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CHAPITRE II : L'ARCHÉTYPE DU CHASSEUR MAUDIT

2.3/ DES FIGURES ROYALES

Il arrive très souvent qu'un roi mène la chasse fantastique. Certains parmi ces rois sont d'inspiration biblique et appartiennent à la tradition chrétienne quand d'autres sont des monarques européens.

Ainsi il existe une chasse du roi David109, essentiellement connue sous le nom de Charrette

106 LE QUELLEC J.-.L., « La légende de la chasse-galerie en Vendée », op.cit., p. 227.

107 « [Le cheval] peut aussi être maléfique : c'est le Cheval Malet et le cheval noir de la Chasse Galery. » in COLLE J.R., "Sites, animaux, plantes étranges", Revue de recherches ethnographiques, Le Subiet, La Rochelle, Société d'études folkloriques du Centre-Ouest, 1972/11 (T6), p.396.

108 LE QUELLEC J.-.L., Ibid, p.228.

109 Présente notamment dans quelques régions tourangelles, cf : BOUTEILLER M., Sorciers et jeteurs de sort: enquêtes,

témoignages et procès de sorcellerie du 16ème au 20ème siècle en Berry, Nivernais et Sologne, Paris, Royer, 2000

ou de Chariot du roi David110, et une chasse du roi Salomon, notamment dans le pays basque :

« Dans le même coin du pays, le roi Salomon est un grand chasseur armé d'un fusil, et qui entend la messe. Un lièvre passe et la messe est oubliée. Depuis lors Salomon chasse toutes les nuits avec son fusil et sa meute dont les aboiements effraient le voyageur attardé. »111

Généralement, ces chasses s'appuient sur le thème du chasseur maudit, comme en témoigne la chasse que mène un roi nommé David, dans le pays de Retz : c'était un roi « qui chassait tous les dimanches pendant la grand-messe et ne tenait aucun compte des plaintes des paysans. Lancé à la poursuite d'un cerf dans un point où le Tenu est encaissé entre des rochers, il tomba dans la rivière avec toute sa suite, et, depuis il revient la nuit reprendre sa poursuite infructueuse. »112

Parmi ces figures issues de l'Ancien Testament, on retrouve également celle de Caïn113,

meurtrier de son frère Abel114. On trouve également une Chasse d'Oliferne, qui « dans les vieilles

chartes, le nom de ce château fut quelquefois écrit Holoferne, comme celui que portait un général persan des troupes de Nabuchodonosor et qu'a rendu illustre l'acte courageux d'une héroïne d'Israel [Judith, liv. II]. »115

Dans ce dernier cas, c'est le général Holopherne qui fait figure de Chasseur Maudit, jusqu'à marquer le paysage de sa présence. « Hologerne signifiait le vaillant capitaine ; et tout ce que l'on raconte du courage indomptable du seigneur d'Oliferne est si prodigieux, que je serais tenté de croire à un secret rapport entre le chasseur sauvage de cette montagne et la signification du nom qu'elle a porté. »116

110 « Passent aussi dans un fracas épouvantable la Charette de David la nuit de Noël à Cruseilles (Haute-Savoie), le

Chariot de David à Puy-Saint-Vincent et Vallouise en Briançonnais et le Char de Provéri à Saint-Pancrasse sur les

contreforts de la Chartreuse dominant l'Isère. », in : ABRY C., JOISTEN A., « Le Roi Hérode, chasseur sauvage en Savoie et Dauphiné », Le Monde alpin et rhodanien, Revue régionale d'ethnologie, n°4/2001, p.12 ;

111 CERQUAND J.-F., Légendes et récits populaires du pays basque, tome 1, L. Ribaut, Pau, 1875, note 2, p.46 112 SÉBILLOT P., Croyances, mythes et légendes des pays de France, Paris, Omnibus, 2002, « Livre Second : La Nuit et

les esprits de l'air, Chapitre 2 : les chasses aériennes et les bruits de l'air », p.130 ; voir également : CHARPENTIER F., « Les chasses fantastiques en pays de Retz et Blaisois », Revue des traditions populaires, 1894/07 (A9,T9,N7), p.413 : « Au pays de Retz, la chasse est conduite par un roi David. Il chassait tous les dimanches pendant la grand'messe et ne tenait aucun compte des plaintes des paysans. Lancé à la poursuite d'un cerf dans un point où le Tenu est encaissé entre des rochers, il tomba dans la rivière avec toute sa suite, et revient la nuit reprendre sa chasse infructueuse. Le lieu pittoresque où il disparaît, appelé le Saut du Cerf, est situé entre Saint-Même et Port-Fessan. » 113 « La chasse Caïn dont les dogues aboient comme la ceinture de Scylla [...] » in : DU BOIS L., Recherches

archéologiques, historiques, biographiques et littéraires sur la Normandie, Paris, Dumoulin libraire-éditeur, 1843,

p.312 ; Ed. Le Héricher évoque « un souvenir biblique dans la Chasse Caïn, à Orbec, qui rappelle la chasse Hérode du Périgord » in : HÉRICHER E. (LE), « Histoire et glossaire du Normand, de l'Anglais et de la Langue française »,

Mémoires de la Société d'archéologie, de littérature, sciences et arts d'Avranches, tome troisième, E. Tostain,

Avranches, 1864, p.179.

114 Condamné pour son crime à l'errance éternelle : « Maintenant, sois maudit et chassé du sol fertile qui a ouvert la bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. Si tu cultives le sol, il ne te donnera plus son produit : tu seras un errant parcourant la terre. » (Genèse, 4, 11-12)

115 MONNIER D. et VINGTRINIER A., Croyances et traditions populaires recueillies dans la Franche-Comté, le

Lyonnais, la Bresse et le Bugey, (2e édition), H. Georg, Lyon, 1874, p.84 ; HELL B., Sang noir: chasse, forêt et

mythe de l’homme sauvage en Europe, Paris, l’Oeil d’Or, 2012, p.195.

En ce qui concerne les figures héritées du Nouveau Testament, on croise de manière locale et anecdotique une chasse menée par un certain « Pilate »117.

« Bien que les légendes qui s'attachent à leurs coryphées n'aient rien de commun avec les personnages de l'Ancien Testament, plusieurs de ces bruyantes réunions ont des appellations empruntées à la Bible. On trouve en Normandie, la Chasse Caïn ou Cache de Caïn ; la Chasse

Macchabée ou Macabre, à Blois ; la Chasse du roi David, dans le pays de Retz ; Chasse du roi Salomon, dans le pays basque ; la Chasse du roi Hérode, dans la Bresse en Franche-Comté, en

Périgord ; en Franche-Comté, la Chasse d'Oliferne. »118

De toute ces chasses hors du commun, celle qui semble la plus répandue est celle du roi Hérode. « On raconte dans la vallée de Condes, que le soir de la veille des Rois, l'ex-roi Hérode passe avec une meute nombreuse et bruyante dans cette contrée. Il passe si rapidement qu'on évite avec soin sa rencontre, car on serait renversé et foulé aux pieds sans miséricorde. »119

Voici une autre description du phénomène, où un Hérode décapité dirige la course : « C'est une ancienne légende attestée, à la fin du 19e siècle encore, à Veyrier, village sis à la frontière franco-suisse, genevois depuis 1815, au pied du Salève (Haute-Savoie). Il s'agit de la « chasse du roi Hérode » qu'on apercevait dans le ciel, dans la nuit de Noël, à minuit. Hérode allait à la tête de la procession, montant un cheval qui galopait ventre à terre en tendant les bras vers sa tête qui roulait devant lui. »120

La « chasse Hérode » n'est qu'une autre manière de nommer la chasse volante, selon un auteur, qui l'explique ainsi : « depuis le massacre des saints innocents, Hérode et toute sa cour sont condamnés à parcourir les airs. »121

Cette chasse est également appelée la Synagogue, chasse « conduite par le roi Hérode, condamné depuis des siècles, en expiation du massacre des Innocents et des autres actes de sa vie, à mener pour l'éternité cette chasse diabolique. A peine avait-on cru la voir et l'entendre, sous

117 Plus au sud, reste l'indice de cavaleries fantastiques, que l'on trouve déjà à Aussois en Maurienne avec la Cavalerie

de Pilate, mais surtout en Valgaudemar à La Chapelle où passe la Cavalerie de Joseph Catelan, et avec aussi une

cavalerie dans le Haut-Champsaur. » in : ABRY C., JOISTEN A., « Le Roi Hérode, chasseur sauvage en Savoie et Dauphiné », op.cit., p.12.

118 SÉBILLOT P., op. cit., « Livre Second : La Nuit et les esprits de l'air, Chapitre 2 : les chasses aériennes et les bruits de l'air », p.128.

119 THURIET C.-E., Traditions populaires de la Haute-Saône et du Jura, E. Lechevalier, Paris,1892, p.264 ; à partir de MONNIER D. et VINGTRINIER A., Croyances et traditions populaires recueillies dans la Franche-Comté, le

Lyonnais, la Bresse et le Bugey, (2e édition), H. Georg, Lyon, 1874, p.85 : « le soir de la veille des Rois, l'ex-roi

Hérode passe avec une meute nombreuse et bruyante, mais si rapidement qu'on évite avec soin de se trouver sous sa direction, car on y serait renversé et foulé sous les pieds sans miséricorde. »

120 Lettre de l’ethnologue suisse Jacques Tagini, adressée à C. ABRY, 27 janvier 1984, cité in : ABRY C., JOISTEN A., « Le Roi Hérode, chasseur sauvage en Savoie et Dauphiné », op. cit., n°4/2001, p.13 ; voir également les juments d'Hérode « Les Égarodes, Ég'à Rode », p.8.

121 WLGRIN de TAILLEFER H.-F. (comte), Antiquités de Vésone, cité gauloise, remplacée par la ville actuelle de

Périgueux, ou Description des monumens religieux, civils et militaires; précédée d'un essai sur les Gaulois, tome I,

l'influence de l'aberration à laquelle avaient pu aider de copieuses libations, que déjà elle était loin. »122

Mais Hérode peut également apparaître comme un esprit roublard, qui trompe les hommes avec lesquels il traite. Un passeur est réveillé en pleine nuit par un voyageur, « il s'habille à la hâte, court à la nacelle et traverse la rivière. Là, se trouvait un grand monsieur, couvert d'un grand chapeau, armé d'un grand fusil, suivi d'une grande meute. Le personnage entre dans le bateau, il y est suivi de ses chiens, qui chargent d'un poids énorme le frêle esquif. Ces quadrupèdes l'avaient déjà tout couvert, qu'il en sautait, sautait encore, sautait toujours, tant et si bien qu'ils passaient trois cents. En mettant pied à terre, le généreux passager, désirant récompenser dignement le zèle et le bon cœur du pontonnier, lui remplit la main de pièces d'or. […] De retour à sa maisonnette, […] il ne trouva plus dans son gousset que des feuilles de buis ! Il se souvint alors que c'était la veille des Rois, et vit bien qu'il venait d'avoir affaire à ce réprouvé d'Hérode. »123

La figure d'Hérode peut être détaillée avec plus de précision. Il est alors représenté de manière extrêmement négative : proche du croquemitaine et de l'ogre, il traque sa proie, constituée notamment d'enfants124. Il est bien souvent brandi comme une menace réelle, en raison de sa

réputation châtier les enfants désobéissants.

« Nul étonnement à ce que le Roi Hérode apparaisse aussi fortement lié à l'enfance et fasse un croquemitaine crédible : la tradition veut qu'Hérode historique ait fait assassiner les enfants juifs à la naissance du Christ, ce que rappelle l’Église le 28 décembre, trois jours après Noël, avec la fête des Saints-Innocents. Et c'est précisément pendant cette période des Douze Jours, entre Noël et l’Épiphanie, que passe la chasse sauvage dont le Roi Hérode est l'un des conducteurs. »125

Cette figure du roi Hérode est, une fois de plus, fortement inspirée par le thème du chasseur maudit. Le monarque en question expierait ainsi une très grande faute, le massacre des Innocents.

122 L. Guillemaut, Les Mois de l'année, cité in : CORNET A., « Varennes-St-Sauveur à travers les siècles, chapitre VI, Mœurs et coutumes », Annales de la Société d'émulation, agriculture, lettres et arts de l'Ain, Bourg, Société d'émulation de l'Ain, 1910, p.50.

123 MONNIER D. et VINGTRINIER A., Croyances et traditions populaires recueillies dans la Franche-Comté, le

Lyonnais, la Bresse et le Bugey, (2e édition), H. Georg, Lyon, 1874, p.87 ; voir également : BERENGER-FERAUD

L. J.-B., Superstitions et survivances étudiées au point de vue de leur origine et de leurs transformations, Tome 2, Paris, E. Leroux, 1896, p.162-163 : « Dans la vallée de Condes, entre le Jura et l'Ain, on entend, le soir de la veille des rois, passer la chasse du roi Hérode ; il faut bien se garder d'être sur son passage, car on serait foulé aux pieds, sans merci. Il n'y a pas bien des années, encore, on citait le nom d'individus qui avaient vu cette apparition ; et, qu'un pontonnier racontait ; avoir été réveillé au milieu de cette nuit des rois, par un chasseur fantastique qui lui donna, pour prix de sa peine, une poignée de pièces d'or. Mais ces pièces se trouvèrent changées, le lendemain matin, en simples feuilles de buis. »

124 Phénomène encore attesté au dans la seconde moitié du XXe siècle : « On disait aux enfants que le Roi Hérode était

un homme qui passait dans les rues monté sur un cheval blanc et qui ramassait les enfants qu'il rencontrait sur son passage. » (n°8 p.87, I/2526, janvier 1959) ; « Il était défendu de chasser le Jour des Rois par crainte du Roi Hérode. » (n°28, p.93, I/2535, octobre 1958) ; à noter que « le Roi Hérode passait par les cheminées ». (n°24, p.193, I/2553, mai 1963), in : JOISTEN C., ABRY, N. et JOISTEN A. , Êtres fantastiques du Dauphiné: patrimoine narratif de

l’Isère, Grenoble, Musée dauphinois, 2005.

Le nom et le personnage semblent donc directement puisés à la source biblique : Monnier et Vingtrinier évoquent ainsi « l'apparition annuelle du roi Hérode, qu'on est bien plus étonné d'entendre raconter dans la vallée de Condes [Jura et Ain], parce que ce roi des Juifs nous est beaucoup plus étranger. »126

Il nous semble important de situer l'épisode biblique dans son contexte en insistant sur son aspect cynégétique. Joseph fuit avec sa famille en Égypte, ayant appris d'un ange que lui et les siens couraient un grave danger en restant à Bethléem. Ses proies lui échappant, le roi Hérode entre dans une colère folle, une véritable rage et laisse libre cours à sa soif de sang.

« Alors Hérode, voyant qu'il avait été joué par les mages, fut pris d'une violente fureur et envoya mettre à mort, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants de moins de deux ans [...] ».127

Comme pour saint Hubert, la matière chrétienne fournit ici un modèle de prédateur irrépressible : voulant conserver son trône jusqu'au bout, quelle que soit la route à prendre, Hérode fait tuer, sans la moindre pitié, des enfants innocents.

Nous retrouvons la fureur sanguinaire du chasseur, et il est peut-être logique que la culture populaire se soit chargé d'appliquer au tyran la punition que tout chasseur forcené mérite : la condamnation à chasser après sa mort jusqu'à la fin des temps.

Hérode expie le massacre des Innocents de cette manière, tout en continuant à terroriser les populations et sert ainsi de contre-modèle à quiconque songerait à imiter la cruauté de sa conduite.

Issue de la culture populaire, cette représentation du roi Hérode chasseur a sans nul doute laissé des traces dans certaines expressions quotidiennes. « Un grand garçon de seize à dix-huit ans détalait à travers la campagne, escaladant les barrières et les haies, franchissant à pieds joints les fossés et les ruisseaux, comme s'il avait eu « la Chasse Hérode » à ses trousses. »128 La chasse sert

ici d'illustration à la fuite avec l'idée que l'on ne court jamais aussi vite que lorsqu’on est chassé. Il est par ailleurs déconseillé de chasser le jour de la fête des Rois, puisque Hérode, en référence à l'épisode biblique, est de sortie : personne ne peut se permettre de croiser sa meute en route. « Un autre préjugé existant en Dauphiné et qui se réfère au jour des Rois, c'est que les chasseurs ne vont point ce jour à la chasse, de peur qu'il ne leur arrive un malheur. Dans cette même appréhension, il est des campagnards qui évitent de sortir le soir et pendant la nuit. La cause de cette crainte vient d'une croyance populaire ; que le roi Hérode, dont on fait un épouvantail aux enfants,

126 MONNIER D. et VINGTRINIER A., op. cit., (2e édition), H. Georg, Lyon, 1874, p.85. 127 Matthieu, 2, 16.

128 HAVARD O., « L'Angleterre peut-elle être envahie ? », La Revue hebdomadaire : romans, histoire, voyages, 1915/02/06 (A24,N6,T2), p.51.

leur donne la mort s'ils sortent le soir des Rois. »129

Cette chasse menée par Hérode semble donc faire partie du décor. Profondément enraciné dans le local, le chasseur Hérode est un personnage atypique qu'il est possible de croiser au quotidien. « Laurent Dalphin, marinier, me racontait, en 1847, que, revenant de Lyon, il y avait environ quinze ans, et près d’arriver à Condes, il avait vu – de ses propres yeux vu – une meute innombrable qu'il prit d'abord pour celle de M. Reydelet, mais qu'il reconnut ensuite pour celle du roi Hérode. Elle venait de passer à la nage la rivière d'Ain, et se répandait dans les champs, dans les prés, dans les vignes. Il entend même encore ses aboiements, qui diminuaient de force à mesure qu'elle s'avançait au fond de l'horizon.

Ayant raconté la chose à Pierre Richoux, celui-ci l'accueillit d'un air d'incrédulité un peu choquant, ce qui amena un défi pour l'année suivante. Il fut convenu qu'à pareil jour, ils sortiraient ensemble du village, et qu'alors ils seraient témoins tous deux de la vérité de ce phénomène. Le passage du chasseur eut effectivement lieu. Antoine Levrat, leur ami commun, qui les accompagnait, peut l'attester. A peine étaient-ils engagés dans un étroit sentier tracé dans les neiges, qu'ils ont entendu de loin, sur les montagnes du Bugey, le train de cette chasse nocturne. Le bruit grossissant de plus en plus, avec une incroyable vitesse, comme si la meute eût marché de front avec le vent, nos braves champions avaient compris qu'ils n'avaient plus qu'à battre en retraite ; et ils étaient rentrés chez eux tout hors d'haleine, et profondément convaincus du passage du roi chasseur. »130

En outre, se pose la question de l'ancienneté de la chasse ainsi de la manière dont elle s'est transmise. Généralement, les auteurs rapportant ce genres d'anecdotes l'expliquent par un héritage immémorial, vestige d'une époque oubliée. « Il reste encore aujourd'hui, dans notre voisinage, mais sous une autre forme, une trace de ce souvenir légendaire. Lorsque, pendant l'hiver, des troupes d'oiseaux sauvages viennent à traverser nos marais, on entend les anciens des village dire ; « C'est

la cache (la chasse) Herode. »131

Ce type de chasse serait antérieur au christianisme et aurait nécessairement subit des modifications, notamment dans l'identité des protagonistes. Les chasses menées par les dieux païens auraient été lentement mais sûrement christianisées, ce qui expliquerait, selon certains auteurs, l'existence de figures juives à la tête des chasses fantastiques : « le christianisme, changeant les

129 PILOT DE THOREY J.-J.-A., Usages, fêtes & coutumes existant ou ayant existé en Dauphiné, Xavier Drevet éditeur, Grenoble, 1885, n.1 p.171.

130 MONNIER D. et VINGTRINIER A., op. cit., p.85-86.

131 TOLLEMER A., Journal manuscrit d'un sire de Gouberville et du Mesnil-au-Val, gentilhomme campagnard, au

Cotentin, de 1553 à 1562, [étude publiée dans le "Journal de Valognes" du 17 février 1870 au 20 mars 1872], impr.

masques et baptisant tous ces esprits, en a fait la chasse du roi Hérode ou le veneur Caïn. Des souvenirs du culte de Diane sont venus se greffer sur ce conte germanique, et la déesse de la chasse est devenue plus tard l'éternelle danseuse Hérodiade. »132

En effet, il se trouve que lorsque Hérode ne mène pas la chasse, c'est Hérodiade, tantôt sa fille, tantôt sa femme, qui s'en charge. Dans la tradition biblique, Hérodiade, femme du roi Hérode, veut se venger de Jean le Baptiste. « C'est qu'en effet Hérode avait fait arrêter, enchaîner et emprisonner Jean, à cause d'Hérodiade, la femme de Philippe son frère. Car Jean lui disait : "Il ne t'est pas permis de l'avoir." Il avait même voulu le tuer, mais avait craint la foule, parce qu'on le tenait pour un prophète. Or, comme Hérode célébrait son anniversaire de naissance, la fille d'Hérodiade dansa en public et plut à Hérode au point qu'il s'engagea par serment à lui donner ce qu'elle demanderait. Endoctrinée par sa mère, elle lui dit : "Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean le Baptiste." Le roi fut contristé, mais, à cause de ses serments et des convives, il commanda