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Dans l’affaire Nation Haïda, la Cour suprême a estimé, malgré la possibilité de déléguer une partie des aspects procéduraux de la consultation au promoteur en charge du projet, que la responsabilité juridique incombe toujours à la Couronne et l’obligation de consultation en tant que telle ne peut jamais être déléguée. Ainsi, dans les lignes directrices élaborées par le gouvernement sur la façon de mener à bien une consultation, il est précisé que les

223 Ibid., p. 44. 224 Ibid., p. 43. 225 Ibid.

96 tiers, c’est-à-dire les promoteurs, peuvent se voir déléguer des éléments de consultation tels que la collecte d’informations sur les incidences du projet, car « les promoteurs de l’industrie sont souvent les mieux placés pour trouver des accommodements en cas d’effets préjudiciables sur des droits ancestraux […] en modifiant la conception ou l’itinéraire d’un projet226 ». Mais l’impossibilité de déléguer l’obligation impose qu’en dernier lieu ce soit toujours la Couronne qui soit en charge de la consultation.

Toutefois, les organismes de régulation en matière d’énergie, notamment l’ONÉ peuvent être considérés comme des extensions de la Couronne fédérale lorsque leurs processus règlementaires prévoient l’intervention de groupes autochtones. Cependant, lorsque des activités de consultation et d’accommodements découlent de processus d’évaluation publique telle que celui donnant lieu à la délivrance d’un certificat d’utilité publique par l’ONÉ pour les projets de pipelines interprovinciaux, cela ne décharge pas pour autant la Couronne de son obligation de consultation. En effet, les processus règlementaires de l’ONÉ sont considérés comme une aide précieuse, mais n’excluent pas la possibilité, si cela est nécessaire, de prévoir des activités additionnelles auprès des Premières Nations concernées afin de garantir le respect de leurs droits. En revanche, il se peut que le mandat de l’organisme en charge de la consultation, en l’occurrence l’ONÉ, soit suffisant pour couvrir l’obligation de la Couronne. L’ONÉ étant une autorité publique, il peut légitimement mener des activités de consultation entrant dans le champ de l’obligation de la Couronne. Toutefois, cette dernière a la responsabilité de s’assurer en amont que les consultations et accommodements requis par une activité n’excèdent pas le mandat de l’organisme. Un juge de la Cour fédérale s’est d’ailleurs prononcé sur le sujet dans l’affaire Nation Ojibway de Brokenhead c. Canada (Procureur général) 227 :

[…] La Couronne peut légitimement tenir compte des mécanismes de consultation des autochtones prévus par le processus d’examen règlementaire ou environnemental existant. Ce processus d’examen peut être suffisant pour répondre aux préoccupations des autochtones, sous réserve bien sûr de l’obligation prépondérante de la Couronne de vérifier s’ils sont suffisants dans un cas précis. Il ne s’agit pas d’une délégation de l’obligation de consultation de la Couronne, mais seulement d’un moyen par lequel celle-ci peut s’assurer que les préoccupations des autochtones ont été entendues et, le cas échéant, qu’on y a répondu228.

226 Ibid., p. 19.

227 Nation Ojibway de Brokenhead c Canada (Procureur général), 2009 CF 484 [Nation Ojibway]. 228 Ibid., au para 25.

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À défaut, des consultations supplémentaires devront être organisées. Cette responsabilité de combler les lacunes des processus règlementaires en cours ne s’éteint pas au début du processus. Ainsi, même si la Couronne peut avoir préalablement établi que le processus d’audience de l’ONÉ couvrira les besoins en consultations, elle doit s’assurer tout au long du processus que cela est toujours vrai et organiser, si requis, des consultations et/ou accommodements additionnels. Ainsi, le Canada favorise une approche pangouvernementale qui exige que « la Couronne fédérale intègre ses activités liées à la consultation des autochtones aux évaluations environnementales et aux processus règlementaires dans toute la mesure du possible229 ».

Cette approche a été encore affinée dans une décision récente. Dans l’affaire Coastal First

Nation v. British Columbia230 rendue par la Cour Suprême de Colombie-Britannique le 13

janvier 2016, la Cour s’est prononcée sur la légalité d’un accord d’équivalence (the

Agreement) entre les évaluations environnementales provinciale et fédérale conclues entre

la Province et l’ONÉ dans le cadre du projet de pipeline Northern Gateway. En signant cet accord, la Province renonçait à exercer sa compétence en matière d’évaluation environnementale privant ainsi le projet de la nécessité d’obtenir un certificat (Environmental Assessment Certificate) de la part du Bureau de l’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique (Environmental Assessment Office ou EAO). Le projet ayant été approuvé par l’ONÉ et le gouvernement fédéral, les Premières Nations, sur le territoire desquelles devait passer le pipeline, s’estimant lésées ont introduit l’affaire en justice afin de questionner la légalité de l’accord d’équivalence. L’affaire portait notamment sur l’argument selon lequel, en signant cet accord, la Province n’aurait pas effectué son devoir de consultation et d’accommodement auprès des Premières Nations. En omettant de consulter les Premières Nations, le gouvernement provincial aurait ainsi porté atteinte au principe de l’honneur de la Couronne qui se trouve être le fondement de l’obligation constitutionnelle.

229 Office National de l’Énergie, supra note 81., p. 26.

98 Selon le gouvernement de la Colombie-Britannique, la signature de l’accord aurait eu pour conséquence de transférer la responsabilité de consulter au gouvernement fédéral, car l’obligation constitutionnelle serait indivisible. À cet argument, la Cour Suprême a répondu que « bien que le concept de l’honneur de la Couronne soit indivisible lorsqu’une action est requise de la part de ladite Couronne, qu’elle soit provinciale ou fédérale, la manifestation de ce concept, au travers, par exemple, de l’obligation de consulter, est clairement divisible et doit être honorée par celle des Couronnes qui détient l’autorité constitutionnelle d’agir231 [traduction] ». Il ressort de cet argument que les Couronnes fédérale et provinciales ont des responsabilités spécifiques de consulter puisque leurs compétences législatives respectives influent sur les garanties de l’article 35 LC232.

En conséquence, la province a bel et bien omis de mettre en œuvre sa responsabilité de consulter. Cependant, la réflexion de la Cour est intéressante sur ce point puisqu’elle estime qu’il n’y avait pas d’obligation de consulter avant de signer l’accord puisqu’il était très peu probable que les droits des Premières Nations puissent être impactés par cet accord dans la mesure où la province avait la possibilité d’y mettre un terme unilatéralement. L’obligation de consulter a donc pris naissance lorsque la province a pris la décision de ne pas mettre un terme à l’accord et aurait dû être mise en œuvre avant que le projet ne soit approuvé par le gouvernement fédéral. Car en ne mettant pas un terme à l’accord avant que le projet soit approuvé, la province s’est privée de la possibilité d’imposer au projet des conditions plus strictes que celles exigées par le gouvernement fédéral et d’accommoder les Premières Nations. La Cour a donc estimé que la province devra entamer le processus de délivrance du certificat à l’égard du projet du pipeline et consulter adéquatement les Premières Nations sur les impacts potentiels de celui-ci sur le territoire tombant sous la juridiction provinciale. Les Couronnes fédérale et provinciales ont toutes deux la responsabilité de consulter dans leurs juridictions respectives et, à défaut d’un processus de consultation adéquat, elles pourraient avoir à initier ou à reprendre le processus depuis le début.

231 Ibid., § 196, “The manifestation of the honour of the Crown, such as the duty to consult and accommodate

First Nations, is clearly divisible by whichever Crowns holds the constitutional authority to act”.

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