des techniques de valorisation et de renforcement positif.

2.9.3. Le troisième processus : APPRENDRE

Il caractérise les relations entre l’élève et le savoir. Première caractéristique de ce processus: favoriser la rencontre élève-savoir. Seconde caractéristique: une relation quasi exclusive élève-savoir. Troisième caractéristique du processus apprendre: faire de l’élève un apprenant. Si le savoir est porté par les activités scolaires proposées aux élèves, l’enseignant doit agir ici, par l’acceptation de son propre retrait, de créer chez l’élève les conditions de son apprentissage. En proposant une activité particulière, car se situant dans et hors la classe, donc sous et sans supervision de l’enseignant, celui-ci fait le pari que cette rencontre entre l’élève et le savoir aura bien lieu et qu’elle fera de l’élève un apprenant. Quatrième caractéristique, l’enseignant “ fait le mort ” ou plus exactement il cherche à tout faire pour que l’élève apprenne. Il créera ainsi les conditions pour que l’élève agisse, qu’il soit en position d’action, d’initiative, de création (Soëtard, 2001, 2011). La typologie des devoirs scolaires, que nous avons présentée plus haut, nous permet d’identifier un type de devoir, sans doute le plus à même de correspondre à cette visée de création. Ce sont les devoirs de création et les devoirs visant l’intégration de nouveaux concepts, ce qui suppose une bonne synthèse des acquis de la matière enseignée antérieurement, et aussi ce qui requiert chez l’élève une relative autonomie. Cinquième caractéristique du processus apprendre, la nécessaire rencontre entre l’élève et

le savoir favorise une pédagogie du questionnement, mais qui ne peut pas être une forme renouvelée et ouverte de la pédagogie magistrale.

Cette pédagogie du questionnement doit conduire l’enseignant à renouveler sa posture et ses gestes, c’est-à-dire une posture d’écoute, d’attention flottante, une posture d’effacement. Il demeure qu’en déléguant cette pédagogie à des tiers (des parents ou d’autres intervenants), l’enseignant prend le risque de parasiter cette pédagogie en introduisant d’autres formes pédagogiques qui incarneraient d’autres processus, notamment le processus enseigner. Nous pouvons considérer que l’analyse des trois processus met en évidence les cinq caractéristiques suivantes :

1. Le sens du processus

2. Le cœur du processus, sa pierre angulaire 3. Les conditions de réalisation du processus

4. Le statut et la fonction de celui qui “ fait le mort ” 5. La pédagogie spécifique du processus

Convoquer la figure du triangle pédagogique, à partir d’une activité scolaire particulière : les devoirs scolaires nous permet ainsi, dans un premier temps, d’inviter les enseignants à exprimer et à expliciter leurs perceptions du processus enseigner, du processus former et du processus apprendre. Cela nous permet aussi de recueillir les conceptions des enseignants sur la pédagogie qu’ils mettent en œuvre. Enfin, en favorisant l’expression et l’explicitation des conceptions de la pédagogie, nous visons à rendre compte à des fins d’intelligibilité des conceptions des pratiques enseignantes. Le triangle pédagogique est donc pour nous un modèle d’intelligibilité des conceptions de la pédagogie et des pratiques enseignantes. Il doit aussi servir d’outil de formation, en ce sens qu’il pourrait être utilisé dans la formation à l’enseignement.

2.10. Émergence d’un quatrième pôle : des parents et des tiers