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CHAPITRE III : DES PHÉNOMÈNES PLURIELS

3.1/ DES CHASSES EXTRAORDINAIRES AUX CHASSES FANTASTIQUES

Nous avons vu jusqu'ici que les meneurs des chasses fantastiques prenaient différentes appellations, toutes en lien avec le thème bien précis du Chasseur maudit, que nous venons d'évoquer en détail. Pour autant ce thème ne résume pas toutes les chasses fantastiques et d'autres phénomènes bigarrés se présentent à nous.

En dehors du thème du Chasseur maudit, damné pour ses fautes et sa fièvre de chasse, existent d'autres chasses dont l'impact cynégétique varie.

Ces phénomènes diffèrent en fonction de leurs références cynégétiques. Certains portent l'appellation de « chasse » et ne présentent pourtant aucune caractéristique cynégétique. Nous avons commencé cette étude en rappelant l’ambiguïté existant avec le récit de l'Armée Fantôme.

Certaines chasses n'en sont pas, quand d'autres dissimulent les traits proprement

cynégétiques de multiples façons. Le thème est traité diversement et le Chasseur maudit n'est qu'une des versions les plus sophistiquées et abouties.

Ce que l'on nomme les « chasses fantastiques » est avant tout le produit d'un temps et d'une société. Le XIXe siècle voit se rassembler des textes prolifiques traitant des traditions orales des

populations rurales. Au sein du mouvement folkloriste s'engage une course pour recueillir le plus de contes, de légendes et de traditions possibles, essentiellement paysannes.

Les phénomènes de chasses hors du commun ne font pas exception : ce genre de récits a été relevé de manière si fréquente et dans tant de régions d'Europe différentes, que les collectes

entraînent certaines interrogations. Le mouvement folkloriste va jusqu'à supposer que ces récits sont les restes de cultes pré-chrétiens et va surtout les rassembler pour les mettre par écrit, tout en modifiant certains passages et en insistant sur certains traits. Mais surtout le mouvement folkloriste va désigner tous ces récits sous un seul terme générique : c'est le cas en France de l’appellation de « chasses fantastiques ». En concurrence avec d'autres adjectifs, comme « infernales »,

« maudites », ou encore« diaboliques » celui de fantastique va marquer durablement les consciences.

Il est nécessaire de se rendre compte de ce simple fait : ce terme de « fantastique » est évidemment propre à la fin du XIXe siècle, notamment sous l'influence de la Revue des Traditions

Populaires, qui va présenter une série de contributions portant le nom de « chasses fantastiques ».213

Ces chasses, recouvrant des phénomènes certes originaux, sont également une création de la société de la seconde moitié du XIXe siècle, portée sur les traditions et les croyances ancestrales. Ce

terme de « fantastique » témoigne de l'intérêt d'une époque et d'une société pour un phénomène particulier.

De plus, on peut légitimement se demander si le terme de « fantastique » ne doit pas son succès au fait qu'il dissimule efficacement les références à la religion. En effet, ces chasses étaient souvent placées sous l'autorité du Diable, qu'il soit directement nommé ou non. On parlait des chasses infernales, maudites, diaboliques ou plus généralement de la chasse du Diable. Le terme de « fantastique » abolit cette référence, et rend le récit plus neutre.

Cette évolution serait le reflet d'une société en transformation. Ainsi, les chasses

extraordinaires issues du monde paysan restaient fortement marquées par le christianisme. Dans le monde intellectuel des années 1880-1890, les filtres sociaux et culturels étaient radicalement différents. Le rassemblement de récits divers sous une même dénomination, neutre qui plus est, contribue à les modifier en profondeur, voir à les aseptiser, et débouche logiquement sur une uniformisation de ces derniers. Les chasses fantastiques sont donc, avant toute chose, un type de récits correspondant aux filtres d'une société intellectuelle, littéraire et bourgeoise de la seconde moitié du XIXe siècle.

Ces fameuses chasses fantastiques sont en quelque sorte des enfants de la modernité. Il s'agit d'une vision romancée, d'une fiction d'un monde rural où les paysans étaient les témoins de

phénomènes hors du commun, et d'une époque où le surnaturel et le divin faisaient partie intégrante de ce monde. Le terme de « chasse fantastique » témoignerait donc d'une vision désacralisée du monde.

Cette dénomination générique de « chasses fantastiques » masque donc la diversité des phénomènes relevés. Nous avons déjà évoqué un certain nombre d'entre elles, notamment celles qui tournent autour de la figure centrale d'un meneur, généralement couronné, rois bibliques et rois historiques, rois mythiques ou imaginaires comme le roi Hugon, « censé chevaucher la nuit autour des villes et des remparts des places de guerre ; de sa puissante main ou d'une baguette invisible, ce

213 Quelques exemples : L'ESTOURBEILLON R. (comte de), « Les chasses fantastiques, I », Revue des traditions

populaires, 1892/03/15 (Année 7, Tome 7, Numéro 3), p.175 ; DUYNES F., « Les chasses fantastiques en

Angoumois », Revue des traditions populaires,1894/02 (Année 9, Tome 9, Numéro 2), p.91 ; CHARPENTIER F., « Les chasses fantastiques en pays de Retz et Blaisois », Revue des traditions populaires, 1894/07 (A9,T9,N7), p.413 ; HAROU A., « Les chasses fantastiques en Danemark », Revue des traditions populaires, 1898/12 (A13,T13,N12), p.695-696 ; BONNARDOT F., « Les chasses fantastiques dans la Côte d'Or », Revue des traditions

Nemrod fantastique frappait et abattait les mortels assez peu chanceux pour se trouver sur son passage ; il les chassait devant lui comme une proie qui lui était due et, très-souvent, les faisait disparaître au milieu des vivants. »214

« Des chasses fantastiques, les unes, comme la chasse Saint-Hubert, appartiennent au cycle religieux, d'autres, comme la chasse Arthour, au cycle héroïque ; mais le plus grand nombre sont du cycle diabolique, et elles abondent en expressions originales. »215

A la chasse de saint Hubert, on peut adjoindre celle de saint Eustache, autre saint lié à la figure du cerf. On retrouve la « chasse aux revenants de la Saint Hubert en Nivernais »216

Il y a également les chasses associées à un mauvais seigneur puni pour ses fautes comme la chasse considérée ou expliquée comme celle du seigneur Gallery et ses nombreux dérivés ou déformations, ainsi que celles associées à des seigneurs locaux.

La liste est longue. Il convient de citer les chasses dont les noms reviennent le plus souvent : la « Chasse à Bodet, la Chasse à Rigaud, la Chasse à Ribaut, en Berry ; la Chasse Briguet, sur les bords de la Loire ; la Chasse Malé, la Chasse Mare, la Chasse Maro, dans le Maine ; la Chasse à

l'Humaine, en Ille-et-Vilaine ; la Chasse Valory, dans le Bas-Maine ; la Chasse du Diable, en

Normandie ; la Chasse du Peut ou du Diable dans la Côte-d'Or ; la Chasse Maligne, en Forez et en Bourbonnais ; la Chasse Proserpine, la Chasse Chéserquine, la Chasse Mère Harpine en Normandie. »217

Il existe également la chasse des Avents en Bourgogne, la Chasse « à l'humaine » ou « au grand bois » (Champagne, Vosges)218 ainsi que la chasse Macchabée : « Au Blaisois, la chasse est

dite des Machabées, et le chasseur maudit devient Thibault le Tricheur, comte de Blois, puni pour avoir méconnu les lois de l'Eglise et celles de l'humanité. »219

« Cette chasse nocturne porte dans le pays le nom de Chasse du comte Thibault, et aussi celui de Chasse-Machabée, qui rappelle la danse macabrée ou macabre, qui eut tant de popularité dans le moyen-âge. La Touraine a sa Chasse du roi Hugon, le Poitou sa Chasse-galerie, etc. »220

En outre, il est possible de croiser la chasse de la Mère Harpine, « la chasse Proserpine, ou

214 PÉAN, "Le roi Hugon", Mémoires de la Société archéologique de Touraine, [s.n.], Tours, 1865, p.141.

215 HÉRICHER E. (LE), « Histoire et glossaire du Normand, de l'Anglais et de la Langue française », Mémoires de la

Société d'archéologie, de littérature, sciences et arts d'Avranches, tome troisième, E. Tostain, Avranches, 1864,

p.179.

216 BOUTEILLER M., Sorciers et jeteurs de sort: enquêtes, témoignages et procès de sorcellerie du 16ème au 20ème siècle

en Berry, Nivernais et Sologne, Paris, Royer, 2000 (1958 pour la première édition), p.132.

217 SÉBILLOT P., Croyances, mythes et légendes des pays de France, Paris, Omnibus, 2002, « Livre Second : La Nuit et les esprits de l'air, Chapitre 2 : les chasses aériennes et les bruits de l'air », p.128.

218 HELL B., Sang noir: chasse, forêt et mythe de l’homme sauvage en Europe, Paris, l’Oeil d’Or, 2012, p.195. Voir dans cet ouvrage « Les chasses maudites » p.193-203.

219 CHARPENTIER F., « Les chasses fantastiques en pays de Retz et Blaisois », Revue des traditions populaires, 1894/07 (A9,T9,N7), p.413.

Chéserquine »221 ainsi que toutes celles associées à Hellequin, Hennequin, Herlequin, et parfois

rattachées à l'idée de « mesnie » ou de « menée ».

Citons par exemple la « Cache hêletchieyn, prétendue chasse aérienne »222, également

appelée « chasse Hêle-tchieyn », que Jean Fleury décrit comme une « chasse mystérieuse qu'on croit entendre passer dans l'air par les belles nuits d'été ; ancienne tradition »223.

Sans compter toutes celles qui tournent autour du Diable, les différentes chasses infernales, maudites et diaboliques présentes dans de nombreuses régions de France. Il existe également la Chasse maligne (Châteauroux, Bourdonnais), Chasse à Bader (Lucifer) à Asnières-les-Bourg, chasse galopine (Poitou, Touraine)224. Les chasses du Peût, du Piqueur Noir, du Chasseur Noir, du

Veneur Noir, du Mauvais Chasseur...225 ou encore celle de la Haute Chasse qui, en Savoie, « passe

avec ses chiens et apporte une jambe sanglante qui laisse une tache indélébile. »226

En Corse, on retrouve la Squadra d'Arrozza, c'est-à-dire la confrérie des morts également appelée la bourrasque des morts227. Elle « ne se montre que dans les occasions solennelles, pour des

gens qui valent la peine qu'elle se dérange, pour des pères et des mères dont la mort est un malheur irréparable pour ceux qui restent. A l'heure de minuit, le tambour bat le rappel dans le cimetière et les morts se rassemblent : ils sont en nombre infini. Vêtus de longues chapes noires, les capuchons rabattus sur la figure, ils se mettent en marche lentement, gravement, en observant les distances comme une procession. Sur le devant du capuchon sont deux trous à travers lesquels on voit leurs yeux éteints. »228

Ajoutons à cela la chasse sauvage, présente en Alsace229 et nous avons déjà une bonne idée

de la richesse et de la diversité des chasses hors du commun en France dans la seconde moitié et la

221 BOSQUET Amélie, La Normandie, romanesque et merveilleuse: traditions, légendes, et superstitions populaires

de cette province, J. Techener, Paris, 1845, p.68.

222 FLEURY J., Essai sur le patois normand de La Hague, Maisonneuve Frères et Ch. Leclerc Éditeurs, Paris, 1886, p.150.

223 Idem., p.241.

224 Sur ces trois chasses citées et leurs lieux d'apparitions voir : BOUTEILLER M., op. cit., p.131-132.

225 Voir notamment : SEIGNOLLE C., Les Evangiles du diable selon la croyance populaire, Paris, R. Laffont, coll.« Bouquins », 1998, p.10.

226 ABRY Christian, JOISTEN Alice. « Le Roi Hérode, chasseur sauvage en Savoie et Dauphiné », Le Monde alpin et

rhodanien, Revue régionale d'ethnologie, n°4/2001. p.9.

227 Voir, à ce sujet : ORTOLI J. B., Les contes populaires de l'Île de Corse, Maisonneuve et Cie, Éditeurs, Paris, 1883, p. 317-319 et p.337-342.

228 ORTOLI Antoine-Lucien, « Croyances populaires de la Corse », La Tradition : revue générale des contes,

légendes, chants, usages, traditions et arts populaires, Emile Lechevalier, Librairie générale et internationale

Gustave Ficker, Paris, 1887/05 (N2), p.48.

229 Encore attestée dans les années 1980 : « Dans la vallée de Münster on racontait autrefois qu'il y avait le chasseur

sauvage qui rôdait dans la forêt. Il poursuivait avec ses chiens un cerf imaginaire. Il ne fallait pas le rencontrer, c'était un danger terrible (Gilbert K., 75 ans, retraité. Münster. Janvier 1983).

Quand on montait au mont Sainte-Odile, mon père racontait toujours l'histoire de la chasse sauvage. En hiver quand la nuit tombait vite, il nous disait de hâter le pas parce que c'était à cette époque que cette horde de

démons traversait la forêt (Madame B., 50 ans, mère de famille. Obernai. Février 1983). » in HELL B., Entre chien

et loup: faits et dits de chasse dans la France de l’Est, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme,

fin du XIXe siècle230.

Il faut souligner par ailleurs que ce genre de chasse est également présent dans une bonne partie de l'Europe, essentiellement en Allemagne, où cette chasse est connue sous le nom de Wilde

Jagd, littéralement « Chasse Sauvage » mais également : Wildes Heer (l'Armée Sauvage), Wütendes Heer, Wütoschend Heer.

On peut ajouter les chasses liées à la figure d'Odin (Woden, Wotan) dans les pays germaniques, avec notamment : Odinsjakt au Danemark, Wodensheer (Mecklembourg), Wuedens

Jagd (Hesse), et Woendende Jager aux Pays-Bas.231

On retrouve la chasse dans le Nord de l'Europe : « Il y a sur les côtes de la Baltique, comme dans la plupart des contrées montagneuses de l'Europe, des chasseurs défunts, condamnés pour leurs méfaits à courir éternellement à travers les marais et les taillis. Les habitants du Sternsklint entendent souvent le soir les aboiements des chiens de Grœnjette ; ils le voient passer dans la vallée, le chasseur réprouvé, la pique à la main ; et ils déposent devant leur porte un peu d'avoine pour son cheval, afin que dans ses courses il ne foule pas aux pieds leurs moissons. »232

En Scandinavie, en particulier en Norvège, « la Chasse Sauvage est appelée Oskoreia, "la Chevauchée terrifiante". Il s'agit d'une troupe d'hommes masqués ou bien d'esprits qui passent à cheval (ridende julevetter), entre Noël et l’Épiphanie ou à la Sainte-Lucie, d'où un autre nom de la Chasse sauvage : Lussiferdi. »233

Au Danemark, on retrouve l'histoire d'un seigneur maudit pour la mauvaise vie qu'il a menée. À sa mort, « un fouet invisible le réveille, et par la pluie, par le brouillard, ce fouet dont il frappait les prêtres, le frappe à son tour. Il galope d'un galop infernal, sans repos, ni trêve, à la poursuite d'une proie impossible, autour de son château en ruine, sur les rives du lac de Gurre et dans les bois de Grib.

230 Pour plus de précisions sur la diversité des appellations voir : SÉBILLOT P., Croyances, mythes et légendes des pays

de France, Paris, Omnibus, 2002, « Livre Second : La Nuit et les esprits de l'air, Chapitre 2 : les chasses aériennes et

les bruits de l'air », « Noms des chasses fantastiques », p.127-129. ; SÉBILLOT P., « Les noms de la chasse aérienne »,

Revue des traditions populaires, 1902/09 (A17,T17,N9)-1902/10 (A17,T17,N10), p.504-505 ; VAN GENNEP A., Le

folklore français. Tome 4: Bibliographies, questionnaires, provinces et pays, Paris, Laffont, coll.« Bouquins », 1999,

« Chasse sauvage, fantastique ou volante » (p.502-503) ; SEIGNOLLE C., Les Evangiles du diable selon la croyance

populaire, Paris, R. Laffont, coll.« Bouquins », 1998, p.10 et p.496-502.

Voir également : LE QUELLEC J.-L. et B. SERGENT, Dictionnaire critique de mythologie, Paris, CNRS éditions, 2017. Voir « CHASSE SAUVAGE (MT E501) » (p.189) ainsi que « CHASSEUR MAUDIT » (p.190) : notamment sur les façons de nommer la chasse en Allemagne, en Angleterre et au Pays Basque.

231 LECOUTEUX C. ET P. MARCQ, Les esprits et les morts, Paris, H. Champion, coll.« Collection Essais », N˚ 13, 1990, P.98. En Espagne, au moins au Moyen Age, on trouve « l'antique armée (Huesta antigua, Exercitus antiquus) » cf. : LE GOFF J., Héros et merveilles du Moyen âge, Paris, Éd. du Seuil, coll.« Points Histoire », n˚ 403, 2008, p.191. 232 COLLIN DE PLANCY J., Dictionnaire infernal : répertoire universel des êtres, des personnages, des livres […],

6ème édition, augmentée de 800 articles, H. Plon, Paris, 1863, p.313.

C'est dans les nuits d'été, si transparentes, si admirablement belles sous les cieux du Nord, qu'on entend les meutes, les hennissements. Il y a encore de vieux paysans qui ne manquent pas, dans la nuit de la St-Jean, de laisser ouverts leurs écuries et leurs hangars pour que le roi et sa suite

puissent trouver un abri. »234

Par ailleurs, « on appelle Grongette le bruit que fait la chasse sauvage dans la Mona- Danoise, île de la mer baltique où la même tradition s'est conservée. »235

En Angleterre, le phénomène est connu sous les noms de : Raging Army, wild hunt, the

Devil and his pack of yeth-hounds, the Devil and his dandy dog, the galerian ratchets.

« On croyait aussi en Angleterre à ces chasses merveilleuses : la Chronique saxonne raconte qu'on vit dans les forêts voisines de Peterborough des chasseurs noirs, grands et difformes, sur des coursiers noirs, menant des chiens noirs et poursuivant des biches noires, et qu'on entendit leurs cors pendant quarante nuits. (Ap. Aug. Thierry. Conquête de l'Angl. II, 273.) »236

Il est également possible de rencontrer ce genre de chasse au Pays de Galles : « M. Ménechet, dans sa spirituelle description des superstitions du pays de Galles, parle d'une espèce de chiens assez merveilleux pour mériter ici une mention : « Les cwes anmon (chiens d'enfer), que l'on appelle aussi quelquefois cwes wyloir (chiens du ciel), forment, dit-il, une meute fort extraordinaire. Les personnes qui ont l'ouïe assez fine pour cela les entendent souvent courir la chasse dans les airs, quoique l'on ne dise pas quel est le gibier qu'ils poursuivent. On assure qu'ils sont surtout bruyants peu de temps avant la mort des personnes très-perverses. Les uns disent que ces animaux sont blancs et ont les oreilles rouges ; d'autres prétendent, au contraire, qu'ils sont tout noirs. Ils sont peut-être de la nature du caméléon, qui se nourrit d'air comme eux. » »237

Au Pays Basque, le phénomène prend différents noms dont : Mateo-txistu, Juanito-

txistularia, Martinabade, Erregue-Xalomon, Salomon-apaiza.

Au Luxembourg238, existe une légende mettant un scène un chasseur chassé après sa mort :

« Au bois du Dansau (Luxembourg belge), on rattache une tradition de chasse infernale analogue à la légende si populaire en Allemagne. Ici le « féroce chasseur » (un comte d'Herbeu-Mont) a le cou

234 HAROU A., « Les chasses fantastiques en Danemark », Revue des traditions populaires, 1898/12 (A13,T13,N12), p.695-696.

235 MONNIER D. et VINGTRINIER A., Croyances et traditions populaires recueillies dans la Franche-Comté, le

Lyonnais, la Bresse et le Bugey, 2e édition, H. Georg, Lyon, 1874, p.772.

236 HÉRICHER E. (LE), op. cit., p.183. 237 COLLIN DE PLANCY J., op. cit., p.167.

238 Sur le Luxembourg voir également : HAROU A., « Le Chasseur qui se fait porter », « Le Chasseur sauvage du bois », et « La Chasse du Parricide », Revue des traditions populaires, 1905/09 (A20,T20,N9), p.368-369. Voir également : TANDEL E., Usages, coutumes et légendes du pays de Luxembourg, in : Annales, Tome 32, Institut Archéologique du Luxembourg, Arlon, 1897. Notamment : « Le chasseur sauvage près de Boxhorn » p.57, « Le chasseur sauvage entre Knaphoscheid et Dönningen » p.57, « Le chasseur luthérien » p.58, « Légende du Grieselmännchen » p.58, « Le chasseur de Langholz près de Monnerich » p.59, « La troupe sauvage à Wilz » p.59, « Le seigneur de Stolzenberg », p.59-60, « La voiture enflammée à Remich » p.60.

tordu par le Diable, et, ainsi arrangé, visage à l'envers, est emporté sur son cheval avec une meute de chiens furieux à ses trousses. Aux heures sombres, il n'est pas rare d'entendre les profondeurs mystérieuses du Dansau s'emplir de bruits étranges, provenant de cette chasse d'un nouveau genre, où c'est le chasseur qui est chassé. »239

Toujours dans cette contrée, sévit la chasse Manchette : « En Manchette, le sire de Manchette, seigneur de Weiler (Hachiville) qui, dans un accès de colère, tue son fils à la chasse et qui, depuis lors, nouveau juif errant de la vénerie, est condamné à chasser, chaque nuit, dans les bois, les fourrés et les vastes plaines qui s'étendent entre Hachiville, Weiler, Asselborn, Bellain, Limerlé et Steinbach. La chasse de Manchette ! qui donc, dans le pays, s'il s'est attardé, le soir, du côté de la frontière grand-ducale, n'a entendu, dans le lointain ses cris de chasse : haïe tet ! haïe tet ! se répercutant de colline en colline, de forêt en forêt ? Qui n'a entendu les aboiements pressés de sa meute de bassets, meute infernale qui, par monts et par vaux, chassera jusqu'à la consommation des siècles ? »240

Ce phénomène de chasses menées par des morts et des entités surnaturelles se retrouve au Canada, avec la « Chasse-Galerie »241, et jusqu'au Japon242.

La diversité des appellations témoignerait de l'ampleur des anciennes pratiques, liées aux cultes du passé. Les campagnes seraient le creuset où se conservent les antiques croyances. « Toutes ces expressions évoquent d'antiques croyances, toujours vivaces malgré l'amoncellement des siècles, de fantastiques et effrayantes légendes qui circulent encore de nos jours dans les campagnes retirées et arriérées. »243

Cependant, nous l'avons vu, toutes ces chasses extraordinaires diffèrent beaucoup entre elles