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CHAPITRE II : L'ARCHÉTYPE DU CHASSEUR MAUDIT

2.4/ LE CAS PARTICULIER DU ROI ARTHUR

Certaines chasses fantastiques sont menées par un certain Artus ou Artu, notamment dans les Landes et en Haute-Bretagne, « on trouve la Chasse Artus, dans le pays fougerais, en Normandie, en Gascogne ; la Chasse Artu, dans le Maine, en l'Ille-et-Vilaine »152.

« Cette meute passe comme le vent. On dirait qu'elle vient de votre côté et, au moment où vous croyez qu'elle est sur vous, vous l'apercevez à l'horizon continuant sa course fantastique. C'est la chasse du roi Artus ! »153

Ces chasses reposent également sur le thème du chasseur maudit pour avoir enfreint une règle religieuse : « les anciens racontent que ce personnage assistait un dimanche à la messe paroissiale, lorsqu'il entendit des chiens aboyer dans la plaine voisine. C'était tout le tintamarre d'une chasse au courant. Sans attendre la fin de l'office divin, n'écoutant que sa passion, Artus sortit de l'église pour prendre part à la chasse. Dieu, pour le punir, l'a condamné à chasser jusqu'à la fin des siècles. »154

Quand ce n'est pas pour avoir quitté la messe ou ne pas s'être rendu à l'église, Artu doit sa damnation au fait qu'il aurait violenté un représentant de l’Église ou directement blasphémé : « [La chasse Artu] passe à l'approche des grandes fêtes, notamment à Pâques. On entend comme des aboiements de chiens qui poursuivent un lièvre furieusement. Artu, disent les bonnes gens, était un chasseur infatigable, qui, rencontrant un prêtre, lequel portait le saint viatique, ne voulut pas s'arrêter et témoigner son respect à la sainte hostie. Pour le punir, Dieu l'a condamné à chasser sans cesse, durant tous les siècles, jusqu'à la fin du monde. Mais je crois bien que le bruit de la chasse Artu est produit par des volées d'oiseaux qui émigrent, ou par des bandes de volatiles nocturnes.

(Conté, et explication donnée par Jean Riollier, de Guipel). »155

Ces récits ont inspiré de nombreuses compositions, qui rendent difficile la datation précise du phénomène, mais illustrent combien la société de la seconde moitié du XIXe siècle se passionne

pour ce genre d'histoires.

«Nous avons vu, rasant la terre, Passer un essaim vaporeux ;

Il a glissé sur la bruyère,

152 SEBILLOT P., « Les noms de la chasse aérienne », Revue des traditions populaires, 1902/09 (A17,T17,N9)- 1902/10 (A17,T17,N10), p.504-505.

153 ORAIN A., « Le monde fantastique en Haute-Bretagne I », Mélusine : revue de mythologie, littérature populaire,

traditions et usages, Paris, Librairie Viaut, 1886 (T3), p.374.

154 Idem.

155 « Conté, et explication donnée par Jean Riollier, de Guipel » in DUINE F., « La chasse Artu », Revue des

Et dans l'espace solitaire Planent des bruits mystérieux. Un jour, dans la vieille Bretagne,

Suivi de nombreux chevaliers, Artus parcourait la campagne. En avant ! chasseurs et limiers ! Dans la sombre et vaste bruyère,

On voyait du blanc palefroi Ondoyer la longue crinière ;

C'était une chasse de roi !

Mais dans le val la cloche tinte ; Déjà l'ermite est à l'autel : Sa bouche entonne l'hymne sainte,

L'encens monte vers l'Eternel. A genoux sur la froide pierre, Ses mains jointes, le front courbé,

Artus commence une prière Quand, soudain, le cor a sonné !

Le limier a lancé la bête Qui fuit devant le tourbillon. La meute, comme une tempête Roule, en hurlant, dans le vallon.

Artus interrompt sa prière, Il s'élance du seuil sacré... Mais, sous ses pieds tremble la terre,

Et dans l'air la foudre a grondé.

Les longs éclats de ce tonnerre Courent dans le val, sur les monts ;

Le soleil voile sa lumière, Des cris sortent des bois profonds.

La nuit étend sur cette plage Un manteau de deuil et d'effroi ;

A retenti comme un beffroi : Je punis les rois sacrilèges... Va !... jusqu'au jour du jugement,

Plaines, forêts, sables et neiges Sentiront ton vol haletant. Allez ! volez ; rasez la terre, Roi, chiens, piqueurs, beaux palefrois !

La voix se tut et le tonnerre Grondait une dernière fois. »156

Par ailleurs, si la mesnie Hellequin est parfois assimilée à une bande de chiens errants, la chasse menée par Artus est parfois interprétée comme étant un rassemblement de chats sauvages et l'influence démoniaque n'est jamais très loin. « Pour les uns, la chasse Artu était causée par des chats mâles qui faisaient ce bruit de chasse en allant la nuit au sabbat ; pour d'autres, c'était le passage des démons transportant à travers les airs le corps d'un damné. »157

Finalement le seul point qui distingue ce récit des autres chasses est le nom de son meneur, à savoir Artus. Ce dernier est souvent rattaché au roi Arthur, qui dès lors prend la tête de la bande. Cette croyance est répandue dans le sud-ouest de la France, notamment dans « le Périgord, la Guyenne, l'Armagnac, le Comté de Foix, etc. »158

« C'est la Chasse infernale, la Chasse du roi Arthur qui ainsi passe dans les airs, toujours poursuivant, sans jamais l'atteindre, le cerf merveilleux que les Chevaliers de la Table-Ronde avaient traqué sans souci de la récolte du laboureur, de l'enclos de la veuve et de la chapelle du vénérable ermite. »159

Ce rattachement a une ancienne et illustre figure permet par ailleurs d'attester l'ancienneté de ce genre de chasses ainsi que de renforcer, notamment en Bretagne, une certaine idée de la culture, de l'identité et des traditions locales.

156 Signé « D.F. », in : DASTUGUE D., Livre indispensable aux chasseurs & aux pêcheurs : chasse & pêche (secrets

importants), Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1867, « Toast a Saint-Hubert - La légende d'Artus », p.129-130.

157 DOTTIN G., Les parles du Bas-Maine, cité in SEBILLOT P., « La chasse Artu dans la Mayenne », Revue des

traditions populaires, 1899/02 (A14,T14,N2), p.83.

158 BERENGER-FERAUD L. J.-B., Superstitions et survivances étudiées au point de vue de leur origine et de leurs

transformations, Tome 2, Paris, E. Leroux, 1896, p.159 ; l'auteur explique cette localisation par l'histoire : « Cette

légende du roi Arthur, comme d'ailleurs les diverses variantes de l'idée de la chasse nocturne, a dû être apportée ou ravivée par la domination anglaise en Gascogne. » (p.159)

« Et encore aujourd'hui racontent les Bretons, par les soirées d'été qu'éclaire le blanc croissant de la lune, on entend des bruits de chasse lointaine qui bientôt se rapprochent ; ce sont des hennissements de chevaux exténués, des bruits de galop furieux, des appels de valets, des jurements et des blasphèmes mêlés au son lugubre des cors. "Hallo ! hallo ! hallo !" crient des centaines de voix. "En avant ! en avant ! en avant ! mes fidèles !" dit le chef des chasseurs. Et les paysans se signent pieusement. »160

En outre, l'on assiste à une indiscutable mise en valeur de ces paysans, vus comme la mémoire vivante des temps ancestraux, et de certaines populations chez qui la légende et la réalité ne connaîtraient pas de solution de continuité.

« Cette histoire est donnée comme authentique par des paysans bretons qui ont vu, plus d'une fois, passer, aux douteuses clartés du matin, ces formes aériennes, fantômes de chiens, de chevaux, de chasseurs, rasant le sol avec des bruits singuliers »161.

La figure du roi Arthur comme meneur d'une chasse nocturne se retrouve jusque dans les Pyrénées et ce, jusqu'à la fin du XXe siècle, notamment à travers celle du Re Artus. Mais cette figure ne serait qu'une interprétation récente et hâtive, d'une autre figure, plus ancienne et dont le sens se serait lentement perdu.

« L'introduction du Re Artus dans le thème de la chasse volante n'est donc pas une strate récente déposée sur le vieux substrat indigène culturel. Elle est la réutilisation d'un thème de ce vieux substrat, thème trop anciennement enraciné pour pouvoir être éradiqué. Elle est l'intégration de celui-ci dans une "morale" nouvelle, son remodelage éthique, sa recréation par la christianisation qui en a fait la punition infligée à ceux qui ne respectent pas le rituel chrétien. Et ceci d'autant plus facilement que le ré Artus a pu s'identifier sans difficulté, répétons-le, à des mythes vascons antécédents impliquant eux aussi des déplacements aériens, nocturnes et bruyants. »162

L'aspect royal dans les chasses fantastiques serait purement anecdotique : comme le titre du prétendu sire Gallery, la couronne ne vient orner le récit qu'à titre d'accessoire. « La collecte "sur le terrain" de la tradition orale montre que, pour les informateurs, la qualité importante à rattacher au personnage pour que le mythe ait son intérêt est celle de chasseur et non celle de roi. C'est donc le chasseur qui, avant le roi, est resté dans la mémoire populaire. En effet, pour la majorité des informateurs du Comminges et du Couserans qui transmettent le mythe, Nartus eth Cassaïre (Nartus le chasseur) est un mortel ordinaire que sa passion pour la chasse conduit à négliger un rituel chrétien. »163

160 Ibid., p.100-101.

161 DASTUGUE D., op. cit., p.129.

162 GRATACOS I., "Le Re Artus : thème mythologique dans la tradition orale du Haut-Comminges et du Couserans (1971-2000)", Revue de Comminges, Saint-Gaudens, Société des études du Comminges, 2001/04 (T117), p.497. 163 Ibid., p.485.

S'il arrive que le dénommé Artus (et ses nombreuses variantes) ait été, dans sa vie d'homme, un prêtre164, la figure du chasseur prime et c'est le sacrilège religieux (la rupture d'un interdit

cynégétique) qui est cause de damnation. Cette faute, généralement perçue comme un affront cinglant, doit être expiée dans un châtiment reprenant la passion du chasseur : le voici condamné à chasser jusqu'à la fin des temps, et bien souvent, destiné à ne rien prendre ou un maigre voire risible gibier, ce qui revient à mener perpétuellement une chasse inachevée.

« Ici Réarthus n'est pas un prêtre comme dans le Gers, mais un roi aimant passionnément la chasse. […] Un jour de Pâques, il assistait à la messe, lorsqu'au moment de la consécration il entendit ses chiens qui avaient lancé un sanglier. Il sortit de l'église ; mais à peine sur le seuil, un tourbillon l'enleva dans les airs ainsi que sa meute et sa suite. Depuis cette époque il chasse dans les airs et doit chasser jusqu'au jugement dernier. Seulement, il ne fait pas de forte prise : il ne prend qu'une mouche tous les cents ans, et encore, ses chiens se la partagent. (Raconté par M. Lagadie, à

Igos.) »165

On peut donc retrouver en tête du cortège menant les chasses, des personnages inspirés de l'Ancien Testament comme le roi Hérode ou un roi nommé David en Pays de Retz166, mais aussi des

personnages issus de la littérature, comme Arthur, côtoyant des figures plus locales : « Au Blaisois, la chasse est dite des Machabées, et le chasseur maudit devient Thibault le Tricheur, comte de Blois, puni pour avoir méconnu les lois de l’Église et celles de l'humanité. »167.

Il est d'ailleurs tout à fait possible de retrouver certains noms célèbres et inspirés de l'Histoire mêles à ces événements. « Des personnages historiques ont, eux aussi, été placés à la tête de cette chasse fameuse. En Danemark, les célèbres rois Abel et Waldemar ; en Allemagne, l'empereur Charles-Quint et un général du Grand Électeur. Les Gallois en avaient attribué le commandement à leur roi Arthur qu'ils ne purent jamais se résoudre à croire mort. Pour eux, les tempêtes se déchaînant sur les rochers de Cornouailles n'étaient que les échos lointains des bataillons d'Arthur, au combat de Glastonbury. »168.

Leur titre royal passe alors derrière le rôle de chasseur : il n'est peut-être présent que pour renforcer leur statuts de meneurs des chasses fantastiques.

164 Voir à ce sujet : MAZERET L., « Le chasseur Réarthus », Revue des traditions populaires, 1909/12 (A24,T24,N12), p.494.

165 MAZERET L., « Le Réarthus Landais », Revue des traditions populaires, 1910/08 (A25,T25,N8)-1910/09 (A25,T25,N9), p.313.

166 CHARPENTIER F., « Les chasses fantastiques en pays de Retz et Blaisois », Revue des traditions populaires, 1894/07 (A9,T9,N7), p.413.

167 Idem.

168 VAN DEN GHEYN J., Essais de mythologie et de philologie comparée, Paris, Palmé et Bruxelles, Société belge de librairie, 1885, p.116.