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La mise en lumière de l’effet de l’âge permet d’ouvrir un ensemble d’hypothèses susceptibles d’expliquer par quels déterminismes des différences d’âge peuvent s’accompagner d’inégalités de réussite ou de parcours scolaire. La littérature (Bell & Daniels, 1990; Lien, Tambs, Oppedal, Heyerdhal, & Bjertness, 2005; Martin, et al., 2004; Sharp, et al., 1994) propose de nombreuses hypothèses que nous avons synthétisées en deux grandes classes : les hypothèses relatives à la saisonnalité des naissances et les hypothèses liées à l’âge relatif de l’élève au sein de sa classe.

I.3.1

L’hypothèse de saisonnalité / gestationnelle

Selon cette hypothèse, les résultats académiques plus faibles chez les élèves nés en été (summer-born) seraient le résultat d’un phénomène d’exposition prénatale à des infections virales ou un manque de rayons ultraviolets durant les mois d’hiver conduisant à une dégradation du système nerveux central (SNC) (Polizzi, et al., 2007). Pour McGrath, Saha, Lieberman et Buka (2006) les enfants nés en hiver/printemps sont plus lourds, plus grands et ont de meilleurs résultats quand on les compare aux autres. Ces auteurs stipulent que les variables anthropométriques et neurocognitives, de la naissance à l’âge de 7 ans, sont influencés par des facteurs génétiques et épigénétiques pouvant intervenir sur l’unité fœtus- mère ou sur le développement individuel. Pour comprendre les différences observées selon les mois de naissance, les hypothèses consistent à invoquer des facteurs de risque fluctuant avec les mois de naissance et causant des perturbations biologiques expliquant les résultats. Parmi ces facteurs de risque, on invoquera les variables biométéorologiques telles que la température, les précipitations et les radiations ultraviolets. Par exemple, des bas niveaux de radiations ultraviolets sont associés à des bas niveaux de vitamine D ce qui est le cas pour un milieu de gestation hivernale des enfants nés en fin de printemps et en été. Cette hypovitaminose D a un effet délétère sur le développement du SNC durant la période fœtale. Parallèlement, un second risque gestationnel pourra être dû à l’augmentation des infections respiratoires durant l’hiver entraînant potentiellement des malformations du SNC (Martin, et al., 2004; McGrath, et al., 2006).

Pourtant, plusieurs recherches ne parviennent pas ou très difficilement à mettre en évidence une relation entre la date de naissance, la personnalité ou le facteur général

d’intelligence (Hartmann, Reuter, & Nybor, 2006; Lawlor, Clark, Ronalds, & Leon, 2006). Par exemple, Hartmann et al. (2006) montrent, sur deux échantillons de plus de 4000 et 11 000 sujets, une absence de relations entre la date de naissance (mesurée par 5 indicateurs différents) et l’intelligence (mesurée par le premier facteur extrait d’un ensemble de 19 tests), mais aussi entre la date de naissance et la personnalité (mesurée par le MMPI-II). D’autres encore présentent des effets faibles, sans variable de contrôle, entre le fait d’être un garçon né en octobre et la surexposition aux troubles du langage (Hauschild, et al., 2005) ou bien avec les risques de développer des problèmes de santé mentale (Lien, et al., 2005).

Lorsqu’il s’agit d’expliquer les résultats scolaires, cette hypothèse gestationnelle semble, en France, ne pas être adaptée puisque pour un milieu de gestation durant les mois d’hiver, la naissance est attendue durant l’été ; or ce ne sont pas les élèves nés en été qui présentent le plus de difficultés. D’ailleurs, il est de plus en plus souvent entendu que ce potentiel effet de saisonnalité ne tient que très difficilement face aux différentes politiques de rentrée. Ainsi, lorsque deux pays présentent des conditions climatiques proches mais qu’ils ne pratiquent pas les mêmes politiques de rentrée, le mois de naissance des élèves présentant des difficultés ne sont plus les mêmes (Cobley, McKenna, Baker, & Wattie, 2009; Sharp, 1995b; Sharp, et al., 1994).

I.3.2

L’effet de la position en termes d’âge ou l’âge relatif

La synthèse de Bell et Daniels (1990) tend à montrer qu’à l’échelle internationale, les politiques de rentrée étant différentes, il est possible d’observer que l’effet de la date de naissance est davantage le fait du mois choisi pour commencer l’année scolaire que de celui de toute saisonnalité. L’effet de la date de naissance serait davantage le produit des politiques de rentrée des systèmes éducatifs (Daniels, et al., 2000; Kihlbom & Johansson, 2004; Williams, Davies, Evans, & Ferguson, 1970). Lawlor et al. (2006) parviennent au même constat en assurant que parmi leurs résultats, les variations observées dans l’évaluation de grands domaines de l’intelligence sont davantage en relation avec la position de l’élève dans la classe que dues aux variations saisonnières liées à la date de naissance.

L’hypothèse consistant à invoquer l’âge relatif comme facteur explicatif des différences de résultats des élèves spécifie que les plus jeunes présentent plus de difficultés soit directement

parce que disposant du même potentiel de réussite, ils sont malgré cela moins matures que les plus âgés, soit parce les enseignants ne reconnaissent pas cette potentialité.

I.3.2.1 La maturité

Cette notion de maturité renvoie selon les auteurs tantôt au développement cognitif ou conatif, tantôt au développement du système nerveux central, aux fonctions exécutives ou bien encore à « l’adaptation » de l’élève au sein de la classe. L’explication de l’effet de la date de naissance semble correspondre à l’invocation de facteurs liés à des différences interindividuelles explicables par des facteurs personnels à l’opposé de facteurs liés à l’école. Les auteurs invoquent notamment les capacités à apprendre et à s’adapter au monde scolaire. Par exemple, l’étude de Kinard et Reinherz (1986) montre que l’effet de la date de naissance se situe principalement au niveau du traitement de l’information. Les études rapportent de manière générale que les élèves les plus jeunes en termes de développement social, émotionnel et cognitif montreront davantage d’échec et de stress (Sharp, et al., 1994).

En France, l’attitude majoritaire des chercheurs consiste à invoquer la maturité des élèves comme variable sous-tendant le phénomène (Duru-Bellat, 2003; Ferrier, 2003; Florin, et al., 2004; Jeantheau & Murat, 1998; Suchaut, 2002). La littérature anglo-saxonne préfère apporter des explications correspondant au fait d’être prêt pour l’école en invoquant la thématique de « school readiness »23 . La maturité scolaire a pris une place majeure en psychologie de l’éducation même si elle reste aujourd’hui, en tant que construit psychologique unifié, relativement nouvelle (Kyle L. Snow, 2006). Décideurs politiques, enseignants et chercheurs se sont de plus en plus intéressés à cette notion de maturité scolaire comme constituant un moyen d’améliorer les résultats des élèves en assurant une bonne transition vers l’école. Les enseignants ont constaté très tôt des différences interindividuelles majeures dans la capacité des enfants à s’adapter aux exigences de l’environnement scolaire sur le plan de l’autonomie, de la socialisation, de l’adhésion aux règles de la classe, de la capacité à maintenir une activité sur une longue durée, etc. (Lin, Lawrence, & Gorrell, 2003; Rimm-Kaufman, Pianta, & Cox, 2000; Zazzo, 1978). Les pouvoirs politiques y voient un moyen de s’assurer que les jeunes élèves vont disposer des connaissances et compétences de base leur permettant de se conformer au contexte formel de la classe et de s’assurer d’une bonne continuité entre l’école maternelle et l’école primaire (OCDE, 2007).

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Si des écarts de performances entre les plus jeunes et les plus âgés sont patents à l’entrée à l’école, nous pensons à l’instar de Zazzo (1978), qu’il est fort probable que l’invocation d’une cause à un problème (ici, l’inadaptation des élèves les plus jeunes) n’a de sens et d’intérêt que si cette cause est définie rigoureusement. C’est pourquoi la maturité scolaire sera l’objet du chapitre suivant (Chapitre II).

I.3.2.2 Les attentes des enseignants

L’existence de « l’effet maître » est bien connue aujourd’hui et participe de plus de 15% à l’explication des acquisitions scolaires (Duru-Bellat & Mingat, 1994). L’ensemble des comportements différenciés de l’enseignant vis-à-vis des élèves, l’attention qu’il leur porte, ses interactions, le climat pédagogique qu’il met en place sont autant d’éléments qui auront un impact sur la réussite scolaire des élèves. Les attentes que les enseignants nourrissent auprès de chaque élève participent des facteurs explicatifs des traitements différenciés des élèves. Qualifiées de prophéties autoréalisatrices ou bien davantage « d’effet Pygmalion » dans un contexte éducatif, cet effet décrit les perceptions et attentes de l’enseignant modifiant le comportement des élèves de manière conforme à l’attente originelle (Rosenthal & Jacobson, 1968).

Gredler (1980, p. 10) note que « psychological referrals can reflect the erroneous perceptions of teachers »24. Ce dernier tente de rappeler que la plus grande difficulté chez les élèves les plus jeunes est de faire face aux croyances des enseignants. Plus récemment, Kuklinski & Weinstein (2001) ont montré que les effets d’attente des enseignants pouvaient varier selon l’âge (évalué via le grade atteint par l’élève) et le contexte de la classe. Raudenbush (1984), dans une méta-analyse conduite sur 18 expérimentations dans lesquelles des effets d’attente sont induits auprès d’enseignants, rapportait le même constat. Ce dernier montre d’une part que plus l’enseignant connaît l’élève moins l’effet d’attente sera important et d’autre part que les effets d’attente sont importants essentiellement au 1er et 2nd grade pour disparaître par la suite et revenir au grade 7. Ce grade 7 constitue aux États-Unis, le début de la high school, et est caractérisé par le fait que les enseignants de ce grade n’ont eu que très peu de contacts avec ceux de l’elementary school. C’est aussi vers ce type d’hypothèse que se portent les conclusions d’Hutchinson et Sharp (1999) dont les résultats laissent entendre que

24Les signalements des élèves pour des problèmes psychologiques peuvent être le reflet de la perception erronée des enseignants.

l’absence de la persistance de l’effet de la date de naissance à l’âge de 12 ans correspond à l’entrée dans le secondary school25. Les auteurs mentionnent un principe de « renégociation » (p.7) des attentes des enseignants (alors moins basées sur l’âge) et de l’image de soi académique des élèves.

Pourtant, lorsqu’on interroge les enseignants sur les facteurs importants liés à la réussite en début de scolarité, ces derniers ne mentionnent jamais l’âge de l’élève (Lara-Cinisomo, Sidle Fuligni, Ritchie, Howes, & Karoly, 2008; Lin, et al., 2003; Rimm-Kaufman, et al., 2000; Smith & Niemi, 2007). Peut-être une réponse se trouve-t-elle dans l’analyse de Sharp et al. (1994) qui proposent une explication de l’effet d’attente des enseignants par le fait que ces derniers « étiquetteraient inconsciemment » (p. 110) les élèves les plus jeunes comme étant insuffisamment matures dans la mesure où ils présentent des niveaux de coordination, d’attention et d’habileté à coopérer avec les autres plus faibles.

I.3.3

Synthèse

Lorsqu’il s’agit de comprendre les mécanismes conduisant à l’observation d’un effet de l’âge sur les performances des élèves, deux grands types d’hypothèses existent. L’hypothèse gestationnelle ne tient pas réellement, face aux observations effectuées au niveau international ou simplement hexagonal ; elle tend à être dépassée lorsque sont prises en compte les différentes configurations de politiques de rentrée. Les hypothèses de maturité et d’attentes des enseignants semblent, à l’épreuve des faits, plus aptes à expliquer que les plus jeunes puissent présenter des résultats inférieurs à ceux de leurs pairs. Ces dernières paraissent d’une certaine manière se rejoindre puisque les facteurs explicatifs d’un niveau d’attentes faible vis- à-vis des plus jeunes élèves sont ceux invoqués dans l’hypothèse de maturité (capacité des enfants à être autonome, se socialiser, être attentif sur une longue période, etc.).

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Chapitre II Relations entre maturité scolaire,