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L’audience que l’ONÉ a la responsabilité d’organiser dans les cas de délivrance d’un certificat d’utilité publique est une audience de type fermé puisque certaines conditions sont requises pour pouvoir y participer. En effet, les participants doivent démontrer qu’ils ont un intérêt à participer à l’audience. La LONÉ prévoit à son article 55.2 les conditions nécessaires afin de participer, qui consistent en deux catégories de participants. Les termes de l’article 55.2 sont vagues et offrent ainsi une grande discrétion à l’ONÉ dans le choix des participants à l’audience :

L’Office étudie les observations de toute personne qu’il estime directement touchée par la délivrance du certificat ou le rejet de la demande et peut étudier les observations de toute personne qui, selon lui, possède des renseignements pertinents ou une expertise appropriée.

La décision de l’Office d’étudier ou non une observation est définitive [surlignés].

Cet article contient une partie impérative qui impose à l’ONÉ d’étudier les observations de toute personne directement touchée par un projet de pipeline. Toutefois c’est à lui de déterminer (« estime ») si ces personnes sont directement touchées (Section 1.) La deuxième partie de l’article prévoit seulement que L’ONÉ « peut » étudier les observations de la deuxième catégorie de participants, il n’y a là aucune obligation (Section 2.).

83 9 septembre 2016, Ordonnance d’audience, supra note 59. 84 Règles de pratique, supra note 57, art. 23(1)a).

37 L’ONÉ a tout de même élaboré quelques lignes directrices85 indiquant les facteurs à prendre en compte lors de la détermination de l’intérêt d’une personne qui désire participer aux audiences publiques.

Section 1. Personne directement touchée

Le premier critère pouvant justifier l’intérêt d’une personne à participer à une audience de l’ONÉ est fondé sur l’impact que le projet de pipeline peut avoir sur cette personne. Dès lors le participant potentiel lorsqu’il fait parvenir sa demande de participation doit démontrer son ou ses intérêts justifiant sa présence. Lors de l’examen de la demande, l’ONÉ examine si différents critères sont réunis. En premier lieu, la nature de l’intérêt de la personne est examinée86, il s’agit alors de déterminer si l’intérêt du participant est personnel ou particulier et s’il dépasse le cadre de l’intérêt général. Une personne souhaitant participer, car inquiète du bien-être de ses concitoyens aura ainsi du mal à justifier sa demande, car toute altruiste qu’elle soit, il ne s’agit pas d’un intérêt strictement personnel. Les critères justifiants d’un intérêt personnel ou particulier peuvent être de nature économique, foncière ou commerciale (perte de revenus, d’emploi, de valeur foncière), mais peuvent aussi concerner l’utilisation ou l’occupation de terres ou de ressources qui pourraient potentiellement être impactées par le pipeline. Ce dernier critère prend en compte tant l’utilisation et l’occupation personnelles qu’à des fins traditionnelles ou autochtones.

Dans un deuxième temps, l’ONÉ vérifie si le rejet ou l’acceptation d’un projet peut impacter l’intérêt que la personne a démontré87. Ce deuxième examen se fonde sur l’étroitesse du rapport entre le projet et l’intérêt, la probabilité et la gravité des dommages qui pourraient impacter l’intérêt ainsi que la fréquence et la durée de l’utilisation des terres ou des ressources au cœur de l’intérêt, le cas échéant.

85 Office National de l’Énergie, supra note 81. 86 Ibid.

38 L’ONÉ se fonde donc sur un double examen de l’intérêt de la personne souhaitant participer. Dans un premier temps il analyse la relation entre la personne et son intérêt, afin de déterminer si des liens suffisamment forts existent, ensuite, il analyse le lien entre l’intérêt démontré et le projet afin de déterminer si cet intérêt pourrait réellement être impacté par les conséquences d’un refus ou d’une autorisation d’un projet88. Il est intéressant de noter que l’ONÉ se prononce à la fois sur les conséquences potentielles de l’acceptation d’un projet que sur son refus. Il faut comprendre, en effet, qu’il est loisible à n’importe qui de participer afin de démontrer les conséquences néfastes que le refus opposé à un projet de pipeline pourrait lui causer.

Dans le cas d’une participation fondée sur cette justification, le demandeur n’a pas à démontrer d’expertise particulière, seuls les risques potentiels pouvant directement l’atteindre sont pris en compte. Une personne n’étant pas directement touchée par un projet, mais souhaitant toutefois participer devra démontrer un intérêt différent.

Section 2. Renseignements pertinents ou expertise appropriée

À défaut d’être directement touchée par les effets d’un projet de pipeline interprovincial, une personne souhaitant participer aux audiences de l’ONÉ devra démontrer qu’elle dispose de renseignements pertinents ou d’une expertise appropriée à apporter au débat afin de justifier sa participation89. Cette deuxième option de sélection permet de recruter des participants qui peuvent apporter un éclairage nouveau au débat à l’aide, notamment, de connaissances scientifiques et techniques pouvant aider les commissaires de l’ONÉ à prendre position dans leur recommandation.

Dans ce cas, c’est à l’ONÉ de décider si l’expertise ou les renseignements en question correspondent aux critères de sélection. Concernant les renseignements pertinents, l’ONÉ s’intéressera à l’origine des connaissances de la personne, à savoir, si celles-ci sont de nature locale, régionale ou autochtone pour ainsi déterminer le cadre d’application desdites

88 Ibid. p. 9. 89 Ibid. p. 10.

39 connaissances. En revanche, si une personne estime posséder une expertise utile, l’ONÉ s’intéressera davantage aux compétences de cette personne, soit donc, de quelle spécialité elle se réclame.

Deux critères d’analyse supplémentaires sont pris en compte, mais s’appliquent indifféremment selon que la demande de participation concerne des renseignements pertinents ou une expertise appropriée. Dans un premier temps, l’ONÉ devra déterminer dans quelle mesure les renseignements ou l’expertise sont en adéquation avec le projet. Il ne s’agit pas de mettre en doute les compétences ou les connaissances de la personne souhaitant participer, mais bien de déterminer si elles entrent dans le champ d’analyse de l’audience. Ensuite, et si les renseignements et l’expertise cadrent avec le projet, l’ONÉ se prononcera sur leur valeur relativement à la nature du projet. Quelle que soit la nature de la participation, celle-ci doit permettre d’aider les commissaires de l’ONÉ à préparer leur recommandation.

Les critères de sélection imposés à toute demande de participation ont pour effet de réduire le nombre de personnes pouvant effectivement participer. Ce double filtre, en limitant le nombre de participants, permet a priori de réduire l’audience et donc d’orienter sensiblement le débat. Ainsi, à défaut de pouvoir être directement touché par un projet ou de disposer de connaissances ayant une valeur aux yeux de l’ONÉ, il est vain de souhaiter participer. Cela occasionne la création d’un mini-public spécifique à un projet qui, d’un côté, permet de réduire les coûts en limitant l’audience et en évitant la tâche fastidieuse d’organiser une audience ouverte à tous, mais qui, de l’autre, ne permet pas à tous les Canadiens de se prononcer sur des projets d’envergure supposément analysés sous le spectre de l’intérêt général. La création de critères de sélection de participants remonte à 2012 lors de la réforme de la LCÉE. Cette importante réforme a conduit à réduire le champ de l’évaluation environnementale, mais aussi à limiter les possibilités de participation aux audiences organisées par l’ONÉ. Cette réduction du champ de participation répond à une volonté de recentrer et de faire gagner en efficacité le processus d’audience et est traduite

40 dans l’affaire Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office National de

l’Énergie)90 :

Les audiences de l’Office ne sont pas une tribune téléphonique à la radio à laquelle n’importe qui peut participer simplement en composant le numéro. Elles ne sont pas non plus un centre de consultation où n’importe qui peut soulever n’importe quoi, peu importe à quel point le sujet est éloigné de la tâche de l’Office consistant à réglementer la construction et l’exploitation des pipelines acheminant du pétrole et du gaz91.

Ainsi la complexité du formulaire de demande de participation répond à cet impératif puisque l’ONÉ « veut uniquement entendre des parties qui sont prêtes à faire certains efforts [remplir le formulaire]92 ». De plus, le choix d'accorder le droit de participer est une compétence discrétionnaire de l’ONÉ.

Chapitre 2. « Participera, ne pas participera pas » ou la compétence discrétionnaire