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Chapitre II Relations entre maturité scolaire, autorégulation et devenir scolaire

II.1 Le processus de transition vers l’école

II.1.3 Cadres conceptuels de la transition

L’étude des liens et interactions entre les divers facteurs susceptibles de rendre compte de la qualité de l’adaptation des enfants à leur nouveau rôle d’élève peut s’inscrire dans le cadre conceptuel de Bronfenbrenner (1979) et de l’étude de la transition écologique. Encore plus spécifiquement, Rimm-Kaufman et Pianta (2000) ont proposé un cadre théorique susceptible de guider la recherche empirique lors de l’étude de la transition vers l’école. Ce sont ces cadres conceptuels qui vont être présentés succinctement ci-dessous.

II.1.3.1 La perspective écologique de Bronfenbrenner (1979)

Lorsqu’il s’agit d’interroger le processus d’adaptation des élèves à l’entrée à l’école, la perspective de Bronfenbrenner est intéressante dans la mesure où l’écologie du développement représente « l’étude scientifique de l’adaptation réciproque et progressive entre un humain actif, en cours de développement, et les propriétés changeantes des milieux immédiats dans lesquels il vit, compte tenu que ce processus est affecté par les relations entre eux et par les contextes plus généraux dont ces milieux font partie ». (Bronfenbrenner, 1979 in Thomas & Michel, 1994)

La perspective écologique de Bronfenbrenner étudie les transactions entre l’individu et son environnement aussi bien que la nature changeante du milieu et le processus d’adaptation de l’individu à ce dernier (Rondal, 1999). La conduite individuelle procède donc de l’interaction dans un processus d’influence mutuelle entre l’individu et l’environnement. Cet « environnement », correspondant à tout ce qui est extérieur à l’individu, est composé de structures emboîtées. En référence à la théorie écosystémique de Bronfenbrenner (1979), l’environnement de l’enfant comprend quatre sous-systèmes qui médiatisent l’interaction individu –environnement (Spencer, Lerner, & Damon, 2006). Le plus spécifique, l’unité de base, est le microsystème, il constitue le contexte (social et physique) immédiat avec lequel l’enfant interagit. Il s’agit de la maison, de la famille, de l’école, etc. Les trois autres systèmes sont filtrés par ces microsystèmes qui sont les lieux de perception et d’interprétation de l’expérience vécue par l’individu en termes d’activités, de rôles et de relations interpersonnelles. Le mésosystème intègre les influences mutuelles existant entre deux ou plusieurs microsystèmes. Il s’agit essentiellement des réseaux de relations interpersonnelles qui se chevauchent entre les différents microsystèmes (par exemple, les parents avec l’école). A un niveau encore plus éloigné qui ne touche pas directement l’enfant, l’auteur spécifie l’exosystème comme le lieu des rapports et interactions entre les personnes qui s’occupent de l’enfant. Il s’agit de la structure de la communauté dans laquelle l’enfant réside. Il pourra s’agir des perspectives de carrières des enseignants, des conditions de travail des parents, etc. Enfin, le macrosystème, englobant les trois autres systèmes, est la source d’influence la plus éloignée de l’individu en ce sens qu’elle est caractérisée par le milieu culturel, social. Elle véhicule les valeurs et croyances de la société dans les sous-systèmes inférieurs (voir Figure II.1-1, ci-dessous). A ces quatre sous-systèmes viennent s’adjoindre, l’ontosystème, qui est l’organisme en tant que tel comprenant ses caractéristiques aux niveaux physique, cognitif et

conatif. Caractérisant les transformations progressives liées au temps, c'est-à-dire l’effet des expériences sur les comportements ultérieurs, Bronfenbrenner intègre en 1996, le chronosystème (Bronfenbrenner, 1996).

Figure II.1-1 : Représentation du modèle écologique de Bronfenbrenner

Particulièrement proche de nos préoccupations, la notion de transition écologique constitue une modification ayant lieu dès que l’individu est l’objet d’un changement de rôle ou de milieu dans l’environnement écologique. Selon l’auteur, l’entrée à l’école constitue une transition majeure. Le chercheur se doit alors de déterminer les facteurs qui ont participé de cette transition et les effets que cette transition a produits sur l’enfant. Enfin, les processus proximaux, également au cœur de la théorie de Bronfenbrenner, constituent les interactions du quotidien entre le sujet en développement et les objets, les symboles et surtout les personnes de son environnement. Ces interactions formeront le « moteur du développement » (Tudge, Odero, Hogan, & Etz, 2003).

S’appuyant en partie sur cette théorie écologique, des chercheurs ont tenté plus précisément de conceptualiser la transition vers l’école.

II.1.3.2 Le modèle écologique et dynamique de la transition

Lorsque Rimm-Kaufman & Pianta (2000) proposent leur modèle écologique et dynamique de la transition (Ecological and Dynamic Model of Transition), leurs influences ne sont pas

uniquement celles de Bronfenbrenner. A l’instar de Pianta, Rimm-Kaufman et Cox (1999), les auteurs invoquent indirectement la théorie générale des systèmes (Bertalanffy, 1968 in Bimes-Arbus, Lazorthes, & Rougé, 2006) qui s’intéresse à la recherche des principes à la base des systèmes, quels qu’ils soient (biologique, social, psychologique, etc.). Au niveau développemental, ces systèmes suggèrent que le développement humain doit être étudié en faisant abstraction des « dualités cartésiennes » (Lerner & Damon, 2006, p. 10) telles que maturation/expérience ou la stabilité/instabilité par exemple. Ainsi, les théories des systèmes développementaux suggèrent qu’il existe une relation bidirectionnelle entre l’individu et l’environnement. Le développement individuel procède d’une coaction continue entre les informations issues des structures organiques et celles extraites de l'environnement physique et social (Fortin & Strayer, 2000). Le modèle le plus représentatif d’une telle approche est sans doute celui de Gottlieb (1991) dont la figure ci-dessous illustre à la fois le réseau causal complexe et la nature bidirectionnelle des influences génétiques, nerveuses, comportementales et environnementales sur le développement individuel. L’auteur reprend l’idée d’une épigénèse probabiliste et va ainsi considérer l’individu en développement comme un système hiérarchique, interactif et émergent (Gottlieb, 2007; Gottlieb, Wahlsten, Lickliter, Damon, & Lerner, 1998). Le développement sera ici compris comme la propriété d’un système changeant à des niveaux multiples et intégrés d’organisation.

Ce modèle est également l’inspiration de Blair, 2009.

Figure II.1-2 :Illustration des influences bidirectionnelles sur le développement individuel (in Blair, 2007)

L’approche écologique et dynamique de la transition (Rimm-Kaufman & Pianta, 2000) s’inspire donc de ces référents systémiques pour proposer quatre perspectives théoriques permettant d’appréhender le processus de transition. Le premier modèle, centré sur l’enfant,

Activité nerveuse

Activité génétique Comportement Environnement

s’intéresse essentiellement aux caractéristiques qui prédiront l’ajustement scolaire (voir Figure II.1-3).

Figure II.1-3 : Modèle centré sur l’enfant (in Rimm-Kaufman & Pianta, 2000)

Ce modèle spécifie que l’ajustement de l’enfant est relié à son statut socioéconomique, ses habiletés sur le plan cognitif et comportemental mais aussi ses habiletés langagières, son QI, son sexe, son tempérament. Ces variables sont jugées par les auteurs comme étant celles les plus reconnues dans cet effort de prédiction.

Figure II.1-4 : Modèle centré sur les effets directs (in Rimm-Kaufman & Pianta, 2000)

Le deuxième modèle (voir Figure II.1-4, ci-dessus) constitue une extension du premier en reconnaissant les effets directs du contexte (l’école, le voisinage, les pairs et la famille). Les résultats scolaires des élèves sont très souvent utilisés pour apprécier par exemple, l’impact de la taille des classes, celui de l’environnement familial, etc. Les travaux inscrits dans cet axe utilisent le plus souvent au moins deux moments de mesure. Ces effets, directs et unidirectionnels, participent de l’augmentation de la part de variance expliquée dans les résultats scolaires des élèves.

Le troisième modèle (Figure II.1-5, ci-dessous) interroge les effets directs et indirects et plus particulièrement les interactions bidirectionnelles existantes entre l’enfant et son réseau social. Les recherches vont tenter de rendre compte dans quelle mesure les liens existants entre deux ou plusieurs contextes dans lesquels vit l’enfant (la famille et l’école par exemple)

Enfant

Période préscolaire Kindergarten

Éducateurs ou enseignants Pairs

Famille Voisinage

Enfant Enfant

Période préscolaire Kindergarten

Enfant

Éducateurs ou enseignants Pairs

Famille Voisinage

auront un effet synergique dans la qualité de la transition. Par exemple, la qualité de la relation mère-enfant contribuera à l’explication de la relation enfant-enseignant qui en retour expliquera la qualité de l’adaptation des enfants à l’école (Jacques & Deslandes, 2002). Parce que ce modèle présente une approche trop statique des relations entre contextes, les auteurs proposent une quatrième approche.

Figure II.1-5 : Modèle centré sur les effets directs et indirects (in Rimm-Kaufman & Pianta, 2000)

La dernière approche reprend l’ensemble des éléments des trois premières tout en intégrant l’aspect temporel (voir Figure II.1-6, ci-dessous). Les flèches hachurées représentent ici à la fois l’évolution des interactions entre les contextes mais également la continuité de ces derniers dans la transition.

Figure II.1-6 : Modèle écologique et dynamique de la transition (in Rimm-Kaufman & Pianta, 2000)

Cette approche prend comme point central l’évolution des relations entre contextes. Elle étudie la manière dont ces patterns d’interactions se développent et changent dans le temps et affectent directement et indirectement l’adaptation de l’élève. Par exemple, la relation

Enfant

Période préscolaire kindergarten

Éducateurs ou enseignants Pairs

Famille Voisinage

Enfant

Éducateurs ou enseignants Pairs

Famille Voisinage

Enfant

Période préscolaire kindergarten

Éducateurs ou enseignants Pairs

Famille Voisinage

Enfant

Éducateurs ou enseignants Pairs

Famille Voisinage

parents-enseignants ne sera pas la même entre la période préscolaire et l’entrée au kindergarten. Celle-ci devient plus formelle, moins directe et moins fréquente (Pianta, et al., 1999).

II.1.4

Synthèse

Les volontés politiques actuelles ont pour objectif de former non seulement des élèves mais surtout des citoyens disposant des « savoirs et savoir faire indispensables pour participer pleinement à la société de la connaissance » (OCDE, 2010) et dans ce cadre, l’obligation redditionnelle (accountability) est devenue une exigence centrale de nos sociétés (Meisels, 2007). Les décideurs politiques et la société au sens large exigent de plus en plus des écoles qu’elles justifient la façon dont elles utilisent les ressources publiques, mais aussi qu’elles rendent compte plus en détail de leurs performances en matière d’enseignement. Parce que l’entrée à l’école est considérée comme un moment clef dont la qualité sera un prédicteur important du devenir des élèves, la transition vers l’école est un objet de recherche central.

En France les travaux de Zazzo (1978) et Florin (1991) ont permis d’intégrer, d’une part, en quoi cette période peut s’avérer être critique pour la scolarité ultérieure de l’élève et d’autre part, ont analysé les caractéristiques de cette transition. Cette dernière peut être étudiée à différents niveaux, allant des changements observés dans la classe, majeurs entre la maternelle et le CP, aux changements des programmes dont les objectifs actuels tendent à former des élèves de maternelle susceptibles de maîtriser les comportements nécessaires leur permettant de bénéficier au mieux des enseignements dispensés en CP.

Les modèles conceptuels de cette transition, essentiellement nord-américains, insistent sur l’importance du contexte et notamment de l’évolution des liens pouvant exister entre différents éléments de l’environnement de l’enfant. L’attention portée sur les liens école- famille pourrait provenir du fait que ces études portent, la majorité du temps, sur le passage d’une certaine forme de garderie (par les parents / donneurs de soins ou une structure préscolaire) à celle de l’entrée au kindergarten correspondant à l’entrée dans le système scolaire. En France, cette transition n’est pas de même type puisqu’il existe une certaine continuité entre le passage de la maternelle au CP. Contrairement à de nombreux autres pays, la maternelle est intégrée dans le système éducatif et dispose d’un programme comprenant des objectifs pédagogiques faisant le lien avec le CP (Florin & Crammer, 2009). De la même

manière, ce sont des enseignants qui assureront cette continuité puisqu’ils sont les professionnels de ces deux niveaux. Cette différence ne masque pas un constat commun aux systèmes éducatifs nord-américains et français dans la mesure où cette transition est une réelle période de vulnérabilité pour l’enfant. Quels qu’en soient les raisons, il semble exister une « rupture trop brutale » entre les anciennes et nouvelles conditions de travail (Zazzo, 1978, p. 215).

II.2

De la maturité scolaire à la régulation cognitive et