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LA GUERRE DES GUERRES. Deux mille sept jours,

soixante millions de morts. La planète à feu et à sang sur dix

fronts. (LB, p. 11)

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3.1° La débâcle

Le 14 juin 1940 au matin, apparaît « la longue traînées de blindés, de camions boches,

au coin du boulevard Haussmann » (LPC, p. 104) ;« [...] ils se sont installés dans la Ville

Ouverte, Vous avez été trompés, Nous n'avons rien contre les Français, Nous ne voulions pas

vous faire la guerre, Nos ennemis et les vôtres ce sont les Anglais et les juifs, le camion avec

le haut-parleur au coin de la rue Royale me corne encore les oreilles » (LPC, p. 19)raconte

Serge Doubrovsky. « La France vient d'être écrasée. Une part essentielle de l'Europe

continentale est désormais soumise aux systèmes totalitaires

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».

Le 17 juin 1940 Pétain fait « à la France le don de [sa] personne. » Il dit, « le cœur

serré », qu’« il faut cesser le combat ». Quatre-vingts parlementaires sur les 649 votants

refusent, le 10 juillet 1940 à Vichy, d'accorder les pleins pouvoirs à Pétain. La France est

gouvernée depuis Vichy par le maréchal Pétain.

« J’ai toujours considéré le maréchal et Vichy comme de la merde » raconte Jorge

Semprun à Paul Alliès

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. Le garçon qui a fui l'Espagne à quinze ans, est maintenant un

adolescent à la conscience politique en éveil, prêt à participer au combat de la Cité, à

s'engager. « La guerre d'Espagne est finie, je suis un rouge de quinze ans de l'armée en

déroute ». (AVC, p. 185) Le 11 novembre 1940, c'est à l’occasion d’une marche étudiante

place de l'Étoile, que Jorge Semprun, le lycéen de philosophie, donne les premiers signes

publics d'engagement. Rien de patriotique, mais le refus du fascisme. Lui, le « rouge

espagnol », répondra à la sollicitation de son camarade, Le Cloarec : « [...] donc,

pratiquement, nous allons participer à une manifestation patriotique sur la tombe du soldat

       

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Jorge Semprun, Mal et modernité, [1990], Paris, Éditions Climats pour la version française, 1995, p. 10.

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Paul Alliès, « Écrire sa vie » : entretien avec Jorge Semprun, Pôle Sud : Biographie et politique, n°1, automne 1994, p. 28.

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inconnu, moi, Breton et toi, métèque, sale Espagnol rouge de mes fesses, parce que

aujourd'hui, concrètement, c'est ce qui peut emmerder davantage les nazis [...] ». (GV, p. 216)

3.2° L'Exode

Juin 1940, Julien Doubrovsky est un garçon de douze ans, il regarde l'Histoire :

[...] boulevard Haussmann des jours et des jours, ces files effarées de fuyards, voitures avec

les ballots sur les toits, charrettes à bras bourrées de valises, tout Paris, des vieux, des gosses,

qui se conchie en une course folle, déchets, humains déchus, courant vers quoi, vers qui [...]

(LPC, p. 10)

« Toute la France qui fuit sur les routes, Paris qui se débine, qui se dégonfle à vue d'œil, dans

le quartier, on est presque seuls. Partir, ne pas partir » (LB, p. 191), Julien ne suivra pas la

foule des réfugiés :

le Père a décidé, on ne part pas, destin joué à pile ou face, à nos risques et périls, qu'est-ce

qui nous attend, on attend ici, voilà, inutile de vouloir s'échapper, l'étau se resserre, se

referme, début juin, boulevard Haussmann, au lieu des fuyards, déferlement des vainqueurs

hilares, torse nu sur leur camion certains, cheveux blonds rasés courts au vent, dans un

tintamarre étourdissant de ferraille, estafettes en moto, officiers en auto, mes deux cousins et

moi qui regardons paralysés, pétrifiés [...]. (LPC, p.10)

La famille Doubrovsky reste à Paris mais elle quitte le 39 de la rue de l'arcade pour le

Vésinet, propriété du grand-père. Julien ira donc au lycée Debussy à Saint-Germain, « il

faudra qu' [il s'] y trimballe en vélo, une sacrée trotte, des kilomètres et des kilomètres [...] ».

(LPC, p. 19)Parcours sportif.

« De l'Exode, je n'ai personnellement, aucun souvenir [..] » (WSE, p. 76) raconte

Georges Perec. Le petit garçon est âgé de quatre ans. Une photo garde la trace de ces années :

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« je pilote une petite voiture, rouge dans mon souvenir, ici manifestement claire, avec

peut-être quelques enjolivures rouges (grille d'aération sur les côtés du capot) ». (WSE, p. 76)La

guerre pour « Jojo », c'est un papa soldat engagé pour défendre sa patrie d'adoption, c'est les

masques à gaz que les enfants apprennent à porter à l'école : « on nous fait essayer des

masques à gaz : les gros yeux mica, le truc qui pendouille par-devant, l'odeur écœurante du

caoutchouc ». (WSE, p. 78)La guerre, c'est un peu l'aventure.

Juin 40 : Jorge Semprun regarde « la France (qui) s'effondrait dans les affres

tragi-comiques de ‘’l'étrange défaite’’ ». (AVC, p. 110) L'adolescent a déjà une guerre derrière lui.

Paris est la ville de ses quinze ans, de l’« appropriation » de la langue française, de la

découverte de la féminité et de ses secrets. Il s'est choisi un guide remarquable : Charles

Baudelaire. « Le cœur content, je suis monté sur la montagne / D'où l'on peut contempler la

ville en son ampleur [...]

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» ; « À nous deux, Paris !

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». Son éducation catholique et

bourgeoise ne lui a pas permis de déchirer le voile opaque qui recouvre le sexe et ses

mystères. La salle des Rubens au Prado ne lui était pas accessible, son père l'évitait

soigneusement. La chambre à coucher de ses parents, l'armoire où la garde robe de sa mère

délivrait ce parfum enivrant, les tiroirs où la lingerie en soie l’éveillait au plaisir des sens, à un

désir trouble, cette chambre à coucher, brutalement, s'était fermée. Définitivement. Le temple

du désir et de ses mystères était devenu temple de la mort pour le petit garçon de neuf ans.

Derrière cette porte reposait le corps de sa mère morte :

Chambre close Condamnée pendant des années J'en finirais donc toujours là Tous ces